Malgré un net ralentissement des expéditions d’imprimantes 3D industrielles en 2024, plusieurs rapports récents ont souligné la bonne santé des services d’impression 3D. Le contexte économique, peu propice aux investissements en matériel, combiné aux obstacles persistants liés à la conception et à la qualification des pièces, a clairement profité aux fournisseurs de services de fabrication additive. Parmi les acteurs incontournables de ce segment, figure Sculpteo. Pionnier français de l’impression 3D en ligne passé sous le giron de l’allemand BASF en 2019, celui qui a un temps incarné les rêves de démocratisation grand public, trace aujourd’hui avec succès son sillon dans le B2B. Curieux d’en savoir plus sur la situation actuelle de l’entreprise et ses ambitions, j’ai rencontré Alexandre d’Orsetti. Nouveau CEO de Sculpteo depuis 2022, il a succédé à Clément Moreau, cofondateur et dirigeant emblématique de Sculpteo pendant 13 ans.
« Nous partageons l’optimisme des analystes quant à une reprise en 2025, portée par des facteurs comme l’évolution des technologies, l’émergence de standards renforçant la confiance des utilisateurs… »

Alexandre d’Orsetti
Bonjour Alexandre, j’aimerais en savoir plus sur le parcours qui vous a conduit jusqu’à Sculpteo ?
Je suis designer industriel de formation, j’ai fait l’ENSCI-les ateliers à Paris, qui place les process de fabrication au centre de la réflexion de conception, donc j’ai toujours été très intéressé par le potentiel des technologies de mise en forme de la matière, et des procédés industriels en particulier.
C’est à force d’utiliser l’impression 3D dans mes projets et après avoir contacté Sculpteo pour un partenariat, que je me suis rapproché de l’entreprise, et que je les ai rejoints en tant que designer industriel en 2016.
Jusqu’alors, quelle était votre expérience avec l’impression 3D ?
Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec cette technologie et de votre ressenti à l’époque ?J’ai découvert l’impression 3D pendant mes études, car nous avions des imprimantes à dépôt de fil pour réaliser nos prototypes, la première machine que nous avions dans l’école était une très grosse machine assez obsolète aujourd’hui probablement, assez lente (il fallait s’inscrire sur une liste d’attente) et je me rappelle que l’usage de l’impression 3D était très réglementé, pour une très bonne raison : comme il y avait des ateliers conventionnels à disposition dans l’école, afin de nous initier à la fabrication en bois, métal, polymères ( tournage, fraisage, thermoformage, soudure, découpe, collage, etc.) l’encadrement et la culture de l’école nous poussait à n’utiliser l’impression 3D uniquement si cela avait du sens, et que les pièces n’étaient pas faisables autrement.
Interdit donc d’imprimer un tube ou une demi-sphère qui était réalisable en usinage ou en thermoformage. La difficulté d’accès à cet techno, son prix élevé à l’époque, les budgets serrés de l’école et des étudiants, nous obligeaient à n’utiliser la technologie d’impression 3D qu’à bon escient.
Au fil de ma scolarité, nous avons vu arriver les petites machines à filament de bureau, beaucoup plus rapides, moins chères, et cela a participé à démocratiser l’utilisation de la technologie et la rendre moins restrictive.
Pour ceux qui ne vous connaîtraient pas encore, présentez-nous Sculpteo. Depuis sa création en 2009, quels sont les événements qui ont marqué son développement ?
Historique de Sculpteo (2009 à aujourd’hui)
2009 : Création de Sculpteo par Eric Carreel, Clément Moreau et Jacques Lewiner en France. Lancement d’une plateforme d’impression 3D en ligne accessible à tous.
2011-2013 : Expansion internationale, lancement de l’application mobile et diversification des matériaux (plastiques, céramique, métaux).
2014 : Introduction de Batch Control pour la production en série et spécialisation dans des secteurs industriels (aéronautique, médical, etc.).
