Si l’impression 3D laisse entrevoir des perspectives passionnantes pour tout un pan de l’industrie, l’impression de tissus vivants promet des avancées plus vertigineuses encore dans le domaine de la santé. Plus connu sous le nom de bio-impression, ce procédé qui s’apparentait à de la science fiction il y a encore quelques années, commence à livrer ses premiers résultats. Les nombreux espoirs que porte en elle cette méthode en terme de médecine individualisée et régénérative, engendre aussi beaucoup de fantasmes et d’effets d’annonce. Présentée par certains comme un progrès presque à portée de main, la promesse d’organes imprimés en 3D transplantables chez l’homme, occulte parfois les avancées réelles de cette technologie. Pour faire le point sur ses progrès et mieux comprendre ses enjeux, Primante3D a interrogé deux experts français de la bio-impression : le co-fondateur de la start-up bordelaise Poietis Bruno Brisson, et Christophe Marquette fondateur de la plateforme lyonnaise 3D.FAB.
« il est illusoire de penser qu’il sera possible d’imprimer des tissus ou organes implantables avec des systèmes de paillasse »
Bruno Brisson bonjour, pour les plus néophytes pourriez-vous expliquer en quoi consiste la bio-impression 3D ?
Ces dernières années, l’impression 3D s’est développée dans le domaine de la santé. Les dispositifs médicaux ou prothèses sur mesure ont été les premières applications de cette nouvelle technologie. Ainsi à partir de biomatériaux et polymères inertes les premières applications de l’impression 3D en santé consistent à concevoir et produire des « pièces de rechange » sur mesure pour l’être humain. Il s’agit le plus souvent de pièces dures de comblement et de réparation osseuse, des prothèses, et on voit aussi des applications dans le secteur des appareils orthopédiques, des orthèses fabriquées sur mesure.
Par exemple, en 2011, la première prothèse (mâchoire en titane), réalisée grâce à l’impression 3D, a été implantée. En mai 2013, une prothèse de trachée est réalisée pour un nouveau-né. L’année suivante, un crâne imprimé en 3D (le plus grand jamais posé) a été implanté chez une femme de 22 ans aux Pays Bas. Outre ces dispositifs médicaux réalisés à partir de matières inertes, les chercheurs se sont lancés un défi d’une toute autre nature, ce que nous définissons comme la bio-impression, qui consiste à imprimer de la matière vivante cellulaire.
La bio-impression s’est développée en réponse aux défis de l’ingénierie tissulaire qui a pour but de stimuler la régénération de tissus déficients (abîmés par un accident ou une maladie) et/ou de créer des substituts pour restaurer, maintenir et améliorer la fonction tissulaire. En laboratoire, la bio-impression utilise les principes de l’impression 3D et procède ainsi à l’assemblage couche par couche des constituants des tissus biologiques (tels que les cellules et la matrice extracellulaire) selon des organisations prédéfinies par conception numérique. Il s’agit donc bien d’une technologie additive, dont la matière première est vivante : ce sont les différents types cellulaires d’un tissu.
Les chercheurs définissent communément la bio-impression comme :
“L’utilisation de procédés de fabrication numérique permettant d’organiser et d’assembler en 3D les constituants des tissus biologiques dans le but de produire des greffons pour la médecine régénératrice ou des modèles physiologiques pour la recherche biomédicale. » F. Guillemot, V. Mironov & M. Nakamura, Biofabrication (2010)
Que sait-on de la genèse de ce procédé et de ses précurseurs ?
Le concept de bio-impression est une histoire ancienne :
1984 : Mise au point de la première imprimante 3D capable d’imprimer avec de la matière inerte.
1988 : Robert J. Klebe de l’Université du Texas parvient à décrire dans un article paru dans Experimental Cell Research une technique « qui pourrait aider à produire des tissus artificiels qui ressembleraient à des tissus naturels et des organes ». A partir d’une imprimante de bureau à jets d’encre, il parvient à imprimer le mot « Fibronectin » en fibronectine, une glycoprotéine de la matrice extra cellulaire. Il réalise le 1er assemblage 3D avec 2 couches de collagène.
