Avec plus de 3,3 milliards de dollars de revenus générés en 2014 dans le monde, le marché de l’impression 3D connaît un développement sans précédent. Si la démocratisation tant attendue n’est pas encore tout à fait pour aujourd’hui, son accessibilité croissante pour le grand public soulève de nombreuses questions sur le plan de la propriété intellectuelle. Comme toutes technologies à caractère disruptif, l’impression 3D, outre ses bienfaits et ses promesses, apporte aussi avec elle de nouveaux risques et enjeux qu’il va falloir gérer. À l’instar d’internet qui a totalement bouleversé la protection des œuvres culturelles, l’impression 3D qui s’appuie également sur des fichiers numériques, pose aussi la question de la contrefaçon.
Au vu des nombreuses interrogations que suscite aujourd’hui cette problématique et des enjeux juridiques que soulève l’impression 3D, PRIMANTE3D est allé à la rencontre de l’INPI (Institut National de la Propriété Intellectuelle) pour éclaircir ce vaste sujet. Juriste chargée d’étude à l’INPI, Fatima Ghilassene nous explique en quoi l’impression 3D est un défi à la propriété intellectuelle, quelles sont aujourd’hui les solutions existantes et les mesures qui pourraient être mises en place.
« l’impression 3D est une technologie dont l’utilisation pourrait porter atteinte à l’ensemble des droits de propriété intellectuelle »
Fatima bonjour, pourriez-vous vous présenter et définir vos fonctions à l’INPI ? Quelles sont vos missions ?
Bonjour Alexandre, juriste de formation, je suis chargée d’études à l’observatoire de la propriété intellectuelle de l’INPI. J’ai à la fois pour mission de piloter des études que l’INPI fait faire par des prestataires dans le cadre d’appels d’offres et aussi de mener des travaux de réflexion sur différents sujets touchant au droit de la propriété intellectuelle, telle que l’étude sur l’impression 3D, publiée sur le site de l’INPI en septembre 2014.
Vous souvenez vous de la première fois où vous avez entendu parler d’impression 3D ? Comment la juriste que vous êtes a-t-elle perçu cette technologie au premier abord ?
J’ai entendu parler pour la première fois de l’impression 3D il y a environ quatre ans, comme une nouvelle technologie de fabrication en voie d’utilisation dans l’industrie. Mais c’est en 2013 que j’ai réalisé à travers la presse que cette technologie était en essor dans l’industrie et en voie de démocratisation auprès du grand public.
En tant que juriste, au premier abord, j’ai perçu cette technologie uniquement sous ses effets négatifs, c’est à comme un nouveau vecteur de contrefaçon. C’est en réalisant le rapport pour l’INPI que j’ai découvert qu’il s’agit tout d’abord d’une technologie de rupture facteur d’innovation, largement adoptée par l’industrie.
On assiste ces dernières années à une démocratisation croissante de l’impression 3D. Si cette technologie est utilisée depuis longtemps par certains professionnels, l’impression 3D grand public est actuellement en plein essor. Dès lors sa faculté à reproduire des objets à l’identique pose question. Quelles sont les conséquences sur le respect de la propriété intellectuelle ?
Cette technologie est en effet utilisée par l’industrie depuis plus de 30 ans sans soulever de questions d’ordre juridique car entre professionnels les droits de propriété intellectuelle sont réglés par voie contractuelle. Or, ces dernières années, parallèlement au développement exponentiel de cette technologie dans le monde de l’industrie, on assiste en effet à un phénomène de démocratisation de cette technologie auprès du grand public. L’impression 3D permet de reproduire un objet à l’identique et à partir de nombreuses sources (internet, scanners 3D). Cet objet peut être une œuvre protégée par un droit de propriété intellectuelle, c’est-à-dire le droit d’auteur, le droit des marques, le droit des dessins et modèles ou le droit des brevets. Or reproduire une œuvre, même partiellement, sans l’autorisation du titulaire des droits attachés à l’œuvre, constitue un acte de contrefaçon.
