Dans son premier rapport consacré à l’impression 3D publié en mars dernier, le CESE (Conseil économique et social) pointait la nécessité de créer en France des formations spécifiques dans les écoles d’ingénieurs ou les lycées professionnels. Une recommandation visant à accélérer l’effort d’éducation pour faciliter l’emploi aux jeunes, en les exerçant à un outil qu’ils retrouveront plus tard en entreprise. Un avis du CESE parmi tant d’autres, visant à créer en France un écosystème favorable et à rattraper son retard, certains pays comme l’Angleterre ayant déjà inclus l’impression 3D aux programmes scolaires.
Si effectivement la France manque cruellement d’ambition et d’initiatives sur ce plan là, certaines écoles ont déjà compris les enjeux de cette technologie et pris les devants. A l’image du campus Arts et Métiers de Lille qui propose déjà depuis plus d’un an une formation à l’impression 3D, d’autres grandes écoles ont embrayé le pas et monté des projets visant à promouvoir cette technologie. C’est le cas de l’ESME Sudria de Lille qui a créé dernièrement SudriAdditive, une association permettant aux élèves ingénieurs de développer et d’accompagner entreprises, institutions ou particuliers dans leur projet de fabrication additive.
Souhaitant faire écho à ce projet en espérant qu’il fasse naitre de nouvelles initiatives du même genre en France, PRIMANTE 3D est allé à la rencontre de Johan Verstraete. Directeur du campus ESME Sudria Lille et protagoniste de SudriAdditive, celui-ci nous dévoile les objectifs et ambitions de l’association, mais aussi les ressorts de l’intérêt grandissant du campus pour l’impression 3D.
« Penser Additive Manufacturing ne s’invente pas et plus on commence tôt et mieux c’est »
Bonjour Johan, pourriez-vous vous présenter ? Comment devient-on le directeur de l’ESME Sudria de Lille ?
Johan Verstraete, 38ans, marié, Lillois, Docteur en physique, directeur, enseignant et maker. J’ai débuté à l’ESME Sudria Lille en tant que vacataire, puis mon intérêt à grandi pour cette école et je me suis investi dans les projets des élèves et, sous la tutelle du directeur de l’époque Eric Simon, dans la création d’un laboratoire de fabrication numérique inspiré des FABLAB. J’ai ensuite été promu responsable pédagogique et suis entré à l’ESME Sudria en tant que permanent. Monsieur Simon a été nommé à la direction générale de l’école et j’ai été choisi pour prendre la direction du Campus Lillois.
Présentez-nous votre école.
L’ESME Sudria est une école qui a 110 ans cette année, qui est reconnue par l’état depuis 1922 et qui est habilitée par la commission des titre d’ingénieurs. Le campus Lillois comme le campus de Lyon n’a que 3 années d’existence et ont pour vocation d’assurer les 3 premières années de formation des élèves en province. A l’issu de ces trois années les élèves de tous les campus se retrouvent à Ivry sur seine pour terminer leur formation au plus près des quatre grands laboratoires qui font la réputation de l’école.
L’ESME Sudria est une école d’ingénieurs pluridisciplinaire dans le domaine des hautes technologies et couvrent tous les champs de ce domaine (Energies, électronique et systèmes embarqués, informatique et DATA, Réseaux et télécommunication) grâce à ces laboratoires. L’année dernière deux projets d’élèves de 5ème année se sont distingués (prix d’innovations) dans le domaine médical. Ils ont créé un fauteuil roulant piloté par les ondes cérébrales et une paire de lunettes connectées capable de participer à la rééducation des personnes ayant été victime de traumatismes crâniens.
« Ces machines vous rendent autonome dès que vous avez besoin d’un objet spécifique »
Comment avez-vous découvert l’impression 3D. Possédez-vous, vous-même une imprimante 3D ?
J’ai découvert l’impression 3D grâce aux FABLABS et notamment grâce au FABLAB de Lille. J’ai accompagné des élèves au FABLAB de Lille en 2012 pour matérialiser un de leur projet (une horloge en DIY). Nous étions à ce moment intéressés par ce nouveau type d’atelier et cherchions comment on pouvait intégrer ces spécificités dans un projet pédagogique. Nous avons eu l’occasion lors de ce déplacement de voir fonctionner une imprimante 3D. Ensuite, j’ai développé le projet de Laboratoire de fabrication numérique destiné aux élèves de cycle préparatoire et nous avons acheté une K8200 de chez Vellemann. C’est en autodidacte que j’ai appris à me servir de ces machines et à en fabriquer. Je possède une Prusa i3 que j’ai fabriqué moi-même à partir de récupération. Ces machines vous rendent autonome dès que vous avez besoin d’un objet spécifique. C’est ainsi que j’ai déjà pu imprimer de nombreux objets, le dernier étant un mélangeur pour des travaux de peinture.
