Des techniques d’impression 3D en suspension à celles dites volumétriques, de nouveaux procédés viennent bousculer les codes de la fabrication additive. Ici et là à travers le monde, les matières grises s’activent pour lever les dernières barrières de cette technologie, comme la vitesse de fabrication, l’automatisation, ou la compatibilité matériaux.
Dans un récent article sur l’impression 3D volumétrique, je faisais cette comparaison avec l’évolution de la photographie, laquelle a considérablement évolué comparée à ses débuts en 1824. Si le principe reste le même, c’est à dire la présence d’un dispositif optique permettant de capter la lumière ambiante pour créer l’image, le support pour fixer celle-ci a énormément progressé. L’arrivée du numérique et de ses qualités, à la fois d’instantanéité, de praticité et de personnalisation, ont pulvérisé les limites rencontrées par les procédés anciens que sont le daguerréotype et l’argentique.
Je ne peux à nouveau m’empêcher de faire ce parallèle lorsque je découvre un nouveau procédé d’impression 3D, aussi surprenant qu’excitant, rapporté par Nature. La célèbre revue scientifique a publié les travaux d’une équipe d’ingénieurs biomédicaux du Collins BioMicrosystems Lab de l’Université de Melbourne, concernant une nouvelle technologie qu’ils ont appelé « impression d’interface dynamique » (DIP).
On comprend que ces derniers se sont appuyés sur le principe bien connu de la photopolymérisation, c’est à dire le dire le durcissement d’une résine photopolymère à l’aide d’un source lumineuse, pour créer une technologie d’impression 3D dont je dirais qu’elle reprend à la fois les qualités du moulage dynamique, des techniques volumétriques, de l’impression 3D par interface liquide continue Digital Light Synthesis de Carbon (anciennement CLIP), les techniques de micro-impression 3D à deux photons, et des derniers travaux de l’Université Duke et de la Harvard Medical School sur une méthode par ultrasons. Mettez le tout dans un shaker et vous obtenez la DIP.
Pour s’affranchir des contraintes liées au principe même de la fabrication additive qu’est la superposition de couches, mais qui pose d’importantes limites, notamment en matière de vitesse d’impression, l’équipe de chercheurs a élaboré une technique très astucieuse qui consiste à imprimer en utilisant une interface dynamique air-liquide.
« Nous démontrons la polyvalence de cette technique sur une large gamme de matériaux et de géométries complexes, y compris ceux qu’il serait impossible d’imprimer avec les méthodes conventionnelles couche par couche »
Pour cela, la technologie DIP utilise une tête d’impression creuse, laquelle une fois immergée dans une solution de prépolymère emprisonne l’air à l’intérieur. Se créé alors un ménisque air-liquide à son extrémité. C’est cette « bulle » qui va servir d’interface d’impression. L’autre particularité de cette technologie, est l’utilisation d’ondes acoustiques pour réguler dynamiquement la pression à l’intérieur de la tête d’impression. Cela permet de contrôler la forme et la position du ménisque pendant l’impression.
C’est alors qu’entre en jeu la phase plus classique de polymérisation du matériau par exposition à la lumière. En procédant ainsi, les protagonistes affirment, vidéo à l’appui, pouvoir imprimer des structures en l’espace de quelques secondes ou minutes, selon le modèle, contre plusieurs heures en temps normal.
Grâce aux ondes acoustiques générées par cette bulle vibrante, il est possible aussi d’insérer et positionner très rapidement des cellules biologiques. Les protagonistes affirment que cela pourrait être fait en quelques secondes seulement, soit environ 350 fois plus rapidement que les méthodes traditionnelles.
Pour une tête d’impression de 15 mm de diamètre, le DIP atteindrait des vitesses d’écoulement environ × 4 plus élevées par rapport à la stéréolithographie descendante. Ci-dessus vous pouvez voir une impression en temps réel d’un modèle de cœur de 15 mm de haut dans une cuvette en verre. La vidéo met en évidence l’insertion de la tête d’impression, la formation de la limite air-liquide et la création rapide du modèle in situ
Pour éprouver leur technologie, l’équipe de scientifique a également imprimé d’autres modèles, notamment une capsule de Bowman, qui est l’unité rein en forme de gland creux dans lequel le filtrage est effectué de la matière à excréter.
Cette méthode présente également de nombreux avantages par rapport à l’impression 3D volumétrique, pourtant déjà très disruptive. Les protagonistes expliquent qu’elle simplifie grandement son fonctionnement, en supprimant le besoin de systèmes de rétroaction complexes, c’est à dire d’ajustement des paramètres d’impression en temps réel en fonction des conditions, ce qui limite la vitesse, mais aussi de chimie spécialisée et d’optique avancée, tout en garantissant des vitesses élevées.