« L’impression 3D inquiète les titulaires de droits… »
Il est important de bien la comprendre la notion de contrefaçon si l’on veut bien mesurer la problématique. Pourriez-vous la définir ?
Pour stimuler la création et l’innovation, le législateur accorde aux créateurs, inventeurs et aux titulaires de marques distinctives, un droit de propriété intellectuelle sur leurs créations, inventions, marques et dessins et modèles. Ce droit exclusif d’une durée déterminée (jusque 70 ans après la mort de l’auteur, 20 ans pour un brevet, 25 ans pour un dessin et modèle et renouvelable tous les dix ans pour les marques) confère à son titulaire un monopole d’exploitation qui signifie que toute reproduction d’une œuvre protégée doit au préalable être autorisée par celui-ci. Par conséquent, toute reproduction d’un objet protégé par un droit de propriété intellectuelle sans l’autorisation du titulaire de ce droit est une atteinte constitutive de contrefaçon.
L’impression 3D inquiète les titulaires de droits dans la mesure où elle permet en effet de reproduire divers objets à leur insu donc sans leur autorisation et sans contrepartie financière, ce qui peut constituer, si l’usage de cette technologie se répand, un manque à gagner pour les ayants droits et risque à terme de décourager les investissements dans la recherche et la création.
La situation de l’impression 3D fait échos aux conséquences du développement numérique sur d’autres œuvres telles que la musique, la littérature et le cinéma, soumis au problème du téléchargement. Pour autant la problématique semble plus complexe avec l’impression 3D qui outre le droit d’auteur, touche à une multitude de titres de propriété. Quels sont-ils ?
Il est vrai que l’impression 3D est une des conséquences de l’expansion du numérique et à son extension à toutes les sphères d’activités. Mais alors que le phénomène de partage des œuvres audiovisuelles facilité par internet soulevait des problématiques cantonnées au droit d’auteurs, l’impression 3D est une technologie dont l’utilisation pourrait porter atteinte à l’ensemble des droits de propriété intellectuelle. Il est en effet possible de reproduire une sculpture protégé par des droits d’auteurs, un jouet protégé par un brevet et une marque ainsi qu’une chaise protégée par un dessin et modèle.
Le particulier est-il vraiment concerné à partir du moment où l’usage privé et à des fins non commerciales, semble le plus souvent faire échec à toute contrefaçon ? Dans quel cas l’exception de copie privée n’est pas applicable ? Imaginons que « demain » je scanne par exemple un vase chez moi et que je l’imprime… Il semble y avoir un hiatus juridique avec la propriété industrielle…
En effet, le législateur a prévu des limites à l’exercice du droit de propriété intellectuelle. Ces limites sont limitativement énumérées dans le code de la propriété intellectuelle. Au niveau du droit d’auteur, l’article L. 122-5 prévoit une liste de situations dans lesquelles l’auteur ne peut interdire les représentations, copies ou reproductions de son œuvre. L’exception pour copie privée énoncée au 2° de cet article n’est retenue que si trois conditions sont cumulativement réunies. La copie :
* est réalisée à partir d’une source licite, c’est-à-dire à partir d’une œuvre originale acquise légalement par le copiste,
* réservée à un usage strictement privé
* ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et ne porte pas préjudice aux intérêts légitimes du titulaire des droits.
Par conséquent, si demain vous scannez une œuvre achetée par un voisin ou pour la reproduire chez vous, les trois conditions ne seront pas réunies et vous pourrez être poursuivi pour contrefaçon, à condition évidemment que le titulaire des droits sur l’œuvre ait connaissance de l’acte de reproduction, ce qui pourrait arriver si vous vous mettez la version numérique de l’œuvre que vous aurez scannée sur internet.
« Je ne pense pas que l’on puisse parler de révolution juridique »
Dès lors, doit-on pour autant s’attendre à une révolution juridique ?
