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Comment se créer une ferme d’imprimantes 3D ? Rencontre avec NES et son parc de 150 machines

ferme d'imprimantes 3D

(crédits photo : NES)

En dépit de ses nombreux avantages, comme sa complexité géométrique sans égal, ou sa capacité à raccourcir de manière drastique les cycles de production, l’impression 3D doit encore progresser sur le plan de la productivité. Pour contrecarrer la relative lenteur de son processus, plus adaptée à des productions limitées qu’en série, l’une des solutions en vogue consiste à multiplier le nombre de machines. Qu’il s’agisse de systèmes développés par les fabricants, ou d’initiatives menées par les utilisateurs, la création de fermes d’imprimantes 3D a le vent en poupe. Après l‘Armée de Terre, Volumic, ou encore CashMag, un nouvel exemple français nous est fourni par NES (Normandy Ecospace). Pour vous faire découvrir cette pratique et vous en donner les clefs, PRIMANTE3D a interrogé Ryan Gille, son responsable du parc machine et production.

« un parc de 150 machines en interne qui permet d’offrir une capacité de production de 30 000 pièces par jour »

Ryan Gille, responsable du parc machine et production de NES 3D

Ryan Gille, responsable du parc machine et production de NES 3D

Bonjour Ryan, pourrais-tu nous raconter ton parcours avant NES et les circonstances qui t’ont amené à rejoindre cette aventure ?

Bonjour, avant NES 3D, j’ai fait un lycée Technologique à Pablo Neruda à Dieppe et j’ai enchaîné avec un DUT Génie Electrique et Informatique Industriel à Mont Saint Aignan. Pour valider ma dernière année de DUT j’ai dû effectuer un stage de 2 mois en entreprise et c’est comme ça que j’ai connu NES3D. Passionné d’impression 3D (je pratiquais à la maison les weekends.) C’était donc pour moi, le lieu idéal pour réaliser mon stage et une de mes passions en même temps.

Quelle est la genèse de NES et qui sont ses protagonistes ? Explique-nous ce qu’est le « proworking ».

À l’origine, Normandy Ecospace a été créée dans un objectif sociétal. Le président, Valéry JIMONET, avait pour ambition de dynamiser l’industrie locale, d’acculturer le territoire au numérique et aider les jeunes entreprises à se lancer sur le marché. Ainsi, NES possède 3 activités : Location d’espace de travail, formation et bien sûr, l’impression 3D. Au début de l’aventure, en 2018, le parc d’imprimantes était composé de 5 imprimantes de technologies différentes. Aujourd’hui, nous possédons un parc d’environ 150 machines.

Pour ce qui est de la notion de « proworking », celle-ci est destinée à notre activité de location d’espace de travail. C’est une notion de coworking à la mode NES. Les mêmes conditions que le coworking, avec plus de services et la possibilité de louer ses propres bureaux. Il y a également une vision de constituer un réseau de professionnels unis dans la quête de croissance.

Quelques-unes des imprimantes constituant le parc machines de NES

Quelques-unes des imprimantes constituant le parc machines de NES (crédits photo : NES)

Avant d’aller plus loin, qu’est-ce qu’une ferme d’imprimantes 3D ?

Une ferme d’imprimantes 3D est tout simplement le fait d’avoir plusieurs imprimantes 3D permettant la multiplicité des impressions en peu de temps, NES à plus de 150 machines et c’est ce qui leur permet de produire de la plus petite à de la très grande série en peu de temps.

Dis-nous en plus sur les machines qui composent votre parc et ses capacités ?

Actuellement nous disposons d’un parc de 150 machines en interne qui permet d’offrir une capacité de production de 30 000 pièces par jour, et environ 150 machines en externe via des « makers » qui sont des personnes autoentrepreneurs qui vont produire pour Normandy ecospace lors de demande de très grande série de production. On possède actuellement des machines FDM (a dépôt de fil plastique) et des machines Résine (résine liquide qui va durcir avec l’aide d’un écran UV).

Selon toi, à partir de quand devient-il pertinent de se constituer une ferme d’impression 3D ?