Source : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/0014482788902753?via%3Dihub
1994 : Il parvient, quelques années plus tard, à contrôler le micro positionnement de cellules à l’aide d’un dispositif de tri cellulaire couplé à un ordinateur. Cette technique permettrait de préparer des structures qui ressemblent à des tissus constitués de plusieurs cellules.
2003 : Eclosion de plusieurs projets de bioimpression par jet d’encre à travers le monde
(Thomas Boland – Clemson University US / Makoto Nakamura – Tokyo University). Pour la première fois, le magazine Science parle de cette nouvelle technologie.
2005-2007 : Développement de la bio-impression assistée par Laser (LAB) au laboratoire Inserm « Bioingénierie Tissulaire » de l’Université de Bordeaux, qui imprime des structures vivantes cellulaires dès 2006.
2007 : Création de la première société de bio-impression « Organovo » basée à San Diego, Etats- Unis. Celle-ci utilise la technique de bioextrusion développée depuis quelques années à l’Université du Missouri par Gabor Forgacs.
2010 : Démonstration de la faisabilité d’imprimer in vivo, afin de réparer directement un défaut du crâne d’une souris, par le laboratoire Inserm « Bioingénierie Tissulaire » à Bordeaux.
2013 : Bioimpression de cellules souches embryonnaires humaines par les chercheurs de l’Université Heriot Watt à Edimbourg.
2014 : création de Poietis (www.poietis.com)
« une douzaine de centres de recherche dans le monde se sont spécialisés dans le développement des technologies de bioimpression »
On a assisté ces dernières années à une véritable démocratisation et une explosion de l’offre en bioimpression. A combien estime t-on le nombre de centres de recherche mobilisés autour du bioprinting dans le monde et les revenus générés par ce marché naissant ?
Au niveau académique une douzaine de centres de recherche dans le monde se sont spécialisés dans le développement des technologies de bioimpression, mais au niveau de l’utilisation nous parlons de plusieurs milliers de laboratoires qui sont soit déjà équipés de bioimprimantes et/ou qui souhaitent s’équiper pour pouvoir avancer leurs travaux de recherches et développer de nouvelles applications grâce à cette technologie, et ce que ce soit pour de la biologie fondamentale, des travaux sur les biomatériaux, en oncologie ou encore en recherche translationnelle.
C’est aussi pour cela que l’offre des systèmes de bioimpression ne serait-ce qu’à visée de recherche est très différenciée, avec : des systèmes d’entrée de gamme, principalement basés sur des systèmes d’extrusion : Moins de 50 000€, pour des besoins éducatifs et les travaux pratiques d’étudiants ; des systèmes à faible coût : 50 – 150K€ pour la recherche fondamentale ; et des systèmes plus haut de gamme : de 150€ à plus de 300K€, pour des travaux plus sophistiqués et la recherche translationnelle.
Dans cette dernière catégorie, Poietis commercialise la plateforme de bio-impression NGB-R : un système multimodal, à hautes résolution et précision, combinant trois technologies qui peuvent tre utilisées simultanément : l’impression assistée par laser, la microvanne et l’extrusion, et d’une manière indépendante de l’opérateur (avec bras robotique de qualité industrielle) https://lnkd.in/dR-Ft6P
Il est difficile de chiffrer précisément les revenus générés par ce marché naissant. Des études sérieuses parlent d’un marché de l’ordre du Milliard d€ en 2020, mais incluent souvent l’impression 3D appliquées au sciences de la vie et des contrats de recherche. Le marché des bioimprimantes représenterait environ 100 millions d’€ sur ce chiffre.
De façon intéressante, le cabinet IDTEchEx a récemment présenté l’évolution du marché de la bio-impression qui devrait se faire au bénéfice des bio-imprimantes « haut-de-gamme » (telles que celles développées par Poietis) alors que le marché est aujourd’hui principalement porté par les bio-imprimantes à bas coût vendues aux laboratoires académiques. (www.idtechex.com/research/reports/3d-bioprinting-2017-2027-technologies-markets-forecasts- 000537.asp)
« les approches d’ingénierie tissulaire basées sur un échafaudage peinent à trouver le chemin du succès thérapeutique et industriel »
Beaucoup de fantasmes et d’effets d’annonce entourent aujourd’hui la bio-impression, notamment sur les organes. Que pouvez-vous nous dire sur les avancées réelles? Quels sont les produits bioimprimés qui sont aujourd’hui d’ores et déjà commercialisés dans le monde ?
