De l’aiguille à l’imprimante 3D, le monde de la mode maîtrise avec audace l’art du grand écart entre hier et demain. Son héritage artisanal en héritage, la mode jongle avec la nécessité d’innover et de se réinventer en intégrant de nouvelles technologies. Jusqu’ici principalement utilisée par les designers pour sa capacité à accélérer leur phase de prototypage et multiplier le nombre d’itérations possibles, l’impression 3D se retrouve aujourd’hui dans des créations (chaussures, vêtements, accessoires…) qui peuvent être portées.
L’une des explications de ce changement réside notamment dans l’arrivée de matériaux souples, lesquels ont longtemps été absents de l’éventail d’options disponibles. Grâce à cette avancée, les créateurs de mode peuvent davantage exploiter les capacités de liberté géométrique et de personnalisation de l’impression 3D. L’apparition de nouvelles matières plus durables et biosourcées, répond aussi de mieux en mieux aux enjeux environnementaux de ce secteur.
Jeune créatrice de 32 ans originaire d’Aix-en-Provence, Laura Deweilde est l’un des acteurs et témoins importants de ce changement. Son inventivité et sa maîtrise de l’impression 3D se manifestent à travers de nombreuses créations, notamment des sacs à main, dont le succès a même conduit à une collaboration avec la célèbre série Emily in Paris. C’est dans ce contexte que j’ai voulu interviewer Laura, l’occasion d’en apprendre plus sur sa vision de l’impression 3D que l’on retrouve au coeur de sa marque « INCXNNUE » et son activité de consulting.
« J’ai toujours été fascinée par les nouvelles technologies, qui symbolisent pour moi l’exploration et la découverte »
Laura Deweilde
Bonjour Laura, comment a débuté ton histoire avec la mode et comment décrirais-tu ton style et tes inspirations ?
Bonjour Alexandre, j’ai d’abord suivi un parcours en droit avec une Licence à Aix-en- Provence, puis un Master 1 en droit de la santé. En parallèle, je prenais des cours de couture le week-end.
Je me suis intéressée à une école de mode à Marseille lors d’une journée portes ouvertes, et ce fut une révélation. J’ai donc intégré IICC Mode pour un cursus de trois ans en stylisme modélisme.
Dès ma troisième année, j’ai été fascinée par l’impression 3D, une passion qui ne m’a jamais quittée. J’ai effectué quelques stages, notamment chez Sonia Rykiel et dans une entreprise d’impression 3D, mais j’ai rapidement décidé de créer ma propre entreprise.
Mon style est minimaliste avec une touche rétro- futuriste. Je suis particulièrement inspirée par l’espace, le mouvement Space Age et cette idée d’exploration spatiale, et plus généralement d’exploration au sens large.
« Mon père travaillait sur la PAO et on avait un ordinateur à la maison à une époque où c’était encore rare dans les foyers. Je pense que cela m’a marquée… «
Dans quelles circonstances as-tu découvert l’impression 3D ? J’imagine que tu avais déjà une certaine appétence pour les nouvelles technologies ?
J’ai toujours été fascinée par les nouvelles technologies, qui symbolisent pour moi l’exploration et la découverte. Mon père travaillait sur la PAO et on avait un ordinateur à la maison à une époque où c’était encore rare dans les foyers. Je pense que cela m’a marquée…
Lors de ma collection de fin d’études à IICC Mode, je voulais allier savoir-faire traditionnel et technologie. Après des recherches, j’ai découvert l’impression 3D.
Un mois plus tard, je me formais dans une entreprise à Aix-en- Provence, et je repartais avec ma Flashforge pour travailler non stop sur ma collection avec différentes pièces comme de l’impression 3D sur de l’organza pour créer un pantalon, une pièce avec des incrustations de maillages 3D…
« Je pense qu’il est essentiel de comprendre d’abord ce que l’on peut faire avec l’impression 3D et de lier cela à la mode »
Il y a six ans, tu as lancé une activité de consultante en impression 3D. Peux-tu nous décrire ton approche, la manière dont tu conçois leur accompagnement ?