2015 : Lancement de Fabpilot, un logiciel de gestion d’impression 3D pour les entreprises.
2019 : Rachat par BASF, renforçant son positionnement dans l’impression 3D industrielle.
2020-2024 : Accent sur les secteurs médical, dentaire et le luxe, avec un engagement pour des solutions durables et une expansion aux États-Unis.
Aujourd’hui, Sculpteo est un leader mondial de l’impression 3D, reconnu pour son innovation et ses services adaptés aux besoins industriels.
Depuis son acquisition par BASF, Sculpteo a considérablement élargi son offre matériaux, mais aussi son parc machines. Combien d’imprimantes assurent aujourd’hui votre production. Auriez-vous quels chiffres clefs à nous donner ?
Aujourd’hui, Sculpteo dispose d’une trentaine d’imprimantes 3D industrielles. Nous produisons entre 75.000 et 100.000 objets par mois, et nous employons une quinzaine d’opérateurs de production.
« BASF a été un atout majeur pour Sculpteo, nous offrant un accès privilégié à une expertise en plasturgie qui aurait été hors de portée pour un acteur indépendant »
Le fait de pouvoir accéder à plus large éventail de matériaux grâce à BASF, mais aussi de son expertise, quelles nouvelles opportunités cela a-t-il ouvertes en termes de secteurs et d’applications ?

L’un des systèmes industriels polymère composant le parc machines de Sculpteo
La collaboration avec BASF a été un atout majeur pour Sculpteo, nous offrant un accès privilégié à une expertise en plasturgie qui aurait été hors de portée pour un acteur indépendant. Ce savoir-faire nous a conféré une légitimité accrue pour adresser des secteurs exigeants comme le médical ou des applications techniques complexes.
Grâce au soutien indéfectible de notre maison mère, nous avons pu bénéficier d’outils avancés tels que la simulation et l’ingénierie de pointe, renforçant ainsi notre capacité à répondre aux besoins des clients les plus exigeants.
Depuis la création de Sculpteo en 2009, de nouveaux matériaux procédés additifs ont fait leur apparition, je pense notamment au jet de matière et de liant, ou encore d’autres techniques inspirées du MIM. En spécifiant votre offre actuelle, quelles nouvelles technologies avez-vous décidé d’intégrer et pourquoi ? Comment se fait la sélection ?
L’arrivée des technologies comme le MIM ou le jet de liant n’a pas fondamentalement révolutionné notre offre technologique. Des procédés tels que le SLS, qui occupent une place centrale dans notre activité, existent depuis près de quatre décennies et restent aujourd’hui incontournables.
Ces technologies représentent toujours une part essentielle de notre activité et continuent d’offrir de nombreux avantages par rapport aux procédés de projection de liant, comme le MJF (Multi Jet Fusion). Qu’il s’agisse des polymères (SLS) ou des métaux (DMLS, SLM), les technologies de fusion directe, qu’elles soient dédiées au plastique ou au métal, ont démontré leur efficacité et leur fiabilité.
Cela dit, il est important de noter que dans certains cas, les technologies de jet de liant ont apporté un gain de productivité, notamment en matière de fabrication en série, élargissant ainsi les options disponibles pour répondre à des besoins spécifiques.
Les technologies de fabrication additive que nous sélectionnons sont choisies pour leur capacité à répondre aux besoins de nos clients sur nos marchés cibles, actuels ou futurs. Nous identifions des secteurs spécifiques où des besoins particuliers se manifestent, qu’il s’agisse de précision, de matériaux ou de finitions.
Par exemple, dans le secteur de l’électronique, une demande fréquente concerne l’utilisation de matériaux ESD (à décharge électrostatique). Nous répondons à ce besoin en proposant une matière ESD via une technologie de type « poudre », un procédé industriel que nous maîtrisons parfaitement. Toutefois, notre choix aurait également pu se porter sur une autre technologie permettant de produire des pièces ESD, selon les exigences spécifiques du marché.
