Très populaires chez les artistes amateurs et les professionnels de l’illustration 3D, les logiciels Blender et Zbrush sont régulièrement comparés. Une rivalité qui s’est d’autant plus accentuée depuis que ce dernier a changé de propriétaire. Outre la question du prix, et bien que partageant certaines similitudes en matière de sculpture numérique, ces outils très puissants de modélisation 3D répondent à des utilisations, des fonctionnalités et des applications différentes. Pour vous aider à y voir plus clair et déterminer lequel de ces deux logiciels est vraiment fait pour vous, PRIMANTE3D a sollicité l’avis de Nicolas Dellile, un professionnel de la création 3D. Un point de vue d’autant plus pertinent, que Nicolas est un expert de Zbrush qui s’est récemment converti à Blender.
« Depuis quelques années, il s’affirme comme une solide alternative face aux logiciels mastodontes du marché, et son mode Sculpture permet de concurrencer ZBrush… »
Bonjour Nicolas, pour ceux qui ne connaîtraient pas encore ton travail, pourrais-tu rappeler tes domaines d’expertise et compétences ?
Salut Alexandre. Je suis formateur en ligne sur ZBrush depuis 4 ans, et j’ai créé une formation gratuite pour tous ceux qui souhaitent apprendre ZBrush pour imprimer en 3D leurs propres créations et figurines, qui a formé plus de 2500 personnes à l’heure actuelle !
Sinon, je pratique Zbrush depuis 11 ans. J’ai commencé à l’utiliser en complément de mon premier logiciel 3D : Cinema 4D, quand je n’arrivais à réaliser des personnages ou des animaux. Cela m’a permis de répondre à des appels d’offres en tant qu’illustrateur 3D.
Il y a 3 ans, le fait de côtoyer des élèves qui voulaient modéliser pour l’impression 3D m’a fait m’y intéresser. J’ai actuellement une imprimante PLA, deux imprimantes résine, et je collabore avec Dominique Perrin, un imprimeur chevronné, sur notre projet Miniatures Makers où nous formons exclusivement à l’impression 3D résine (https://formations.miniatures-makers.fr/).
Enfin, depuis cette année, je collabore avec l’organisme Form2Fab sur un cursus ZBrush pour permettre aux demandeurs d’emploi de se former au logiciel, et pourquoi pas de lancer une activité dans la modélisation ou l’impression 3D.
« maintenant j’ose me dire que je vais m’intéresser à Blender et pourquoi pas y former du monde aussi »
Fort de tes 11 années d’expérience dans le logiciel Zbrush, qu’est-ce qui t’as motivé à progressivement t’orienter vers Blender ?
Déjà, la demande explose sur Blender. Et malheureusement, ZBrush a souffert de son changement de propriétaire. En effet, Pixologic (l’éditeur historique) a été racheté par Maxon (l’éditeur de Cinema 4D), ce qui n’est pas une mauvaise nouvelle en soi. Les utilisateurs de Cinema 4D vont profiter pleinement des possibilités de ZBrush. Mais c’est plutôt la communauté qui a mal vécu cette transition, notamment le prix du logiciel. Jusqu’alors, une sorte d’accord non officiel permettait d’avoir les mises à jour gratuites pour tout achat d’une licence perpétuelle.
Pendant des années, j’ai pu faire évoluer mon ZBrush gratuitement. C’était un coût (environ 900 euros), en une fois, mais ensuite on avait le logiciel quasiment à vie, ce qui était assez unique dans le monde des logiciels 3D. Dès le rachat, Maxon a mis fin aux mises à jour et aujourd’hui, il faut débourser entre 30 à 40 euros par mois pour profiter du logiciel.
Pour certains, ce coût sera compensé par l’activité, pour beaucoup qui sont plutôt hobbyistes, c’est trop cher. Et quand on souhaite former un maximum de gens, et que la plupart d’entre eux ne veulent pas évoluer dans le jeu vidéo mais faire cela par plaisir le soir, le prix revient comme un boomerang. Plusieurs gros formateurs sur ZBrush ont déjà quitté le navire. Moi j’y vais à mon rythme. J’adore ZBrush, mais maintenant j’ose me dire que je vais m’intéresser à Blender et pourquoi pas y former du monde aussi.