Laura Deweilde à l’occasion de portes ouvertes organisées par Lynxter (crédits photo : Lynxter)
Je pense qu’il est essentiel de comprendre d’abord ce que l’on peut faire avec l’impression 3D et de lier cela à la mode. Tout projet commence donc généralement par une formation pour comprendre les bases.
Ensuite, il est nécessaire selon moi d’y ajouter une partie expérientielle, en effet vivre l’expérience en pratiquant est primordial : la plupart des créateurs ne savent pas quelles possibilités offre l’impression en terme de matériaux et de rendus.
Accompagner les professionnels de la mode me permet de leur révéler tout le potentiel créatif de l’impression 3D.
« leur questions et problématiques concernent souvent la flexibilité des matériaux, le volume d’impression et la place de l’éco responsabilité dans l’impression 3D »
Que peux-tu nous dire sur le profil de tes clients et leur niveau de connaissance en impression 3D ? Quelles sont les interrogations et demandes qui reviennent le plus souvent ?
La majorité sont des créatifs sans connaissances préalables en impression 3D. Ils sont toujours très étonnés par exemple de savoir que l’on peut imprimer sur du textile.
Ensuite leur questions et problématiques concernent souvent la flexibilité des matériaux, le volume d’impression et la place de l’éco responsabilité dans l’impression 3D.
J’ai travaillé pour divers artistes ayant des besoins de personnalisation très poussés, l’un des atouts majeurs de l’impression 3D.
Les demandes peuvent venir de stylistes pour des pièces uniques, des accessoires ultra personnalisés ou encore plus largement du monde artistique en quête de nouveauté.
« Le but est donc d’associer l’impression 3D avec des matériaux innovants et l’artisanat, pour repousser les frontières de ce que peut être un accessoire »
En 2020, tu as créé la marque de mode INCXNNUE. Comment se démarque t-elle des autres ? Quelle philosophie et valeurs as-tu cherché à lui insuffler ?
Impression 3D silicone des motifs en forme de fleurs ornant le sac à main Comete
INCXNNUE est une marque née de l’envie de repousser les limites de la mode à travers la technologie. Chaque création est une exploration de l’inattendu, une projection vers le futur, un fragment d’avenir sculpté dans la matière.
Inspirée par le mouvement Space Age et plus globalement tout ce qui touche à l’espace, l’idée est de concevoir des sacs comme des sculptures portables, fusionnant le technique et le poétique, le tangible et l’intangible.
Le but est donc d’associer l’impression 3D avec des matériaux innovants et l’artisanat, pour repousser les frontières de ce que peut être un accessoire. Chaque pièce est une extension de soi, un appel à l’audace, une manière de porter l’inexploré.
« Mon process repose sur une alternance constante entre intuition et expérimentation avec l’imprimante 3D comme outil essentiel »
D’où tire-tu ton inspiration ? Peux-tu nous en dire plus sur ton processus de création ?
Sac à main Comete dans sa version noire (crédits photo : Incxnnue)
Je puise essentiellement mon inspiration dans l’espace, et tout ce qui tourne autour de l’idée de l’inconnu. L’exploration de nouveaux territoires créatifs est au cœur de ma démarche.
Je m’intéresse aux formes organiques, aux textures innovantes mais aussi aux jeux de contrastes entre le naturel et le technologique. Mon process repose sur une alternance constante entre intuition et expérimentation avec l’imprimante 3D comme outil essentiel : je pars souvent d’une idée d’une forme/ matière en lien avec un nouveau produit, et je passe assez rapidement à l’expérimentation.
Le dessin sur papier ne me parle pas beaucoup, j’ai besoin de tester, créer, recommencer en travaillant avec la matière.
« Grâce à l’expertise de Lynxter en impression 3D silicone, nous avons pu développé ces éléments floraux qui ont été finement imprimés sur la S300X »
Pourrais-tu nous parler de tes dernières créations imprimées en 3D et les matériaux dont tu as tiré parti ? Je pense notamment à tes collaborations avec Danse avec Les Stars, ou ton sac Comete porté dans Emily In Paris.