De plus, il nous arrive de cibler des marchés ou des applications où une technologie particulière peut offrir une réponse idéale. Dans les cas où le potentiel de ce marché ne justifie pas immédiatement un investissement dans une machine dédiée, nous collaborons avec des partenaires pour tester une offre ou un service. Si l’intérêt pour cette technologie se confirme, nous prenons alors la décision d’investir pour l’intégrer pleinement à notre capacité de production.
« une grande partie d’entre eux s’équipent de petites machines pour leurs besoins de prototypage et font appel à nous pour les séries »
En tant que prestataire de service, vous êtes en première ligne pour observer les évolutions du marché. Quels changements avez-vous observé chez vos clients, notamment en termes de compréhension de la technologie et l’évolution de leurs demandes ? L’impression 3D est-elle encore trop associée au prototypage ?
Oui et non, bien sûr elle est toujours associée au prototypage car c’est un des atouts indéniable de ces technologies. Ceci dit, en tant que service ce que nous observons est une tendance vers la série, car nous disposons du parc, du savoir faire, des finitions, certifications pour prendre des séries importantes en volume et en exigence technique. Tandis que le segment du prototypage semble souvent s’intégrer chez nos clients, via le développement des machines moins chères et suffisamment performantes pour une partie du prototypage.
Donc je pense que le prototypage fera toujours partie de notre offre et des besoins de nos clients, mais une grande partie d’entre eux s’équipent de petites machines pour leurs besoins de prototypage et font appel à nous pour les séries. C’est bien sûr une tendance, et cela dépend du type de client, des secteurs. Un autre élément que j’aimerais souligner, c’est qu’il y a toujours eu cette polarisation de la production entre d’un côté le prototypage et de l’autre côté la série. Je pense que l’impression 3D (surtout avec des machines industrielles) remet en question cette catégorisation.
En effet, la proposition de valeur de l’impression 3D est entre autre la flexibilité de production, c’est-à-dire la fabrication à la demande, ce qui permet par exemple dans le secteur de l’orthopédie de commander à l’unité des objets fonctionnels (donc pas du tout des prototypes) tous spécifiques à un patient. Le changement que l’on observe, en parallèle de l’augmentation du volume des séries, est la création de nouveaux business model associés à la fabrication à la demande.
« il y a toujours (et il y aura) toujours un manque de connaissance sur la conception des pièces pour qu’elles soient parfaitement adaptées »
Au-delà du processus strict d’impression, la fabrication additive implique un certain nombre d’étapes encore très chronophages, et donc coûteuses, comme le post-traitement et la conception. Sur ce dernier point, j’imagine d’ailleurs que vous recevez beaucoup de fichiers inadaptés, mal conçus et/ou non optimisés, qui doivent être retravaillés. Quelle est l’ampleur de cette problématique ? Au-delà des logiciels n’est-ce pas avant tout un manque de maîtrise et de connaissances ?
Si, il y a toujours (et il y aura) toujours un manque de connaissance sur la conception des pièces pour qu’elles soient parfaitement adaptées, mais je pondérerai ce constat selon les demandes. D’une part, je pense que cela va de pair avec la technologie de par son accessibilité : si on veut injecter une pièce, il va falloir un investissement initial et l’échange avec un mouliste/bureau d’étude qui est un passage obligé par une optimisation du fichier, une conception adaptée. Or c’est aussi la proposition de valeur de la 3D de produire facilement et rapidement une pièce, et cette accessibilité immédiate, sans investissement préalable draine donc forcément son lot de pièces peu adaptées à la technologie.
Si la pièce n’est pas parfaitement adaptée à la techno, elle peut être infaisable (mais c’est tout de même rare) mais la plupart du temps, c’est juste qu’elle sera plus difficile à produire, elle va générer plus de temps de pré-process et de post-process (par exemple déboucher des canaux internes avec de la poudre coincée), et elle ne tirera pas bien parti de la techno et aura certainement des défauts (par exemple ovalisation des trous, gauchissement etc.)
