Tout comme nous avons en France l’association France Additive, des initiatives similaires visant à diffuser, structurer et dynamiser la fabrication additive, se développent ailleurs dans le monde. Outre Atlantique, dans la province du Québec, une autre structure phare du monde francophone s’emploie à fédérer les acteurs de ce secteur et faciliter son adoption : le CQFA (Carrefour Québécois de la Fabrication Additive). Aujourd’hui, à travers ma rencontre avec ses représentants Marie-Pierre Ippersiel, Manuel Martin et Pascal Vuillaume, je vous fait découvrir leurs actions pour promouvoir et développer l’impression 3D en tant que levier de compétitivité pour les entreprises québécoises. L’occasion également d’aborder avec eux les défis et les opportunités auxquels ces dernières sont confrontées, notamment en ce qui concerne les barrières qu’il reste encore à lever pour améliorer l’adoption de cette technologie.
« La raison principale pour laquelle les entreprises québécoises tardent à adopter la fabrication additive polymère est non seulement liée à une méconnaissance de la technologie… »
Bonjour Marie-Pierre, pourriez-vous nous parler du parcours qui vous a conduit au poste de présidente-directrice générale de PRIMA Québec ?
Mon parcours académique en est un qui est multidisciplinaire : l’impact de la science, technologie sur la société, aux études urbaines, en passant par la science politique. Ma thèse de doctorat m’a permis d’analyser les relations science-industrie et le soutien technologique aux PME dans les Centres collégiaux de transfert de technologies (CCTT). A la suite de mes études, j’ai obtenu un mandat du Conseil de la science et de la technologie pour réaliser un avis sur l’innovation dans les municipalités québécoises ce qui m’a par la suite conduit à la Communauté métropolitaine de Montréal où j’ai contribué à la mise en œuvre des principaux outils du Plan de développement économique du Grand Montréal, dont la stratégie des grappes (clusters en France).
De la CMM, le passage vers une grappe, celle des technologies propres – est venu tout naturellement. J’y ai mené les opérations pendant quelques années pour ensuite retourner vers mes premières amours : les relations science-industrie en acceptant de diriger PRIMA Québec, le pôle de recherche et d’innovation en matériaux avancés. Bref, depuis plus de 25 ans, je m’intéresse aux écosystèmes d’innovation, à leurs acteurs et aux relations entre eux. C’est passionnant !
« PRIMA est le catalyseur privilégié entre les milieux industriel et de la recherche »
Présentez-nous PRIMA Québec. Quelles sont ses missions ?
PRIMA Québec est-ce que l’on appelle un regroupement sectoriel de recherche industrielle (RSRI). Il est mandaté par le gouvernement du Québec pour favoriser les relations science-industrie. Sa mission première est d’animer et de soutenir l’écosystème des matériaux avancés en privilégiant l’innovation collaborative pour le développement économique du Québec. Dit autrement, PRIMA est le catalyseur privilégié entre les milieux industriel et de la recherche.
Pour vous donner une idée, de 2015 à 2024, PRIMA Québec a soutenu plus 180 projets associant entreprises et chercheurs d’une valeur totale de plus de 105 M d’euros, dont 70 M d’euros proviennent PRIMA Québec et 44 M d’euros de partenaires industriels. Ces projets ont permis aux entreprises d’améliorer leur capacité d’innovation en développant, par exemple, des produits ou procédés innovants en plus de former du personnel hautement qualifié.
L’ensemble de ces projets émanent de différents appels à projets qui ont l’objet d’évaluation tant du point de vue qualité scientifique que de leurs retombées économiques. Au-delà de l’accompagnement des promoteurs de projets et de leur financement, PRIMA Québec a mis au cœur de ses priorités l’accès aux équipements de pointe et aux expertises associées. Ces derniers sont essentiels à leur caractérisation, leur synthèse, etc. et permettent à nos PME d’en profiter, à défaut d’avoir les ressources financières pour les acquérir. Enfin, un dernier élément important à signaler concerne le rayonnement de l’expertise académique et industrielle ici et ailleurs.
« Le CQFA était la principale mesure à mettre en œuvre pour s’assurer que le Québec dispose enfin d’un guichet unique qui met en valeur tous les acteurs de cet écosystème »
Quand et dans quelques circonstances PRIMA Québec a-t-il intégré la fabrication additive à ses missions ? Comment est né le CQFA (Carrefour Québécois de la fabrication additive) ?
En 2018, PRIMA Québec a choisi de réaliser le tout premier portrait de l’écosystème québécois des matériaux avancés pour avoir une meilleure vue d’ensemble sur les secteurs d’application qui stimulent l’innovation et qui met en lumière le dynamisme de ce secteur de pointe. On a donc été amené à devoir définir ce que sont les matériaux avancés : ils permettent d’obtenir un avantage marqué du point de vue de la performance (physique ou fonctionnelle) comparativement aux matériaux plus conventionnels. Plus encore, qui dit matériaux avancés, dits procédés. Qu’il s’agisse des différentes familles de technologies de fabrication additive (FA) ou encore de la matière première nécessaire (ex. polymères, poudres métalliques, céramiques), on savait que c’était partie intégrante de l’univers des matériaux avancés.
