Par sa liberté de conception synonyme de personnalisation et de conception sur-mesure, l’impression 3D répond à bon nombre de problématiques rencontrées par le secteur médical. Sa faculté à pouvoir améliorer les soins des patients en leur apportant des solutions auxquelles ils n’auraient pas accès, mais aussi créer des dispositifs médicaux plus performants et confortables dans des délais généralement raccourcis, n’a pas tardé à s’immiscer dans les pratiques des professionnels de santé. Une tendance qui s’est nettement accentuée avec la crise de la Covid. La pénurie de matériel médical a considérablement renforcé l’intérêt des hôpitaux et établissements de santé pour cette technologie. C’est dans ce contexte qu’a été créée CO’Lab 3D, une plateforme d’impression 3D née d’un partenariat entre L’INSA (Institut National des sciences appliquées) et les Hospices Civils de Lyon en 2020. Pour comprendre comment celle-ci parvient à développer la fabrication additive et les avantages qu’elle peut en tirer, sans oublier les difficultés que cela soulève pour l’intégrer dans le milieu hospitalier, PRIMANTE3D a interrogé Peggy Leplat, la responsable de CO’Lab 3D.
« la première vague COVID et son 1er confinement nous touchent de plein fouet, mettant au premier plan l’impression 3D comme moyen facile d’accès pouvant nous permettre de subvenir à certains besoins basiques »
Bonjour Peggy, comment devient-on responsable de CO’Lab 3D ? Racontez-nous votre parcours.
Par un concours de circonstance. Je suis ingénieure de formation, diplômée de l’INSA Lyon (Institut Nationale des Sciences Appliquées) en génie mécanique et construction. J’ai débuté ma carrière professionnelle dans le monde de l’agroalimentaire en tant que responsable de produits de traitement d’air de process. J’ai ensuite souhaité élargir mon horizon et rejoindre un autre environnement porteur de sens pour moi : celui de la santé. J’ai rejoint les Hospices Civils de Lyon (HCL), 2ème CHU de France, en tant que chef de projets immobiliers, et piloté pendant près de 12 ans plusieurs projets de construction de bâtiments hospitaliers.
Puis j’ai enchainé par le management d’un partenariat industriel stratégique avec un des majors de l’imagerie médicale, avant de rejoindre la Direction de l’Innovation en 2021 en tant que chargée de mission Innovation et Partenariats. Participer à la structuration de cette nouvelle direction, accompagner les intrapreneurs dans leurs projets, distiller une culture de l’innovation au sein de l’institution et contribuer au développement de collaborations au sein de l’écosystème de l’innovation en santé sont mes principales missions actuelles.
L’expérience dans l’impression 3D a démarré pendant la première vague COVID. Durant cette période, j’ai eu l’opportunité de co-créer une plateforme hospitalière d’impression 3D, CO’Lab 3D, en partenariat avec l’INSA Lyon et fonctionnant grâce à une équipe pluridisciplinaire de professionnels volontaires HCL, toujours présente et investie. C’est une mission que je mène en parallèle des autres, en tant qu’intrapreneuse cette fois.
« Les HCL ont un partenariat depuis fin 2018, avec une plateforme universitaire développant de nouvelles technologies en impression 3D »
Quelle est votre histoire avec l’impression 3D ? Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec cette technologie ?
C’est une technologie ancienne, je l’ai découverte pendant mes études, c’est vous dire ! Mais je n’ai pas eu l’occasion de l’utiliser au quotidien avant 2020. Les HCL ont un partenariat depuis fin 2018, avec une plateforme universitaire développant de nouvelles technologies en impression 3D, 3d.FAB, avec pour objectif de les mettre à disposition de projets de conception de dispositifs médicaux innovants pour l’Hôpital.
À titre d’exemple, une collaboration en cours est autour du bioprinting, c’est- à dire l’impression de tissus vivants pour pouvoir à terme faire de la bioimpression 3D de peau directement sur nos patients brûlés. Il m’a été proposé en février 2020 de reprendre la coordination de ce partenariat en parallèle de mes activités, ce que j’ai accepté. Puis en mars 2020, la première vague COVID et son 1er confinement nous touchent de plein fouet, mettant au premier plan l’impression 3D comme moyen facile d’accès pouvant nous permettre de subvenir à certains besoins basiques.
« À l’issue de cette première période de crise, l’équipe de l’INSA a proposé de nous mettre à disposition ce parc d’imprimantes »
Expliquez-nous les circonstances particulières qui ont donné naissance à la plateforme CO’Lab 3D. Quelles problématiques ses fondateurs avaient-ils pour ambition de résoudre ?