Notre métier est d’arriver à produire correctement ces pièces, notamment grâce à notre savoir-faire (compréhension de la thermique, de la chimie des polymères, expérience) mais aussi nos logiciels de réparation, d’anticipation des défauts, etc.
L’effort de reconception prends d’autant plus de sens si cette pièce est amenée à être réimprimée régulièrement ou en série, et c’est plutôt à ce moment qu’il faut faire l’effort de par exemple travailler avec nos équipes internes pour intégrer au mieux les contraintes de fabrication pour optimiser les opérations et donc le prix.
« L’établissement de standards universels, adoptés par l’ensemble des acteurs de l’industrie, serait un levier clé pour renforcer la confiance des utilisateurs »
Selon vous, quels sont les autres freins, je pense notamment aux exigences de certifications et de contrôle qualité, qui pèsent le plus sur le marché ?

Casque de correction de plagiocéphalie imprimé en 3D par Sculpteo, répondant à la norme ISO 13485
Des freins importants subsistent pour le développement de certaines applications, notamment dans le domaine médical, où les certifications sont souvent indispensables. Nous avons obtenu la certification ISO 13485 pour la production de pièces destinées aux dispositifs médicaux, ce qui a renforcé la confiance de nos clients dans ce secteur. Nous avons investi massivement dans le domaine de la santé, un marché stratégique en forte croissance, où nous voyons un potentiel de développement considérable.
Par ailleurs, des défis persistent concernant le contrôle qualité des pièces issues de technologies variées, en particulier lorsque l’application finale du client n’est pas clairement définie ou que la fabrication n’a pas été discutée en détail avec nos équipes. L’établissement de standards universels, adoptés par l’ensemble des acteurs de l’industrie, serait un levier clé pour renforcer la confiance des utilisateurs et structurer davantage le marché.
« l’accent mis sur des marchés stratégiques comme le médical ou le luxe nous ont permis de limiter l’impact de ce ralentissement »
Ces deux dernières années, on observe un ralentissement du marché mondial de l’impression 3D, en particulier sur les expéditions de systèmes industriels polymère. En tant que service avez-vous, vous aussi été impacté ? Nombre d’analystes entrevoient une reprise pour 2025. Quel est votre regard sur cette tendance et vos prévisions ? Enfin, quel bilan tirez-vous de l’année écoulée, et quelles vos ambitions pour 2025 ?

Dans son dernier rapport pour la période Q2 2024, le cabinet d’études Context confirmait ce qu’il avait pu observer au dernier trimestre 2023 et 1er trimestre 2024, c’est à dire une baisse globale des expéditions d’imprimantes 3D industrielles, tandis que les machines d’entrée de gamme sont en plein boom.
Il est vrai que le marché mondial de l’impression 3D a connu un ralentissement ces dernières années, notamment dans le segment des systèmes industriels pour les polymères. Ce contexte économique, marqué par des incertitudes globales et une prudence accrue dans les investissements, a affecté de nombreux acteurs, y compris les services comme le nôtre.
Cependant, nous avons constaté que la diversification de nos secteurs d’activité et l’accent mis sur des marchés stratégiques comme le médical ou le luxe nous ont permis de limiter l’impact de ce ralentissement. La demande pour des applications spécifiques, nécessitant des solutions sur mesure et des matériaux avancés, reste forte.
Nous partageons l’optimisme des analystes quant à une reprise en 2025, portée par des facteurs comme l’évolution des technologies, l’émergence de standards renforçant la confiance des utilisateurs, et un retour à des dynamiques de croissance post-pandémie. Nous continuons à investir dans l’innovation et le développement de nos capacités pour être prêts à accompagner cette relance.
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