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À la découverte de l’impression 3D silicone en 10 questions

À la découverte de l'impression 3D silicone en 10 questions

Jusqu’alors hors de portée des fabricants d’imprimantes 3D et de leurs utilisateurs, le silicone compte parmi ces matériaux apparus très récemment sur le marché de la fabrication additive. Sa nature visqueuse difficilement compatible avec les techniques d’impression 3D, est de mieux en mieux maîtrisée, avec des résultats qui ne cessent de s’améliorer. Une bonne nouvelle au vu des propriétés offertes par ce matériau à même de répondre aux applications de nombreux secteurs, comme le médical ou l’alimentaire. Pour vous faire découvrir le silicone et ses opportunités en fabrication additive, PRIMANTE3D a interrogé deux experts français : le fabricant d’imprimantes 3D Lynxter représenté par Blandine Billet, et Cop Chimie, spécialiste des polymères destinés à la réalisation de prothèses externes, par Camille Spigolis. 

« La polyvalence de ce polymère en fait un composé de choix tant dans la cosmétique et l’hygiène, les transports, l’aérospatial, le médical… »

Camille Spigolis

Camille Spigolis

Bonjour Camille, pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste votre rôle d’Ingénieur-Docteur R&D chez Cop Chimie ?

Je m’occupe du développement de nouvelles formulations d’élastomères silicones. Une « formulation » est plus ou moins l’équivalent d’une « recette » en cuisine. J’adapte ces recettes afin d’optimiser leurs propriétés (comme la dureté, l’allongement et la contrainte à rupture, la viscosité, la réactivité ou même la couleur) en fonction du cahier des charges ou des applications visées.

Quel est le parcours qui vous a amené jusqu’à cette entreprise ?

J’ai d’abord obtenu un diplôme d’ingénieur en chimie et génie des procédés, puis un doctorat en science des matériaux. C’est durant ma thèse que j’ai commencé à travailler sur les élastomères silicones. C’est donc assez naturellement que j’ai continué dans cette voie chez COP Chimie.

1. Le silicone est un matériau apparu très récemment en impression 3D. Pourriez-vous nous en dire plus sur la genèse de ce polymère ?

Le silicone (ou polysiloxane) est un matériau unique en son genre. Son squelette est composé de silicium et d’oxygène, contrairement aux autres polymères plus classiques qui sont composés majoritairement de carbone et d’hydrogène. A l’état naturel, on trouve le silicium sous forme de silice (sable, roches) ou d’aluminosilicates. Il est utilisé depuis l’antiquité notamment pour la fabrication du verre, mais n’est isolé pour la première fois qu’en 1824 par le Suédois Berzelius. C’est lui qui établit sa structure et obtient par la suite du chlorure de silicium, qui, encore aujourd’hui, entre dans la fabrication des silicones.

À la suite de sa découverte, de nombreux chercheurs étudient cet élément à leur tour, c’est ainsi que naît la chimie du silicium. C’est à l’Allemand Whöler, que l’on doit l’appellation « silicone », qui est un mélange entre les mots « silicium » et « cétone ». Une cétone est une molécule comportant un atome d’oxygène relié à un atome de carbone par une double liaison C=O. Ce nom est resté même si l’analogie entre la chimie du carbone (et des cétones) et celle du silicium est réfutée par Kipping au début du XXème siècle. Le Français Friedel et l’Américain Crafts travaillent sur le chlorure de silicium et l’Allemand Landenburg étudie la formation d’huiles polysiloxaniques courtes, mais les études restent essentiellement académiques.

Il faudra attendre le début des années 40 et les nouveaux besoins créés par la guerre pour que les silicones industriels voient le jour. Les deux grands acteurs de cette période sont General Electric et Dow Corning, qui sont les premiers à obtenir des élastomères silicones en 1945.