Depuis sa création en 2012, votre campus a toujours fourmillé de projets autour de l’impression 3D notamment via l’e-Smart Lab. D’où vient cet intérêt ?
Le besoin de prototypage rapide est la première application de l’impression 3D et pour une école d’ingénieur qui souhaite offrir à ses élèves le moyen de réaliser des objets et des systèmes c’est un véritable atout. En plus, vu les délais on peut se permettre de recommencer. C’est un centre d’usinage à faible coût. Aujourd’hui, il arrive que même des élèves de 5ème année fassent appel à nous pour créer des pièces pour leur projet de fin d’étude.
Le 20 février 2015, l’ESME Sudria Lille a créé l’association SudriAdditive. Comment est née cette association et quels sont ses objectifs ?
Cette année j’ai fait rentrer l’ESME Sudria Lille dans le club impression 3D Nord pas de Calais que j’ai rencontré grâce à la semaine de l’innovation organisée dans la région. Puis j’ai amené des élèves aux réunions du club et cela les a motivé à participer à ce mouvement qui est aujourd’hui relié à la troisième révolution industrielle dans la métropole Lilloise. Nous avons ainsi créé SudriAdditive qui a pour but de promouvoir la fabrication additive et aussi d’accueillir des projets dans ce domaine. Aujourd’hui, un élève de première année faisant parti de l’association travaille en stage permanent chez Dagoma une startup de la région qui fabrique et commercialise des imprimantes dans la technologie FDM.
« Accompagner les porteurs de projets dans ce domaine et participer à la formation… »
Avez-vous rencontré des difficultés particulières à sa création ? Quelles sont vos ambitions sur le long terme ?
Sur le long terme accompagner les porteurs de projets dans ce domaine et participer à la formation de ceux qui souhaitent en savoir plus. Notre point fort est la CAO (fait partie du programme de formation des élèves de l’ESME Sudria) qui reste un frein pour beaucoup de gens pour concevoir et personnaliser les objets que l’on souhaite imprimer.
Votre école compte offrir à ses étudiants la possibilité de participer d’avantage encore à des challenges autour de l’impression 3D. Quels sont ceux qui ont déjà eu lieu ? Quelle forme prendra le prochain ?
Nous travaillons en mode workshop et je donne des sujets ayant pour but de familiariser les élèves avec les difficultés de l’additive manufacturing notamment au niveau de la CAO car il faut intégrer le mode de fabrication comme contrainte dans la conception. Maintenant, ils savent penser leurs objets en fonction de leur utilité mais aussi en fonction de l’impression. Ils savent concevoir des mécanismes articulés imprimable en une fois avec une petite imprimante FDM. Ils savent aussi fabriquer des imprimantes en DIY et aujourd’hui nous avons fabriqué une Prusa i3 et finalisons une GUS Simpson. Les pièces sont imprimées avec la première imprimante.
Vous aviez vous-même participé à celui organisé par la NASA, un challenge consistant à concevoir une attache de sécurité. Pouvez-vous nous en parler ?
Ce challenge était un test intéressant, au niveau pédagogique j’ai donné envie aux élèves de ce jeter à l’eau et de participer à des challenges. D’autres part, j’ai essayé de concevoir une attache articulée et imprimable en une fois afin d’utiliser au maximum les possibilités offertes par la fabrication additive. C’est intéressant de voir que j’étais le premier à proposer cette solution. Ensuite il y a eu des modèles proposés qui amélioraient mon prototype. Nous n’avons pas remporté le challenge mais quelque part nous n’avons pas tout perdu non plus.
Selon vous quels sont les avantages pédagogiques de l’impression 3D dans l’enseignement ? Quel sera son impact sur l’apprentissage et la créativité des étudiants dans les années à venir ?
Les avantages c’est de passer de l’idée à sa réalisation et en pédagogie et dans le supérieur cela vaut de l’or. De plus, cela complète la formation des élèves qui pourront utiliser ce nouvel outil pour leur projet futurs. Penser Additive Manufacturing ne s’invente pas et plus on commence tôt et mieux c’est. A une époque les études d’ingénieurs débutaient avec le stage ouvrier et la découverte de l’usinage par enlèvement de matière, à l’ESME Lille on découvre l’usinage par addition de matière plus économique et très moderne. De plus une imprimante 3D c’est un robot et cela rentre dans les hautes technologies et donc dans notre champ d’expertise.
Je remercie Johan Verstraete pour sa participation à cette interview. L’ESME Sudria Lille recevra prochainement un exemplaire de la Nano, la plus petite imprimante 3D du monde. J’espère donc avoir leur retour d’expérience sur ce modèle d’un nouveau genre.