Jusqu’à présent, les thérapies basées sur les techniques d’ingénierie tissulaire ne sont pas parvenues à utiliser en clinique les structures cellulaires créées, notamment avec les technologies conventionnelles de culture cellulaire. Malgré des investissements substantiels pour répondre aux attentes cliniques et commerciales, et alors que les réalisations scientifiques au stade de la recherche préclinique ont parfois été impressionnantes, les approches d’ingénierie tissulaire basées sur un échafaudage peinent à trouver le chemin du succès thérapeutique et industriel. Les principaux défis pour la fabrication des produits d’ingénierie tissulaire qui seront considérés comme des MTI (médicaments de thérapie innovante) concernent l’amélioration de la standardisation des processus de fabrication, la fonctionnalité des tissus, ainsi que la rentabilité et la rentabilité des traitements connexes.
C’est dans ces axes que la technologie de bio- impression – grâce à ses caractéristiques résultant de la convergence de l’automatisation, de labiologie et de la technologie numérique – devrait permettre de surmonter les goulets d’étranglement actuels dans la fabrication des tissus et également offrir de nouvelles possibilités.
La liste des tissus/organes sur lesquels des équipes de recherche travaillent dans le monde grâce à la bioimpression est longue : Vessie, Vaisseaux sanguins, Valve cardiaque, Rein, Foie, Peau, Muscles, etc.
« Malgré les avancées des recherches, il n’est actuellement pas possible d’imprimer des organes entiers fonctionnels »
Mais il est illusoire de penser qu’il sera possible d’imprimer des tissus ou organes implantables avec des systèmes de paillasse basés uniquement sur des pousse-seringues automatisés. En faisant une similitude avec l’impression papier, c’est comme si vous vouliez imprimer une affiche de cinéma avec votre imprimante personnelle à la maison : vous n’avez ni le bon format, ni les bonnes cartouches, ni la bonne résolution pour un résultat professionnel.
Malgré les avancées des recherches, il n’est actuellement pas possible d’imprimer des organes entiers fonctionnels, contrairement à ce qu’on peut lire ou entendre ici ou là.
A notre connaissance il n’y a pas d’essais cliniques en cours d’un produit bioimprimé, et Poieskin® était le premier modèle tissulaire bioimprimé commercialisé, à des fins de recherche uniquement. https://poietis.com/tissue-models/
D’autres sociétés comme ORGANOVO se sont positionnées à un moment comme prestataires de services, c-a-d en utilisant a priori des tissus bioimprimés pour réaliser des tests pour compte de tiers en interne, mais sans « commercialiser » le tissu à proprement parlé.
Aujourd’hui, la bio-impression concerne essentiellement la production de tissus organiques, plus « simples » à reproduire car moins complexes, en comparaison à des organes tels un rein, un foie voire un cœur qui possèdent des structures extrêmement compliquées. Mais dans un premier temps, à plus ou moins courte échéance, on peut envisager des avancées en cliniques de structures lamellaires (la peau, un patch tissulaire, une cornée par exemple).
Quels sont aujourd’hui les derniers freins qui nous séparent d’une implantation de tissus de peau chez l’être humain, et – à beaucoup plus longue échéance – les nombreux obstacles qu’il nous faudra encore surmonter pour créer des organes fonctionnels ?
La technologie, c’est-à-dire le mode de production des tissus/organes devra répondre à des exigences de bonnes pratiques de fabrication cliniques (contrôles qualité, standardisation, robustesse) et le chemin réglementaire est bien évidemment, et heureusement, plus drastique, pour des tissus imprimés à visée de greffes (études de sécurité et de non-toxicité in vitro réglementaires) avant d’envisager une implantation. C’est tout l’objet de notre accord avec l’AP- HM : https://fr.ap-hm.fr/actu/une-peau-bio-imprimee-pour-reparer-les-lesions-tissulaires
A plus longue échéance, pour des organes fonctionnels plus complexes, certains obstacles restent de vrais challenges aujourd’hui, notamment :
– la quantité et la qualité des cellules utilisées comme matière première
– la taille et volume des « objets » à imprimer
– le maintien en vie des organes avant implantation, demandant nécessairement une vascularisation.