« les silicones sont extrêmement stables thermiquement et chimiquement, flexibles à basse température, hydrophobes… »

Cop Chimie

2. Les silicones présentent un extraordinaire éventail de propriétés et d’applications. Quels sont-ils ?

Les silicones sont extrêmement stables thermiquement et chimiquement, flexibles à basse température, hydrophobes et isolants électriquement. De plus, s’ils ne contiennent pas d’impuretés, leur inertie chimique les rend compatibles avec le milieu physiologique. La polyvalence de ce polymère en fait un composé de choix tant dans la cosmétique et l’hygiène, les transports, l’aérospatial, le médical, le bâtiment et la construction, les biens de consommation ou encore l’électronique. Ainsi, les silicones entrent dans la composition de nombreux produits et objets aux utilisations très variées : produits d’hygiène et d’entretien, joints, moules industriels ou alimentaires, revêtements (peintures), lubrifiants et graisses, prothèses, jouets, pansements etc.

3. À l’inverse, quelles sont les limites et contraintes de ce matériau ?

Le plus gros inconvénient des silicones en général est leur prix, qui est relativement élevé par rapport aux polymères de commodité. Si on parle uniquement des élastomères silicones, un autre inconvénient est leur mise en œuvre qui peut être technique selon les applications, je pense notamment aux produits bi-composants dont les deux parties doivent être mélangées selon le ratio indiqué juste avant utilisation. Ils sont aussi sensibles à des pollutions qui peuvent être contenues entre autres dans les gants en latex, certaines transpirations ou encore certaines résines SLA. Ces pollutions les empêchent de réticuler (solidifier) et les rendent poisseux ou collants, il faut donc être rigoureux et soigneux lors de leur utilisation. Les produits mono-composants, ne sont pas en reste car ils produisent durant la réticulation des composés volatils qui peuvent être désagréables voire dangereux, comme l’acide acétique par exemple, que l’on peut sentir lors de la pose de joints de salle de bain.

Silicone COPSIL 3D 4025 adapté aux applications de contact avec la peau selon la norme ISO 10993-5

Silicone COPSIL 3D 4025 adapté aux applications de contact avec la peau selon la norme ISO 10993-5 (crédits photo Cop Chimie)

4. Pour ceux qui vous ne connaîtraient pas encore, présentez-nous Cop-Chimie ainsi que son silicone imprimable en 3D COPSIL 3D 4025. Les propriétés des pièces imprimées avec ce silicone sont-elles les mêmes que celles moulées par injection ?

COP Chimie est une PME française de 21 personnes, située dans le Royans au pied du Vercors et créée il y a plus de 35 ans. Elle est leader européen dans la conception, la formulation et la distribution de résines polymères (silicones, acryliques, polyuréthanes et époxys) pour l’appareillage orthopédique externe. COP dispose d’une unité de synthèse silicone et d’un laboratoire de Recherche et Développement sur son site de production, ce qui lui permet de synthétiser et formuler directement ses élastomères silicones.

Suite aux résultats d’une thèse CIFRE, réalisée en partenariat avec le laboratoire de l’IMP (Ingénierie des Matériaux Polymères) et sous la tutelle de l’INSA Lyon et de l’INSAVALOR, COP Chimie commercialise une gamme de silicones imprimables : COPSIL 3D. Spécialement conçue pour la fabrication additive liquide de pièces flexibles, la gamme COPSIL 3D repose sur une technologie de silicone bi-composant RTV-2, certifiée contact peau (norme ISO 10993-5) et permettant de produire des matériaux avec des duretés variant de 5 à 45 ShA tout en ayant les mêmes propriétés mécaniques que les matériaux transformés avec les procédés traditionnels.

« L’intérêt de l’impression 3D silicone dans le secteur de l’orthopédie est avant tout la personnalisation et l’allègement des pièces »

5. Quels sont les avantages pour votre secteur de pouvoir combiner le silicone à l’impression 3D ?

L’intérêt de l’impression 3D silicone dans le secteur de l’orthopédie est avant tout la personnalisation et l’allègement des pièces. La plupart des pièces produites par les orthoprothésistes avec nos silicones de coulée sont des pièces de confort, pour rendre les appareillages plus supportables par les patients. Le fait d’adapter le design de ces pièces à la morphologie des patients et de diminuer leur poids augmente d’autant plus leur efficacité. Ces pièces sur-mesure sont aussi réalisées beaucoup plus rapidement que par les procédés traditionnels qui demandent de réaliser un moulage du patient, puis un positif en plâtre et enfin de réaliser l’appareillage à partir de ce positif.