Au printemps 2020, lorsque toutes les usines de production étaient à l’arrêt, un formidable réseau d’entraide s’est mis en place, constitué de « makers », représentés par des particuliers, PME, grandes entreprises et grandes écoles. Tous nous proposaient de leur temps et la mise à disposition de leurs moyens de production en impression 3D afin de nous aider à fabriquer de objets qui nous manquaient tels que des équipements de protection individuelle pour les personnels soignants. Parmi eux, l’INSA Lyon, grâce à sa fondation, a pu acquérir une vingtaine d’imprimantes 3D afin de répondre à notre forte demande (près de 20.000 visières et lunettes ont été imprimées et distribuées au sein de nos hôpitaux en deux mois).
À l’issue de cette première période de crise, l’équipe de l’INSA a proposé de nous mettre à disposition ce parc d’imprimantes, acquis spécifiquement pour nous. Fort du constat des apports de l’impression 3D en période de crise, la Direction Générale des HCL a donné son accord pour initier une preuve de concept. L’objectif fixé était multiple : explorer les besoins potentiels de la communauté HCL pouvant être satisfaits via l’impression 3D, créer une plateforme in situ avec les ressources matérielles et humaines existantes et internaliser ce savoir-faire grâce à l’aide de l’INSA, tout en renforçant nos liens avec le monde de l’ingénierie en étant notamment lieu d’accueil pour des étudiants ingénieurs en stage et projets de fin d’études.
C’est ainsi que CO’Lab 3D est née en juin 2020, installée sur un de nos sites, grâce à une équipe pluridisciplinaire et multisites de volontaires (techniciens biomédicaux, ingénieurs, informaticiens, administratifs) formée par l’équipe INSA sur l’ensemble du process. Un appel à projets, baptisé « ID3D », lancé au sein de la communauté hospitalière, a permis de faire remonter plus de 150 projets en un an.
« Plus de 35% des idées proposées concernent des besoins non satisfaits soit parce que la solution n’existe pas sur le marché, soit parce qu’elle n’est pas totalement adaptée »
La crise du Covid a mis en lumière les atouts indéniables de l’impression 3D dans le domaine de la santé. Dites-nous en plus sur les applications que avez-vous été en mesure de mener à terme, ainsi que les avantages que vous avez pu observer sur le terrain, que ce soit notamment en termes de réduction de coûts de délais fabrication, ou d’améliorations notables pour les patients ?
Plus de 35% des idées proposées concernent des besoins non satisfaits soit parce que la solution n’existe pas sur le marché, soit parce qu’elle n’est pas totalement adaptée. C’est ainsi que des objets co-conçus avec le personnel hospitalier sont créés dans différents domaines tels que le secteur de la biologie (création de portoirs sur mesure adaptés à des manipulations spécifiques ou à une trame d’automates spécifiques), celui des maladies rares (support pédagogique à destination d’une groupe cible de patients afin d’expliciter le déroulé d’une étude clinique), de la chirurgie (gabarit de maintien de pédales d’endoscope facilitant l’intervention du praticien), etc.
Ce travail collaboratif réunissant ingénieurs, médecins, cadres de santé, biomédicaux est une belle illustration des bénéfices de l’intelligence collective, que la technologie de l’impression 3D sert en permettant une méthode « test & learn ». Deux brevets et une enveloppe Soleau ont vu le jour dès la première année, avec pour objectif institutionnel de transférer ces innovations vers l’industrie et de les rendre ainsi accessibles au plus grand nombre.
D’autres projets (35%) sont directement liés aux besoins spécifiques de nos patients hospitalisés et en situation de handicap. Un groupe de travail s’est mis en place avec la communauté des ergothérapeutes des HCL, incluant les patients concernés, afin de les associer à la conception d’aides techniques répondant à leurs besoins et facilitant leur quotidien à l’hôpital. C’est ainsi que des aides à l’écriture, des bracelets métacarpiens ou des supports d’éducation thérapeutiques adaptés à certaines formes de handicap ont été créés, avec des avantages principaux apportés par l’impression 3D par rapport aux méthodes de fabrication usuellement utilisées par les soignants : la personnalisation, la reproductibilité (en cas de casse), l’utilisation de matériaux décontaminables, la réactivité et le circuit court.
« Une demande croissante concerne l’impression de modèles anatomiques ou de zones d’intérêt spécifiques à visée pédagogique »
Une demande croissante concerne l’impression de modèles anatomiques ou de zones d’intérêt spécifiques à visée pédagogique auprès d’internes et de patients (20%). Plusieurs modèles d’études ont ainsi vu le jour, tels que des modèles de craniosténoses pédiatriques en support d’explications du diagnostic de la pathologie aux parents d’enfants concernés, un modèle d’oreille interne à l’échelle 1,5 pour enseignement des différentes voies d’abord pour la pose d’implants cochléaires, l’impression de visages de fœtus sur la base d’images échographique 3D pour les parents malvoyants, des fractures de hanche complexe, un modèle pédagogique pour entrainement à la transplantation rénale, etc.