Selon moi, Il est pertinent pour moi de se constituer une ferme d’impression 3d lorsqu’on valide un proto avec le client et qu’il nous demande de faire 10, 100, voir 1000 pièces dans un court délai (1 semaine de production).

Comment choisir les imprimantes 3D qui vont constituer son parc machines ?

Pour choisir ses imprimantes 3D, il faut se fier à la fiabilité des composants, si la maintenance des machines n’est pas trop important, la température max d’extrusion et du plateau, et si elle est fermée pour pouvoir imprimer plus de matériaux différents…

« les premières précaution à prendre en compte est le recyclage de l’air ambiant »

Galet imprimé en PA6 naturel

Galet imprimé en PA6 naturel (crédits photo : NES)

Mettre en place une ferme d’imprimantes 3D ne s’improvise pas. Cela demande une organisation bien particulière. Quelles sont les premières précautions à prendre en termes de sécurité pour adapter l’espace de production ?

Pour nous, les premières précautions à prendre en compte est le recyclage de l’air ambiant (nous respirons l’air de l’atelier toutes la journée, avec tout ce plastique fondu, cela peut être dangereux pour la santé). En ce moment même, des normes de santé et autres sont en cours, et sont en train de se mettre en place dans toute l’Europe, car ce type d’industrie est tout nouveau. Aucune règle de sécurité n’est réellement imposée. Deuxièmement, toutes les machines qui impriment des matières plus toxiques (type ASA) sont obligatoirement imprimées dans un caisson avec un filtre à particules. Port de gants de sécurité lors la maintenance machine.

Il y a aussi la régulation de la température ambiante qui doit être maintenue à 25°C (climatisation) afin de pouvoir imprimer toujours en bonne qualité car il peut vite faire +40°C quand toutes les machines sont en fonctionnement.

« 90%-10%, ceci est une astuce pour éviter les problèmes de maintenance récurrente »

Sur le plan de la maintenance matérielle et de la main d’œuvre, quelles sont les autres choses à mettre en place pour optimiser sa productivité ?

90%-10%, ceci est une astuce pour éviter les problèmes de maintenance récurrente. Il suffit tout simplement de faire tourner 90% du parc et pour les 10% restants, vérifier si les imprimantes sont correctement réglées, pas de défauts pas d’usure…et le lendemain, être sûr qu’elles sont opérationnelles, et faire la même chose le lendemain (reprendre 10% de machines pour la maintenance).

La maintenance des machines est très importante à faire avant même de constater que la machine soit HS. Sinon l’impression en cours aura plus de chance d’être ratée.

Illustration du logiciel de gestion Cura Connect

Illustration du logiciel de gestion Cura Connect

« il est possible de connecter les imprimantes entre elles, ce qui veut dire qu’il va automatiquement sélectionner une imprimante disponible pour imprimer une pièce »

Pour assurer une production en continu, une ferme d’imprimantes 3D nécessite également l’utilisation de solutions de gestion, de surveillance et de mise en réseau. Sur quels logiciels vous appuyez-vous et en quoi sont-ils importants ?

Actuellement, la gestion se fait beaucoup par un contrôle visuel en allant faire un tour dans le parc machines. Nous utilisons également Cura Connect, C’est un logiciel plutôt excellent, car il est possible de connecter les imprimantes entre-elles, ce qui veut dire qu’il va automatiquement sélectionner une imprimante disponible pour imprimer une pièce, à condition que la matière dans la machine correspond à celle de la machine. De plus, une maintenance préventive est indiquée par des rappels pour éviter tout problème d’impression qui aurait pu être évité si c’est a cause d’une courroie défectueuse ou autre…

Par ailleurs, il faut savoir que l’entreprise est en train de mettre en place un système qui s’appelle INUZIN. Cela va permettre à tous nos clients de faire des demandes de devis, de stocker à distance des fichiers stl ou gcode, et de lancer une commande depuis cette plateforme. En interne, nous aurons un meilleur suivi des demandes de production, ainsi la possibilité de lancer un print à distance et d’avoir un suivi avec une caméra et de pouvoir voir en interne le taux d’échec, le taux de production, le maintien de pièces détachées, de matière en stock…Notre mission, sera de préparer les machines avec les bon types de matières, de couleurs.. On pourra voir à distance chaque machine en cours ce fonctionnement et de pouvoir l’arrêter en cas de problème d’impression, enfin un opérateur viendra retirer les pièces du plateau d’impression et de préparer la machine pour relancer le prochain print.