Ces étapes prennent plusieurs jours alors que grâce à la digitalisation et l’impression 3D, la réalisation de dispositifs sur mesures pourrait ne prendre que quelques heures. Un autre avantage de l’impression 3D, qui rejoint le point de l’allègement, est d’accéder à des formes et des structures internes impossibles à obtenir par les mises en œuvre traditionnelles. Ces structures permettent de conférer aux objets réalisés des propriétés nouvelles que nous sommes encore en train d’explorer. Même s’il ne s’agit pas de notre secteur principal, il se trouve que des acteurs industriels (aéronautique, automobile, ferroviaire) utilisent aussi le COPSIL 3D pour réaliser des prototypes fonctionnels à moindres coûts puisque cette technologie permet d’éviter la réalisation de moules d’injection très coûteux.

« L’utilisation de silicones pour l’impression 3D entraîne également une réflexion nouvelle en termes de conception »

Blandine Billet

Blandine Billet

Bonjour Blandine, pourriez-vous nous présenter Lynxter et nous expliquer en quoi consiste  exactement votre rôle dans cette entreprise ?

Bonjour, Lynxter est une société qui conçoit, développe et fabrique depuis 2016 des machines-outils  de fabrication additive modulaires pour l’industrie. Notre produit phare, la S600D est aujourd’hui la  seule machine industrielle du marché qui rend possible l’impression de matériaux à partir de  médiums différents : filaments thermoplastiques, silicones liquides, pâtes céramiques… Il s’agit d’une  imprimante 3D polyvalente conçue comme une machine-outil de fabrication qui permet le  changement et l’utilisation de différents outils pour imprimer une grande diversité de matériaux.

Lynxter compte aujourd’hui 25 salariés et une grande variété de métiers : production et  industrialisation, administration et finances, bureau d’étude et R&D, commerce, communication et  marketing…

J’ai rejoint l’équipe Lynxter en octobre 2019 comme Ingénieur fabrication additive. Mes missions  principales s’articulent autour du développement de l’offre de matériaux disponibles sur l’écosystème  Lynxter, l’accompagnement technique de nos clients, des partenaires distributeurs et le  développement de nouvelles applications.

6. Lynxter compte parmi les pionniers de l’impression 3D silicone, l’un des derniers matériaux les plus difficiles à imprimer. Quelles en sont les raisons ?

Depuis 2017, nous développons notre expertise sur la partie fabrication additive de liquides et  notamment de silicones. Il s’agit d’un matériau très utilisé par l’industrie principalement pour son  élasticité, ses propriétés de résistance à la température et résistance chimique, il est néanmoins encore méconnu dans le secteur de la fabrication additive.

Le silicone est un polymère non thermoplastique, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible de fondre un  filament pour pouvoir l’imprimer. Or il s’agit du format de prédilection du MEX ou FFF/FDM depuis déjà plusieurs dizaines d’années. L’extrusion de liquides réactifs amène de nouvelles notions de rhéologies, de cinétiques de réaction qu’il s’agit de maîtriser pour en contrôler l’impression.

« des propriétés mécaniques similaires aux propriétés obtenues par moulage ou coulée »

Imprimante 3D haute-température professionnelle produite par Lynxter. pouvant produire les matériaux les plus complexes dont le silicone

Imprimante 3D haute-température S600D produite par Lynxter. pouvant produire les matériaux les plus complexes dont le silicone (crédits photo : Lynxter)

7. Expliquez-nous le fonctionnement de votre technologie d’impression 3D avec le silicone. Sous quelle forme ce dernier se présente-il ?