« La recherche actuelle est largement focalisée sur l’utilisation d’encres d’impression fugitives »
Christophe Marquette bonjour. La vascularisation constitue un défi majeur de la bio-impression, notamment pour le passage à l’échelle. Où en est la recherche actuellement ?
La recherche actuelle est largement focalisée sur l’utilisation d’encres d’impression fugitives qui permettent une impression aisée d’un objet compact (sans canaux) au sein duquel les capillaires sont ensuite libérés par lavage/dissolution.
Ces techniques permettent d’obtenir des structures d’une complexité plutôt réduite et dans tous les cas rarement cellularisées comme les structures natives (trois couches, multicellulaire).
Il y a différents niveaux de vascularisation nécessaires, la micro et la macro. La macro peut être en partie obtenue grâce aux techniques ci-dessus, la micro est générée in situ par auto-assemblage et développement de microcapillaires à partir de cellules endothéliales ensemencées dans les encres.
Enfin, certaines approches essaies de se focaliser sur l’impression directe de structures multicouches, plus proche de la structure native, chaque couche possédant sa propre composition cellulaire et protéique. C’est une approche très complexe techniquement mais qui pourra si elle se développe apporter des solutions efficaces.
Quels sont les enjeux liés à la régénération de tissus ?
Le premier enjeu est bien sûr de reconstituer la fonctionnalité, c’est-à-dire la fonction du tissu au sein du corps. En effet, la régénération est là pour palier une déficience ou un défaut de tissus et au-delà de la composition en cellules ou matrices, en plus de la forme, il est impératif que le tissu régénéré puisse être actif et fonctionnel.
Les techniques actuelles s’attache assez peu à cette problématique, les recherches sont pour l’instant focalisées sur obtenir les forme et la composition, ce qui est bien sûr un pré-requis mais qui ne sera pas suffisant.
Le second enjeu est réglementaire, il faut être capable a généré des tissus utilisable pour la régénération chez l’humain, donc entrant dans le cadre très restreint des matières implantables et des procédés de fabrication validés. Actuellement, les approches, privés ou académiques, tendant à soulever ce verrou sont très rares. Je pense que HealShape, notre nouvelle start-up est une des seules à travailler directement partir de ces contraintes.
Quel est l’intérêt des cellules souches en bioimpression ?
La bioimpression avec les cellules souches permet de s’affranchir de la source de cellules différentiées nécessaire à la fabrication de certains tissus complexes. C’est le cas par exemple pour la rétine dans laquelle les photorécepteurs sont des cellules non cultivable (on ne peut pas les multiplier). Il est alors intéressant d’imprimer des cellules souches, puis de les différentier en cellules fonctionnelles.
« Il faudra donc aux premiers tissus bioimprimés mis sur le marché encore beaucoup de travail et de discussion »
Outre les nombreux défis techniques comment évolue le cadre réglementaire ?
Comme mentionner plus haut, la bioimpression, c’est-à-dire l’impression de tissus vivants fonctionnels, est composée de cellules et de biomatériaux. Les biomatériaux doivent être validés ou validables réglementairement mais le procédé de préparation des cellules également. Les tissus implantables seront alors considérés comme des médicaments (de thérapie innovante). C’est une catégorie réglementaire encore trop peu utilisée ou étudiée et les précédents sont quasi-inexistant (un exemple sont les feuillets épidermiques pour la greffe sur grand brûlés).
De la même manière, les études cliniques pouvant appuyer/faire évoluer les règles d’application des outils réglementaires. Il faudra donc aux premiers tissus bioimprimés mis sur le marché encore beaucoup de travail et de discussion avec les instances réglementaires afin de définir les ces règles d’application.
Quels sont les atouts de la France et ses faiblesses dans le domaine de la bioingénierie ?
Les atouts de la France sont d’une part une communauté scientifique dense autour de la science des biomatériaux, d’autre part une recherche clinique et hospitalière très présente permettant d’amener rapidement des solutions (de bio ingénierie) innovantes vers des applications cliniques, et enfin un système de financement publique assez foisonnant.
Les faiblesses sont comme toujours le manque de financement initial (scientifique amont) mais également l’absence de laboratoire multidisciplinaire ou sont regroupé des spécialistes de la bioingénierie, des matériaux, des procédés, de la biologie et de la clinique.