« Ces approches (en parlant des techniques volumétriques) présentent des avantages en termes de résolution et de fidélité géométrique. » explique Callum Vidler, doctorant et auteur principal de ces travaux. » Cependant, la nécessité de réinitialiser continuellement la position de la pièce entre les couches pour permettre l’écoulement de la résine non durcie impose des restrictions sur la vitesse d’impression, la composition du matériau et le débit. « Nous démontrons la polyvalence de cette technique sur une large gamme de matériaux et de géométries complexes, y compris ceux qu’il serait impossible d’imprimer avec les méthodes conventionnelles couche par couche. »
Les chercheurs mentionnent également une autre limite de la résolution volumétrique : sa dépendance à la transparence du matériau, ce qui restreint ou empêche l’utilisation de divers additifs, tels que les cellules, les matériaux granulaires et les colorants.
Les atouts de la technologie DIP sont également comparés avec l’impression 3D résine en continue (on pense bien sûr à la technologie Digital Light Synthesis de Carbon.), dont le fonctionnement repose sur une membrane perméable à l’oxygène comme interface de fabrication.
Pour rappel, cela permet de créer une zone morte de polymérisation où le matériau peut être réapprovisionné en continu. La limite de cette approche est que la structure imprimée est progressivement extraite d’un réservoir de liquide peu profond, ce qui pose des difficultés pour les matériaux mous comme les hydrogels qui présentent souvent une instabilité structurelle lorsqu’ils sont retirés d’une suspension liquide.
« Dans ce travail, nous présentons une technique d’impression tridimensionnelle (3D) rapide dans laquelle un objet est généré à la frontière d’une interface air-liquide contrainte et pilotée acoustiquement, ce qui facilite la création rapide de structures arbitraires sans support, sans chimie spécialisée ni systèmes de rétroaction optique. » résume les chercheurs. « Cette approche est compatible avec une gamme de matériaux, y compris les hydrogels souples et biologiquement pertinents, à des vitesses adaptées à l’ingénierie tissulaire à haute viabilité, à la fabrication évolutive et au prototypage rapide. »
Bien entendu, pour l’équipe d’ingénieurs biomédicaux, le développement de cette technologie novatrice vise à des applications dans leur domaine de prédilection : la bioingénierie tissulaire. Leur technologie pourrait conduire au développement d’une bio-imprimante capable de fabriquer des structures imitant de près les différents tissus du corps humain, allant des tissus cérébraux mous aux matériaux plus durs comme le cartilage et les os.
« Cette méthode fournit l’avance nécessaire aux cellules pour se développer en tissus complexes que l’on trouve dans le corps humain »
Ce n’est pas tout. La DIP promet des applications très intéressante aussi en cancérologie, en facilitant la reproduction d’organes et de tissus spécifiques. Cela permettrait d’améliorer le potentiel de prédiction et le développement de nouvelles thérapies pharmaceutiques, tout en favorisant des découvertes médicamenteuses plus avancées et éthiques, en réduisant le recours aux tests sur les animaux. Bien sûr, les autres techniques de bioimpression tendent aussi vers cela, mais avec les limites mentionnées précédemment.
« En plus d’améliorer considérablement la vitesse d’impression, notre approche permet un certain positionnement des cellules dans les tissus imprimés. Un positionnement incorrect des cellules est l’une des principales raisons pour lesquelles la plupart des bio-imprimantes 3D ne parviennent pas à produire des structures qui représentent avec précision les tissus humains. » a déclaré David Collins, professeur associé et directeur du laboratoire Collins BioMicrosystems de l’université de Melbourne. « Les bio-imprimantes 3D actuelles dépendent de l’alignement naturel des cellules sans guidage, ce qui présente des limites importantes. Notre système, en revanche, utilise des ondes acoustiques générées par une bulle vibrante pour positionner les cellules dans des structures imprimées en 3D. Cette méthode fournit l’avance nécessaire aux cellules pour se développer en tissus complexes que l’on trouve dans le corps humain. »
Cette dernière déclaration mérite tout de même d’être nuancée. Si elle s’avère exacte pour de nombreux systèmes, rappelons que le français Poietis, a mis au point une technologie de bioimpression qui grâce à son guidage laser est capable de modéliser le tissu biologique goutte à goutte avec une très grande précision, unique au monde.
Les chercheurs rapportent par ailleurs une réduction considérable du temps d’impression 3D, tout en ayant pu imprimé directement dans des plaques de culture standard, ce qui a permis d’augmenter le taux de survie des cellules et d’éliminer la nécessité de manipulations physiques, garantissant ainsi que les structures restent intactes et stériles.
Selon l’auteur principal de cette publication, Callum Vidler, cette technologie – par sa capacité à combler les lacunes de la bioimpression – susciterait déjà un grand enthousiasme dans le monde de la recherche médicale. Une collaboration a été menée avec environ 60 chercheurs d’institutions telles que le Peter MacCallum Cancer Centre, la Harvard Medical School et le Sloan Kettering Cancer Centre, et les retours ont été extrêmement positifs.
Pour finir, comme évoqué plus haut, il faut savoir que d’autres travaux utilisant l’acoustique dans le domaine de l’impression 3D ont récemment attiré l’attention. Je pense en premier lieu à ces chercheurs de l’Université Duke et de la Harvard Medical School, qui ont mis au point une nouvelle méthode d’impression 3D passionnante qui utilise des ultrasons pour imprimer à l’intérieur du corps. À n’en pas douter, il va falloir donc surveiller de très près l’évolution de ces technologies.