D’après ton expérience, quelles sont les qualités nécessaires pour bien gérer une ferme d’imprimantes 3D ?

Aujourd’hui, je dirais qu’il faut avoir des bases en impression 3D, avoir des connaissances. Avoir une imprimante est un plus. Être analyste, c’est à dire pouvoir observer un problème et le modifier en conséquence.

« Nous avons eu la chance de travailler avec un groupe automobile qui nous a demandé une production continue journalière de 1000 pièces/jours »

Outils de coupe sur-mesure pour découper tube en PTFE

Outils de coupe sur-mesure pour découper tube en PTFE (crédits photo : NES)

Pourrais-tu nous-en dire en plus sur les derniers projets qui ont mobilisé votre ferme d’imprimantes 3D ?

Notre grande capacité de production nous a permis de travailler sur des projets structurants. Nous avons eu la chance de travailler avec un groupe automobile qui nous a demandé une production continue journalière de 1000 pièces/jours. Le bénéfice client était dans la gestion de stock et la mise sur le marché rapide de la solution. En effet, nous sommes en mesure de délivrer à la demande en 48H. Ainsi, plus besoin de stock important pour notre client qui nous commandait et peut encore commander et recevoir ses pièces en 24H.

La mise sur le marché a également été améliorée. En effet, la création d’un moule et le lancement en production demandaient 6 mois d’attente pour le constructeur. Nous avons ainsi, dans cette attente, permis de créer les pièces après 2 semaines de rendez-vous et étude de faisabilité, prototypage et livrer les premières de production en 48H.

Le parc est régulièrement sollicité pour de l’outillage industriel. Un exemple est le porte-étiquette de chariot de production. L’entreprise avait besoin de pièces permettant l’étiquetage de chaque chariot de production. Le modèle économique de l’impression est particulièrement rentable pour ces petits volumes de production (environs 1000 à 3000 pièces). De plus, la fabrication additive permet de nouvelles formes complexes. En effet, les fentes de blocage d’étiquette ont été revues et contraignent totalement celle-ci, à l’inverse des versions usinées qui ne permettaient pas ce design.

Ainsi, après quelques itérations, nous avons produit une série complète de pièces, aujourd’hui mise en place sur les lignes de production. Nous produisons également des objets de communication tels que des petits jouets ou porte-clés avec le logo de l’entreprise par exemple. Des séries de 1000/3000 pièces sont ainsi réalisées sur notre parc et livrées en une dizaine de jours.

« Ce centre permettra notamment la production de série et le prototypage rapide pour nos clients industriels »

Impression d'une jonction bi-Rotule

Impression d’une jonction bi-Rotule (crédits photo : NES)

Pour finir, quelles sont les actualités et ambitions de NES pour 2022 ?

L’actualité majeure de Normandy Ecospace est l’acquisition d’un nouvel espace de travail. En effet, nous venons d’acquérir un nouveau bâtiment, faute de place dans le lieu actuel. Un chantier de rénovation d’un ancien bâtiment industriel va commencer dès septembre. Cette acquisition a pour objectif de créer le centre européen d’excellence de l’impression 3D. Ce centre permettra notamment la production de série (de la petite à la grande série) et le prototypage rapide pour nos clients industriels.

Nous souhaitons également accompagner la formation du secteur. Possédant la certification Qualiopi et bientôt RNCP, Normandy Ecospace est en mesure de former les ingénieurs industriels à la fabrication additive et ainsi permettre l’innovation du secteur. L’ambition de Normandy Ecospace est d’être la référence européenne, mondiale de la fabrication additive.

Aujourd’hui principalement actives en France et dans d’autres pays européens, des projets d’implantation en Afrique sont au stade d’étude. La phrase phare du président de Normandy Ecospace « Ce n’est plus la matière qui se déplace, mais la data » résume très bien l’avenir de Normandy Ecospace : permettre la production localisée des pièces, au plus près du client final, avec l’email comme référentiel de délai.

Alexandre Moussion