Pourrais-tu nous rappeler un peu les origines de Blender, ainsi que ses évolutions au fil du temps ?
Je connais bien Blender car il est proche dans sa structure de mon premier logiciel 3D : Cinema 4D. A l’époque, il n’était pas aussi évolué mais était prometteur, déjà par sa gratuité et son modèle open source. Depuis quelques années, il s’affirme comme une solide alternative face aux logiciels mastodontes du marché (3DSMax, Cinema 4D…), et son mode Sculpture permet de concurrencer ZBrush sur la modélisation organique.
« les deux logiciels font de la modélisation polygonale, mais le mode par défaut de Blender est de modéliser à partir de primitives »
En termes de technique de modélisation, explique-nous les différences les plus évidentes entre ces deux logiciels et en quoi elles influencent leur maîtrise ?
Fondamentalement, les deux logiciels font de la modélisation polygonale, mais le mode par défaut de Blender est de modéliser à partir de primitives, et de travailler avec les points, les arêtes et les polygones générés. ZBrush a révolutionné l’approche de la modélisation polygonale avec une façon de modéliser proche de la sculpture traditionnelle : on passe de la souris au stylet et on travaille sur le volume global sans se soucier trop des polygones et de leur topologie. Seul compte la forme que l’on souhaite obtenir. Puis, les différents logiciels standards du marché ont ajouté cette nouvelle façon de modéliser, cette « sculpture 3D », à leur arsenal, ce qui a donné lieu à un « mode sculpture ».
L’intérêt par exemple pour créer un personnage est que le corps sera plus simple à réaliser en sculpture, et les accessoires, vêtements seront plus simples à réaliser en modélisation dite « classique ». Quant à ZBrush, il a fait l’inverse : il a proposé un mode classique appelé ZModeler pour permettre à ses utilisateurs de rester sur le logiciel et ne pas avoir à exporter sur un autre logiciel certains projets qui nécessitaient une approche plus rigoureuse de la modélisation 3D.
Qu’est-ce qui différencie ces deux logiciels en termes de configurations requises ?
Avec un ordinateur récent, pas de soucis pour utiliser les deux (vous pouvez retrouver la configuration requise pour ZBrush ici : https://www.maxon.net/fr/requirements/zbrush-requirements, et celle pour Blender ici : https://www.blender.org/download/requirements/). ZBrush a toujours été assez souple, et même avec de vieux Macbook Pro, j’ai toujours réussi à le faire fonctionner, et même sur des modèles assez lourds.
De toute façon, c’est surtout un bon processeur qu’il faut sur ZBrush, même quand vous souhaitez lancer des rendus (et oui, même Redshift qu’ils ont ajouté sur ZBrush ne fonctionne qu’en CPU, j’étais déçu). Ensuite, tout dépend de ce que vous souhaitez faire : si vous voulez cracher du rendu et des films d’animation sur Blender, investissez dans une très bonne carte graphique, c’est essentiel.
« je trouve que les deux logiciels ont encore du chemin à faire pour simplifier leur interface et la rendre accessible »
Quelles sont les différences clés en termes d’interface utilisateur entre Blender et ZBrush, et comment ces différences affectent-elles le flux de travail ?
Petit aparté : je trouve que les deux logiciels ont encore du chemin à faire pour simplifier leur interface et la rendre accessible. ZBrush a classé ses onglets par ordre alphabétique, ce qui est totalement idiot car vous vous y perdez, sans compter les options qui ne sont accessibles qu’après avoir ouvert trois options successives, et qui pour autant sont super utiles (essayer de trouver le « del hidden » ou le « spotlight projection » quand vous ne vous souvenez plus où ils sont).
Cela pousse même à se faire une interface custom (qui va rajouter encore de la complexité visuelle) pour ne plus avoir à les rechercher à nouveau. Navré, mais comme j’ai été dans le civil designer ux/ui, mes yeux saignent encore sur ces interfaces. Pareil pour Blender d’ailleurs, mais la solution est autre : le logiciel est vraiment cool quand on commence à bien prendre en main les raccourcis clavier, mais il y en a tellement que c’est une vraie surcharge cognitive au début.