Au même moment, on observait un grand intérêt au Québec pour la FA et son adoption par le secteur manufacturier. On a donc choisi de documenter ce volet de l’écosystème – ses forces et faiblesses – pour identifier les occasions de marchés à saisir et les défis à relever. De là est née l’initiative du tout premier Livre blanc sur la fabrication additive au Québec, dévoilé en mars 2020, proposant des orientations stratégiques et des mesures structurantes pour accroître la compétitivité économique du Québec et lui permettre de devenir un leader technologique à l’échelle mondiale grâce à la FA.
On s’est associé à des partenaires gouvernementaux, de recherche et industriels pour mener à bien cette initiative. Le CQFA était la principale mesure à mettre en œuvre pour s’assurer que le Québec dispose enfin d’un guichet unique qui met en valeur tous les acteurs de cet écosystème (industriels, chercheurs, professionnels, etc.) et demeure axé sur les besoins des entreprises québécoises du secteur. Il s’intéresse à tous les procédés et à tous les types de matériaux ; il inclut toutes les dimensions de la FA, qu’il s’agisse des domaines applicatifs, de recherche et développement, du financement, de l’entrepreneuriat ou de son adoption technologique, en passant par la formation et le développement de compétences. La coordination et l’animation sont assurées par notre collègue Fanny Charreteur.
Il est important de signaler que le CQFA n’aurait pu voir le jour sans nos partenaires financiers que sont les gouvernements du Québec et du Canada, le Groupe industriel de R-D METALTec du Conseil national de recherches du Canada, Investissement Québec – CRIQ, le Centre de métallurgie du Québec et Lavery.
« ce qu’il faut retenir c’est que le CQFA est l’avenue privilégiée pour quiconque s’intéresse à la FA au Québec »
Qui composent le comité du pilotage du CQFA et comment devenir membre ?
Sous la responsabilité de PRIMA Québec, le comité de pilotage est composé de bénévoles qui représentent l’écosystème québécois de la fabrication additive, qu’il s’agisse d’industriels, d’organismes de recherche et de gouvernements. Devenir membre est fort simple : il suffit de consulter le site web ! Je dirais plutôt, pourquoi devenir membre ?
Le CQFA offre une visibilité à ses membres pour mieux faire connaître leurs expertises, leurs bons coups. Les industriels peuvent accéder à partenaires scientifiques qui les aideront à à améliorer leurs procédés, à différencier leurs technologies et en accroître leur qualité. Quant aux chercheurs, c’est une façon d’identifier des partenaires industriels pour collaborer et soutenir des projets de R-D. Mais ce qu’il faut retenir c’est que le CQFA est l’avenue privilégiée pour quiconque s’intéresse à la FA au Québec !
À ce jour, quelles initiatives ont été/sont menées par le CQFA pour promouvoir et développer cette technologie au Québec ?
Au-delà du site web qu’est le Carrefour et des contenus qu’il propose, de l’infolettre et de la page LinkedIn, la coordonnatrice du CQFA a contribué à l’organisation de la conférence sur la fabrication additive, de Coalia, en collaboration avec le CREPEC, qui s’est tenu les 11 et 12 octobre 2023 à Thetford Mines. Ce fut une occasion de rencontrer tous les experts du domaine. À l’automne 2025, aura lieu une autre édition.
Des séances de formations sur la propriété intellectuelle appliquée à la FA ont été organisées en collaboration avec l’un des partenaires du CQFA – Lavery, pour permettre aux membres de se familiariser avec des notions comme la marque de commerce, le droit d’auteur, le secret industriel, le dessin industriel et le brevet, les normes et certifications.
Une autre initiative intéressante mise de l’avant par la coordonnatrice concerne des visites industrielles où des membres ouvrent leurs portes à d’autres joueurs du domaine. Depuis 2023, quatre visites ont été réalisées et vraiment appréciées par les participants.
Le CQFA est-il déjà intervenu pour établir des liens entre certaines entreprises québécoises et françaises ?
À l’automne 2023, des liens ont été établis avec l’institut Carnot-Mica et certaines entreprises du Québec. Au cours de l’été dernier, nous avons accueilli la déléguée générale de France Additive pour travailler à développer un partenariat France-Québec. À suivre !
Les questions suivantes ont été répondues par Manuel Martin, Chef technique fabrication additive métallique, Conseil national de recherches du Canada (CNRC), membre du comité de pilotage du CQFA ainsi que par Pascal Vuillaume, Directeur de la recherche, secteur plasturgie chez Coalia. Ces deux experts couvrent les volets métallurgie et plasturgie, respectivement.