Je ne pense pas que l’on puisse parler de révolution juridique pour autant et ce, pour trois raisons. Premièrement, le phénomène de démocratisation tant annoncé est à nuancer. On est encore loin de l’hypothèse dans laquelle nous aurons tous une imprimante 3D chez nous. S’il y a bien démocratisation du marché des imprimantes 3D, celle-ci n’est pas celle que l’on croit. En réalité, il s’agit de l’adoption d’imprimantes, autres que les grandes machines utilisées jusque-là dans l’industrie, par des créateurs et inventeurs indépendants.
Le marché des imprimantes destinées à des particuliers lambda est très marginal. Cette limite s’explique par le fait que l’utilisation de cette technologie nécessite un savoir-faire qui n’est pas à la portée de tout un chacun. Utiliser l’impression 3D exige en effet la maitrise des outils CAO. Par ailleurs, les scanners 3D disponibles sur le marché grand public ne permettent pas une numérisation instantanée des objets. De nombreuses manipulations sont nécessaires pour obtenir le modèle numérique d’un objet.
La deuxième raison est que si un marché grand public se développe, les modifications à apporter n’auront pas vocation à réécrire le code de la propriété intellectuelle dans son ensemble mais simplement à réviser certaines de ses dispositions afin de l’adapter aux enjeux juridiques posés par l’impression 3D.
« une redevance sur le matériel d’impression 3D ne peut être mise en œuvre que s’il existe un réel marché d’imprimantes 3D… »
Depuis 1985 une redevance appelée rémunération pour copie privée, permet de rémunérer artistes, producteurs, créateurs en taxant tout matériel (CD vierges, clefs usb, disques durs externes…) permettant des copies de musiques, vidéos ou d’images. L’impression 3D a quant à elle fait l’objet d’un projet redevance proposé en avril dernier pour être finalement rejeté. Quel serait selon vous le meilleur moyen de compenser le préjudice subi par les titulaires de droits sans que cela n’affecte l’économie de l’impression 3D ?
Je pense que ce projet d’amendement a été rejeté pour les raisons évoquées ci-dessus. La mise en place d’une redevance sur le matériel d’impression 3D ne peut être mise en œuvre que s’il existe un réel marché d’imprimantes 3D destinées aux particuliers pouvant constituer une assiette pertinente.
Ce projet d’amendement correspond à une des préconisations proposées dans l’étude que j’ai réalisée. Mais cette préconisation n’a de sens que si ce marché existe, ce qui ne semble pas encore le cas.
En attendant, les titulaires de droits peuvent utiliser des mesures techniques de protection. Certaines solutions permettent de contrôler l’utilisation des fichiers numériques comportant l’œuvre à l’état numérique. C’est le principe du streaming qui représente également un outil pour développer une offre légale de fichiers numériques à l’image de ce qui se fait en matière d’œuvres audio-visuelles. D’autres solutions consistent à identifier l’œuvre physique originale par un marquage sous forme d’empreinte numérique permettant ainsi aux autorités de lutte contre la contrefaçon de détecter les produits contrefaisant et d’authentifier les œuvres originales par un lecteur laser. Cette solution suppose au préalable une mobilisation des ayants droits pour la mise en place d’une base de données qui recenserait l’ensemble des œuvres protégées.
Cependant pour les professionnels, qui représentent la quasi majorité des utilisateurs de cette technologie, le contrat demeure l’outil idéal pour régler la question des droits de propriété intellectuelles entre les créateurs et les intermédiaires telles que les plates-formes.
Un grand merci à Fatima Ghilassene pour sa participation à cette interview. Pour information L’INPI vient de publier une nouvelle étude intitulée « la propriété intellectuelle et la transformation numérique de l’économie », sous la forme d’un ouvrage regroupant 18 articles dont certains sont consacrés à l’impression 3D. Vous la trouverez ici.
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