Mais pour parler des différences clés, je commencerai par la navigation : la caméra est collée à l’objet sur ZBrush, ce qui peut troubler ceux qui viennent d’autres logiciels. ZBrush a également un système de panneau qui peut en troubler certains au début (vous pouvez les afficher ou les masquer). Une fois qu’on a pris en main ces subtilités, on gagne en vitesse. Dans tous les cas, on a intérêt à passer un peu de temps à personnaliser son interface et sa navigation avant d’attaquer la suite en toute sérénité.
« on se rend vite compte qu’un bel outil c’est bien, mais que le plus important pour un artiste est ailleurs »
Selon toi, lequel de ces deux logiciels est le plus adapté à l’impression 3D et pour quel type de pièces imprimées en 3D Blender est-il le plus pertinent ? Qu’est-ce qui le différencie ou le rapproche de Zbrush sur ce point ?
Les deux logiciels sont adaptés à l’impression 3D. Je pense que sur les figurines, ZBrush restera toujours un cran au-dessus, de par sa gestion de modèles à très haute densité de polygones, et la qualité de ses outils. Mais quand on voit le résultat de certains artistes avec Blender, on se rend vite compte qu’un bel outil c’est bien, mais que le plus important pour un artiste est ailleurs : connaissances anatomiques, culture visuelle, assiduité, sens esthétique, attitude de son personnage etc…
Je mettrais donc ZBrush en avantage pour la modélisation de personnages à très haute définition, et Blender comme logiciel généraliste très performant.
« je pense qu’au lieu de les opposer, on pourrait aussi les additionner ensemble, ça couvre tout le spectre pour un beau projet ! »
Après plusieurs mois d’utilisation, quelles sont les fonctionnalités/réglages de Blender qui tu souhaiterais mettre en avant, ou au contraire souligner les limites et défauts ?
Finalement, je me rends compte qu’à défaut de trouver des différences, Blender s’est bien adapté à ZBrush. On retrouve les fonctionnalités principales de ZBrush comme le Sculptris Pro qui s’appelle sur Blender le Dyntopo, le Remesh qui est une sorte de Dynamesh, les Polygroups qui sont les Face Sets, les subdivisions qui s’appellent le MultiRes. On retrouve vite ses petits, et c’est un bon point pour Blender : d’avoir repris l’essentiel de la sculpture 3D de ZBrush.
En termes de fonctionnalités, je trouve le rendu Cycles incroyable. J’ai pu réaliser quelques tests, et je me suis rendu compte que même si je n’étais pas forcément intéressé de prime abord par la partie sculpture 3D sur Blender, j’aurais du m’y mettre pour la beauté des rendus qu’il est possible de faire.
J’en viens à penser que Blender sera mon moteur de rendu sur ZBrush (à défaut de Redshift !). Sans compter ce que Blender permet d’additionnel : le rigging, l’animation… Bref, je pense qu’au lieu de les opposer, on pourrait aussi les additionner ensemble, ça couvre tout le spectre pour un beau projet !
« pour les passionnés d’impression 3D, qui souhaitent un outil robuste et versatil… Blender reste un super choix »
À qui recommanderais-tu l’utilisation de Blender en fonction de son profil et des applications spécifiques ?
Je pense que Blender va encore mettre un peu de temps avant de devenir un outil de référence dans le monde professionnel, car les écoles et les studios fonctionnent encore majoritairement (sauf erreur de ma part) sur la suite Autodesk. Les motion designers et que les publicitaires ne jurent que par Cinema 4D. Donc Blender reste l’outsider, mais d’un groupe très élargit : les hobbyistes. Et là, pour les passionnés d’impression 3D, qui souhaitent un outil robuste et versatil, sans compter qu’il ne coûte rien, Blender reste un super choix.
Par contre, pour ceux qui souhaitent aller plus loin en termes de réalisation, et pourquoi pas vivre du fruit de leurs modélisations 3D (comme quelqu’un qui vendrait ses figurines imprimées sur internet), je lui conseillerais davantage ZBrush pour la qualité et la puissance de ses outils.
Liens utiles
https://rebusfarm.net/fr/logiciels-3d/ferme-de-rendu-blender
https://docs.blender.org/manual/fr/2.79/editors/info/introduction.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Blender
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