« L’adoption de la fabrication additive devrait donc se généraliser au cours des prochaines années »
Quels sont les principaux obstacles soulevés par les entreprises québécoises pour une adoption plus large de la fabrication additive ?
Le coût et le manque de main-d’œuvre qualifiée. Pour le coût, c’est plus une question de retour sur investissement. Le coût d’acquisition des équipements est important et le coût d’opération aussi. Cela pourrait aller si le volume de contrats était garanti par la suite. Mais c’est difficile de se lancer dans la fabrication additive et d’avoir rapidement des entrées d’argent avec cette activité. Il faut en plus plusieurs autres capacités : métrologie, traitement thermique, finition, etc. Pour ce qui concerne la main-d’œuvre qualifiée, ça prend des gens qui ont à la fois des connaissances théoriques, mais aussi une vraie expérience sur les machines. Et bien sûr, une compréhension de ce qu’est le design pour la fabrication additive.
La raison principale pour laquelle les entreprises québécoises tardent à adopter la fabrication additive polymère est non seulement liée à une méconnaissance de la technologie, des différents procédés existants, mais également des matériaux. Toutefois, il faut noter qu’outre le CQFA qui a pour mission de stimuler le développement de l’écosystème de la fabrication additive au Québec, les CEGEP et universités s’investissent pour offrir aux industriels ainsi qu’à la jeune relève des formations en impression 3D. L’adoption de la fabrication additive devrait donc se généraliser au cours des prochaines années.
« Nombreux sont les industriels à disposer d’imprimantes 3D pour développer des prototypes ou concevoir certains outils de travail »
Pourriez-vous nous dresser un portrait de votre écosystème d’impression 3D au Québec ? Quelles sont vos entreprises phares et vos start-ups les plus prometteuses ?
L’écosystème québécois est très important au niveau de la fabrication de poudres métalliques pour la fabrication additive. Nous bénéficions de la présence de 2 joueurs très importants (AP&C et Tekna). L’industrie aéronautique est également très présente, notamment dans la région de Montréal, mais celle-ci ne génère pas nécessairement énormément d’activités économiques en lien avec la fabrication additive. Ils sont plus actifs au niveau de l’initiation de la recherche, en collaboration avec des universités ou des centres de recherche. Il y a aussi quelques compagnies dans le biomédical (notamment les prothèses et implants dentaires) qui sont très actives et qui profitent d’une bonne croissance.
Nombreux sont les industriels à disposer d’imprimantes 3D pour développer des prototypes ou concevoir certains outils de travail. Dans un tel contexte, les imprimantes sont davantage utilisées comme des équipements secondaires et non pour la production. Maintenant sans rentrer dans les détails ou encore pour ne pas citer de nom, les entreprises offrant des services de fabrication additive se démarquent de la concurrence lorsqu’elles disposent de différentes technologies d’impression 3D, offrent une large gamme de matériaux, desservent plusieurs secteurs d’activités, combinent diverses expertises (conception, fabrication, finition, gestion de la qualité, certifications) et surtout innovent.
« Nous avons assisté à une guerre d’innovation entre les fabricants pour ajouter plus d’options, plus de laser, plus d’innovation »
Le marché mondial de l’impression 3D a connu un net ralentissement ces deux dernières années. Comment voyez-vous évoluer la situation ?
Il y a une certaine incertitude par rapport à la viabilité économique de la fabrication additive pour des applications de gros volume. Quelques joueurs s’en sortent très bien, mais l’adoption plus large de ces technologies est tout de même compliquée. Le modèle économique choisi doit peut-être être remis en question pour assurer la compétitivité de la FA contre d’autres procédés. Le coût d’amortissement des équipements et le volume relativement faible d’application mènent les industriels à surévaluer le taux horaire pour l’utilisation de leurs équipements.
Le coût des pièces fabriquées peut alors devenir prohibitif et nuire à la croissance des applications. L’évaluation des cas d’affaires doit aussi être ajustée. Sachant que la FA est pour le moment beaucoup plus chère que d’autres procédés de fabrication, il est important de compenser cela par d’autres différenciateurs, tels que des délais de livraison réduits, par exemple.
La consolidation des manufacturiers d’équipements que nous voyons depuis quelques années pourrait aussi amener à une plus grande stabilité. Nous avons assisté à une guerre d’innovation entre les fabricants pour ajouter plus d’options, plus de laser, plus d’innovation. Cela a supporté l’innovation et le développement de nouvelles applications. Mais si nous souhaitons assister à une vraie industrialisation de la FA, il est maintenant temps de démontrer la robustesse, la reproductibilité et la stabilité des procédés. L’industrie 4.0 pourrait soutenir cette évolution naturelle, surtout que la FA est par nature largement digitalisée. Il reste maintenant à l’automatiser.
La fabrication additive a connu un engouement certain il y a quelques années et il est vrai que nous atteignons aujourd’hui un plateau. La technologie a stagné, mais les travaux de recherche demeurant conséquents, ce ralentissement devrait être temporaire.