Notre technologie est basée sur la technologie MEX (Material Extrusion – ISO/ASTM 52900-2021) ou dépose de cordon par extrusion de matière. Nous utilisons des silicones mono et bi-composants sous forme liquide qui sont déposés cordons après cordons sur un principe similaire au FFF/FDM. La  réticulation (réaction qui permet de passer de la forme liquide de la matière première à une pièce  finale solide) a lieu pendant et après l’impression, créant ainsi des liaisons chimiques covalentes entre les cordons déposés.

Les pièces obtenues via cette technique ont des propriétés mécaniques similaires aux propriétés obtenues par moulage ou coulée.

8. Il y a-t-il des précautions spécifiques à prendre avec ce matériau, notamment en termes de conception et de paramétrages d’impression 3D.

L’utilisation de silicones pour l’impression 3D entraîne également une réflexion nouvelle en termes de conception de pièces. Dans un premier temps, il faut garder en tête que le silicone utilisé se trouve  à l’état liquide, et qu’il n’est pas forcément solidifié directement en sortie de la buse. Ce comportement entraîne des contraintes au moment de la dépose : il n’est par exemple pas possible de « bridger » comme le ferait un thermoplastique.

Nous avons d’ailleurs récemment édité un guide de CAO pour accompagner les utilisateurs dans leurs  conceptions de pièces silicones.

Dans un second temps, le silicone est un matériau réactif. Les mono composants réticulent grâce à l’humidité de l’air, il faut donc le prendre en considération lors du stockage. Les bi composants sont plus stables dans le temps, mais le ratio de mélange A et B doit impérativement être respecté pour  obtenir les bonnes propriétés finales (ajustable sur la S600D).

L’ensemble des matériaux disponibles sur l’écosystème bénéficie d’un set de paramètres ajustés (profils) par notre équipe technique et fournit à nos clients permettant une utilisation aisée. La volonté de Lynxter est de fournir une solution clé en main et simple pour imprimer facilement le silicone. Pour cela nous construisons une base de documentations étoffée de tutoriels vidéo et d’articles qui permet à chacun de monter en compétence sur ces sujets et facilitant l’utilisation du procédé.

« du prototypage rapide, de la validation  de forme, et des outillages, ainsi que la pièce finie sur-mesure »

Soufflet imprimé en silicone

Soufflet imprimé en silicone (crédits photo : Lynxter)

9. Quels sont les différents types de silicone compatibles avec votre solution et les applications  possibles ?

Sur le même principe que d’autres procédés de fabrication additive, l’avantage principal de notre technologie est sa réactivité. On retrouve donc assez facilement des applications de maintenance ou  de fabrication de pièces de rechange en urgence pour des joints d’étanchéité, des soufflets, des passe-câbles, etc.

L’impression 3D de silicone est également utilisée pour réaliser du prototypage rapide, de la validation  de forme, et des outillages, ainsi que la pièce finie sur-mesure. Certains de ces silicones sont certifiés contact peau (à l’image des silicones COPSIL de COP Chimie) et permettent des applications dans le  secteur du médical ou de l’orthopédie.

Deux types de silicones sont disponibles : des mono composants (qui s’impriment grâce à notre tête outil LIQ11) et des bi composants (qui s’impriment avec la LIQ21). La plage de dureté couverte par  ces silicones s’étend de l’échelle shore00 jusqu’au 40 shoreA, et leur allongement à la rupture peut  dépasser les 1000%.

10. Quels sont les défis qu’il reste encore à relever avec le silicone et vos ambitions ?

Concernant le silicone, nous continuons d’élargir la gamme de silicone disponible et de repousser les  limites de géométries imprimables par ce procédé. L’objectif est de rendre le procédé aussi facile d’utilisation que l’est le MEX (FFF/FDM) traditionnel et de continuer à éduquer le marché à cette technologie.

Manchon en silicone imprimé sur la S600 D de Lynxter

Impression 3D d’un manchon en silicone sur la S600 D de Lynxter (crédits photo : Lynxter)

Alexandre Moussion