L’impression 3D permet également de participer à la lutte contre l’obsolescence programmée des équipements. De nombreuses demandes de pièces détachées non critiques ont pu être satisfaites par CO’Lab 3D (10%), permettant ainsi de prolonger la durée de vie opérationnelle d’un équipement dont la fabrication a été arrêtée, et de limiter les temps d’indisponibilités de certains équipements par l’amélioration de la conception de certaines pièces détachées non critiques.
Nous proposons également une offre de service en formation, avec trois modules de 2 à 3 jours à destination du public interne et externe (initiation à l’impression 3D appliquée au monde de la santé, apprentissage de la CAO appliquée à l’impression 3D et un module avancé en segmentation d’images). Nous sommes certifiés Qualiopi depuis cette année. Nous organisons également des ateliers « découverte » pour nos jeunes patients chroniques, leur permettant de découvrir les domaines des sciences appliquées et les métiers de l’ingénierie, en collaboration avec une association d’étudiants INSA.
« Le premier obstacle a été l’évolution de la réglementation dans le domaine du dispositif médical… »
La crise du Covid a aussi été un révélateur des nombreux obstacles qu’il reste encore à lever pour que cette technologie s’exprime pleinement dans le secteur médical. Quels sont ceux que aviez rencontrés à l’époque ? Donnez-nous des exemple d’applications qui n’avaient pu aboutir ?
Le premier obstacle a été l’évolution de la réglementation dans le domaine du dispositif médical en 2021 (cf. RDM, règlement (UE) 2017/745 relatif aux dispositifs médicaux). Certaines demandes, tels que des modèles anatomiques imprimés en 3D à visée de planification chirurgicale permettant au chirurgien et son équipe de préparer une opération complexe grâce à la visualisation de la pathologie en 3D, patient spécifique, associée aux propriétés haptiques du modèle imprimé, peuvent être considérés comme des dispositifs médicaux impliquant pour la plateforme de respecter le RDM, afin de pouvoir y répondre. Nous avons donc mis en place un système de management de la qualité que nous avons fait certifié ISO 13485 afin de pouvoir concevoir et fabriquer des DM de classe I pour notre usage propre.
Un autre obstacle : la stérilisation des dispositifs imprimés en 3D. Très peu de littérature existe sur le sujet, il est difficile de conclure sur le meilleur process à mettre en place, sans faire d’analyses bactériologiques et dimensionnelles systématiques, les formes des objets imprimés étant à chaque fois différentes. C’est donc un sujet que nous avons écarté pour l’instant.
Enfin un autre sujet est la pérennisation de ce type de structure intégrée à l’Hôpital et son modèle économique à trouver. Soutenus par la Direction des Affaire Financière de l’Hôpital, nous avons opté pour un modèle assez inédit : un service gratuit pour les professionnels HCL financé par le budget du CHU avec suivi des « non dépenses » occasionnées par cette activité dans les recettes de la plateforme.
« Nous disposons actuellement de 25 imprimantes avec deux technologies d’impression (SLA et FDM) »
Dites-nous en plus sur CO’Lab 3D. Combien cette plateforme mobilise t-elle de personnes et d’imprimantes 3D ? Quels procédés additifs y sont actuellement représentés ?
Les imprimantes cédées par l’INSA ont été remplacées petit à petit par de nouvelles plus performantes. Nous disposons actuellement de 25 imprimantes avec deux technologies d’impression (SLA et FDM). Nous sommes actuellement une quinzaine à poursuivre l’aventure dont une ingénieure à temps plein sur la plateforme. L’équipe initiale est toujours présente, rejointe depuis par de nouvelles recrues. Les CO’Laborateurs continuent de s’investir à différents niveaux : en temps qu’ambassadeurs de la structure sur leurs sites respectifs, experts métiers sur certains projets et en soutien sur la gestion opérationnelle de la structure.
Le retour d’expérience sur les 3 premières années d’activité conforte le fait que ce type de projet transversal et intrapreneuriale représente un véritable levier de motivation et d’attractivité pour nos professionnels. La poursuite de cet engagement collectif constitue l’un des plus grands succès de CO’Lab 3D.
Compte tenu des avantages et limites propres à chaque procédé et système additifs. Comment sélectionnez-vous vos machines ?