L’actrice Lily Collins portant le sac COMETE de Incxnnue et Lynxter dans l’épisode 5 de la saison 5 de Emily in Paris (crédits photo : Netflix 2024)
Pour Danse avec les stars, c’était particulier, on m’a donné des inspirations de ce que je devais créer. Je suis donc tout de suite passer à la modélisation, puis aux tests d’impression. Dans ce cas là, par rajout à leur demande, j’ai choisi le PETG que j’ai ensuite retravaillé à la main avec une application de patine pour le rendu souhaité.
J’ai également imaginé un système pour que la création puisse s’adapter au corps de la personne grâce à l’impression 3D.
En ce qui concerne le sac Comète, cela a été une réelle collaboration avec Lynxter, avec qui je collabore depuis des années.
L’idée était de créer un nouveau sac aux courbes évoquant un vaisseau spatial allié à un design plus organique avec ses fleurs inspirées de fragments de l’univers.
Grâce à l’expertise de Lynxter en impression 3D silicone, nous avons pu développé ces éléments floraux qui ont été finement imprimés sur la S300X puis assemblés de manière plus traditionnel pour le montage du sac.
« Il y a quelques années, j’enseignais l’impression 3D dans une école de mode à une classe, aujourd’hui je forme sept classes à Esmod »
Au regard de ton expertise, quelles évolutions et avancées de l’impression 3D as-tu constatées ces dernières années dans le monde de la mode ?
Divers accessoires conçus et imprimés par Laura pour les costumes de participants de Danse avec les Stars dans le cadre du tournage de sa bande annonce (crédits : Groupe TF1 et Laura Deweilde)
Pour ce secteur, l’arrivée de matériaux souples semble être un progrès majeur. De nombreux exemples illustrent des avancées de l’impression 3D dans la mode, comme par exemple l’élargissement des matériaux souples, un développement de l’impression 3D sur textile, une évolution dans la gamme de coloris, également la possibilité de colorer le matériau avant impression.
L’engouement est bien réel : de plus en plus de créateurs explorent cette voie et la demande de formation ne cesse d’augmenter. Il y a quelques années, j’enseignais l’impression 3D dans une école de mode à une classe, aujourd’hui je forme sept classes à Esmod, une à Marseille et d’autres écoles s’ajoutent dès l’année prochaine.
Cependant, je ressens encore une barrière à franchir pour une adoption plus large. Cette technologie suscite de l’intérêt, mais une véritable compréhension de ses capacités reste à approfondir pour en explorer le potentiel. Des problématiques comme le volume d’impression ou le choix des matériaux freinent encore certaines initiatives.
Je suis convaincue que la clé pour exploiter pleinement son potentiel réside dans la formation et l’accompagnement, afin de lever ces freins, comprendre la technologie pour mieux inventer et ainsi révéler toutes les opportunités offertes par l’impression 3D dans la mode.
« la formation prend une place encore plus importante dans mon activité, avec un axe dédié à une approche globale de la 3D, intégrant modélisation, rendu et impression »
Pour finir, quelles sont tes ambitions et projets pour 2025 ? Envisages-tu d’explorer d’autres procédés et matériaux d’impression 3D ?
Sac imprimé en 3D PRYSM Lynxter x Incxnnue (crédits photo : Incxnnue)
Je travaille actuellement sur un nouveau produit qui sortira prochainement, avec une nouvelle approche de l’impression 3D. Ce projet ouvre une nouvelle perspective sur la manière dont cette technologie peut être exploitée dans le domaine de la mode.
En parallèle, la formation prend une place encore plus importante dans mon activité, avec un axe dédié à une approche globale de la 3D, intégrant modélisation, rendu et impression. Mon objectif est de proposer une vision complète et accessible de ces outils pour mieux accompagner les créateurs et designers.
Par ailleurs, le développement d’INCXNNUE va se poursuivre avec l’introduction de nouveaux types de produits, toujours dans une dynamique d’exploration et d’innovation. Enfin, plusieurs projets sont en cours, mais restent confidentiels pour le moment :)
- Scandium Canada teste avec succès des poudres d’alliage d’aluminium-scandium très attendues des constructeurs aéronautiques - 25/04/2025
- Pratt & Whitney : une réduction de 60 % de ses délais de production grâce à l’impression 3D DED - 24/04/2025
- Dispositifs médicaux imprimés en 3D : un important fabricant américain décroche la certification ISO 13485:2016 - 23/04/2025