L’essence de CO’Lab 3D est d’incarner la low tech à l’hôpital. Nos partenariats avec 3d.Fab et la start-up 3Deus Dynamics nous permettent d’avoir accès à des technologies high tech si besoin et de rester sur des imprimantes plus accessibles pour la plateforme. Nous choisissons donc des imprimantes nous offrant le meilleur rapport entre diversité des matériaux imprimables, vitesse et volume d’impression et coûts. Pour exemple nous disposons de Creality CR10 Smart Pro, Tier time UP 300 de FlashForge Creator PRO 3 et 4, de Bambulab X1 carbon et de Formlabs 3B+ et 3BL.
Après quatre d’existence, quels sont les différents outils et dispositifs médicaux qui peuvent aujourd’hui être déployés grâce à CO’Lab 3D ? Quel a été l’impact de votre certification ISO 13485 obtenue il y a deux ans ?
La certification ISO 13485 a d’abord permis de rassurer notre direction et nos « clients » sur la robustesse de nos procédés de fabrication et le sérieux de l’activité. Elle a permis d’ouvrir le champ des possibles en se testant dans un premier temps sur un périmètre volontairement restreint, celui des DM de classe I in house.
Elle nous a aussi donné une certaine visibilité à l’échelle nationale, voire européenne nous permettant de démarrer une activité d’offres de services pour l’externe. Forts de cette première expérience, nous souhaitons faire évoluer notre statut pour devenir fabricant de DMSM (Dispositifs médicaux sur mesure), pour répondre aux besoins internes de l’Hôpital.
« Le défi pour nous est de continuer à faire progresser notre activité dans le respect de la réglementation tout en faisant évoluer notre SMQ »
Comme abordé précédemment, déployer un workflow dédié à l’impression 3D dans un établissement de santé rencontre de nombreux freins, et ce tout au long du processus. Actuellement, quels sont les principaux défis auxquels vous devez faire face, et quelles solutions, notamment sur le plan technique ou politique, souhaiteriez-vous voir émerger pour surmonter ces obstacles ?
Nous avons la chance d’avoir fait « nos preuves » et donc d’être pérenniser comme un service à part entière pour une durée de trois ans, renouvelables on l’espère. Les sollicitations internes continuent d’augmenter ce qui conforte notre utilité au sein de l’Hôpital. Les enjeux sont surtout sur la poursuite du développement de l’activité externe afin d’avoir un modèle économique pérenne, même si les non-dépenses générées permettent de compenser largement les charges de la structure.
La mise en conformité réglementaire reste un des enjeux majeurs. Le défi pour nous est de continuer à faire progresser notre activité dans le respect de la réglementation tout en faisant évoluer notre SMQ (Système de Management de la Qualité) de manière pragmatique afin de préserver l’agilité, la réactivité et l’attractivité qui font la force de la structure. Nous espérons voir apparaître des évolutions du RDM prenant mieux en compte ce type de situation d’établissements de santé fabricant de DM pour leur usage propre. Actuellement les moyens humains et matériels pour s’y conforter sont significatifs, pouvant décourager certains alors que le besoin et les bénéfices sont réels.
Au niveau national, quel est l’état actuel de la fabrication additive dans le milieu hospitalier et les initiatives menées ? Avez-vous une idée du nombre de plateformes similaires à la vôtre ?
Le réseau d’impression 3D intègre désormais une vingtaine de CHU intéressé de près ou de loin par cette thématique, il est coordonné par 4 établissements (l’AP-HP, Brest, Lille, Caen et les HCL). Certains ont des plateformes qui fonctionnent sur le même principe que la nôtre, comme Paris et Brest, et d’autres sont en cours de structuration.
La plateforme CO’Lab 3D fait partie également du reseau Rehab’Lab. Nous espérons qu’à travers ces réseaux, en plus d’accompagner nos pairs à se structurer dans le domaine, nous pourront notamment aider à faire évoluer les textes réglementaires pour qu’ils soient mieux adaptés à nos structures.
Pour finir, que pouvez-nous dire de l’actualité de CO’Lab 3D et de ses ambitions pour 2024 ? Où en est par exemple votre partenariat avec la plateforme universitaire 3D.Fab ?
Nous travaillons actuellement à faire évoluer notre périmètre de certification avec l’objectif de se déclarer fabricant de DMSM cette année. Un autre objectif pour 2024 est l’augmentation de notre activité externe, avec une offre de service axée sur le développement d’objets sur mesure et des modules de formation continue que nous proposons aux établissements de santé, industriels et professionnels de santé.
Nous continuons à collaborer avec 3D.FAb sur des projets nécessitant une expertise poussée dans le domaine de l’ingénierie appliquée à l’impression 3D. Et nous travaillons également avec 3Deus Dynamics, spin off de 3d.FAB notamment sur des modèles anatomiques en matériaux souples, durables et représentatif de la complexité et de la taille réelle des tissus natifs, pour des cas d’usage en vasculaires, pulmonaires et ORL notamment.