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En quoi consiste le métier de designer en fabrication additive ? Rencontre avec un professionnel

designer en impression 3D

Parce qu’elle impacte toute la chaîne de fabrication et n’épargne aucun secteur d’activité, l’impression 3D engendre une demande croissante en compétences spécialisées. De la conception jusqu’au post-traitement, cette technologie est en train de remodeler un grand nombre de pratiques professionnelles, incitant les entreprises à embaucher des profils spécifiques pour rester compétitifs. Après vous avoir fait découvrir des métiers d’impression 3D tels que ceux de responsable technique et responsable de production, PRIMANTE3D s’est intéressé au profil de designer en fabrication additive. Un métier au rôle prépondérant, puisqu’au en lien direct avec la conception qui est le point de départ de tout le processus. Pour comprendre en quoi consiste exactement ce métier, et pourquoi pas susciter aussi des vocations, j’ai interviewé l’un de ses représentants, Kévin Jansens.

« L’expansion de la fabrication additive dans les différents secteurs industriels ne peut se poursuivre qu’avec des concepteurs connaissant parfaitement les contraintes et les libertés offertes par chaque technologie… »

Kévin Jansens

Kévin Jansens

Bonjour Kevin, pourrais-tu nous raconter le parcours qui t’as amené à devenir designer en fabrication additive ? Comment est né cet intérêt pour l’impression 3D ?

Bonjour Alexandre, je me souviens que tout petit déjà, je faisais des « inventions »: j’aimais imaginer des machines pour nous simplifier la vie. Puis, je me suis aperçu que j’étais attiré par la géométrie, et en particulier par la géométrie dans l’espace. Tout ça m’a mené à des études de design industriel au cours desquelles j’ai découvert la conception, mais également les premiers logiciels de 3D.

J’ai commencé à faire de la modélisation et du rendu pour le design, l’architecture et l’urbanisme, et j’ai poursuivi cette activité en indépendant (troisd.com), pendant plus de 20 ans. Puis l’impression 3D a été pour moi l’occasion de revenir à la conception, avec en plus, la magie de tenir dans les mains un produit dessiné quelques heures plus tôt ! J’ai surtout eu la chance de suivre une formation de 8 mois à l’AddLab Decathlon, où j’ai appris à travailler sur différentes imprimantes (DLP, MJP, MJF…), et où j’ai découvert une discipline qui s’inscrit parfaitement dans mon parcours: le Design For Additive Manufacturing, ou conception orientée pour l’impression 3D.

 « Le designer en fabrication additive doit donc savoir quelles contraintes techniques implique le type d’imprimante utilisé: matériaux, tolérances, utilisation de supports… »

Explique-nous en quoi consiste exactement le métier de designer en Fabrication Additive et ses spécificités par rapport à un « designer traditionnel. »

Train avant d'une trottinette électrique conçu et imprimé par Kévin au cours de sa formation à l'AddLab Decathlon

Train avant d’une trottinette électrique conçu et imprimé par Kévin au cours de sa formation à l’AddLab Decathlon (crédits : Kévin Jansens)

L’expansion de la fabrication additive dans les différents secteurs industriels ne peut se poursuivre qu’avec des concepteurs connaissant parfaitement les contraintes et les libertés offertes par chaque technologie d’impression 3D. Le designer en fabrication additive doit donc savoir quelles contraintes techniques implique le type d’imprimante utilisé: matériaux, tolérances, utilisation de supports…

Mais il doit aussi tirer parti de possibilités inimaginables avec l’injection plastique: la production de formes qui seraient impossibles à démouler comme les lattices (maillages), ou l’impression « print-in-place » de pièces déjà assemblées! Le DFAM, c’est aussi penser, dès la conception, à toute la vie du produit, puisque l’impression 3D permet de répondre à des problématiques de prototypage, de maintenance, de SAV, en produisant à la demande, sur place, avec des avantages économiques et écologiques.

Selon toi, quelles qualités se doit-on de posséder pour bien l’exercer ?

Je dirais qu’il faut surtout une certaine ingéniosité, une bonne vision dans l’espace, et une grande curiosité de l’évolution des technologies d’impression 3D.

Lorsqu’on est designer FA, qui plus est indépendant, à quoi peut ressembler une « journée type » ?

Beaucoup de café, pour commencer ! Ce que j’aime, c’est que l’activité est assez variée: selon les périodes, la conception en tant que telle n’est pas toujours ce qui occupe le plus de temps. Il y a la partie prospection commerciale, les échanges avec le client, la comptabilité, la veille technologique, l’apprentissage de nouvelles techniques ou de nouveaux outils…

« la communication est très importante au moment de la prise de brief, et à chaque étape de validation du travail… »

Dans quelle mesure la communication et la collaboration interdisciplinaire sont-elles importantes dans ton métier ?

Quelques produits que Kévin a repensés et redessinés avec Loïc Clenquet de l'Addlab Decathlon

Quelques produits que Kévin a repensés et redessinés avec Loïc Clenquet de l’Addlab Decathlon, pour le SAV: une trappe passe-câble pour vélo Rockrider, une mâchoire de pied d’atelier (maintenance), et une pièce de table de ping-pong Pongori. Les pièces de rechange sont imprimées à Lille sur une HP MJF 5210, et disponibles à la vente sur le site de Decathlon. (crédits : Kévin Jansens/ Loïc Clenquet )

Il est bien-sûr primordial de bien se comprendre, avec le client principalement, pour travailler efficacement. Donc, la communication est très importante au moment de la prise de brief, et à chaque étape de validation du travail. Et je suis souvent amené à échanger avec d’autres interlocuteurs, comme des ingénieurs, des techniciens ou des architectes, pour mener à bien le projet, ce qui est très enrichissant.

Concernant la partie logicielle, quel(s) outil(s) de conception utilises-tu ?

J’utilise principalement Fusion 360 pour la conception, je l’ai appris au cours de ma formation à l’AddLab Decathlon. C’est un outil accessible, puissant, adapté au design pour l’impression 3D, avec des modules de générative design et de résistance de matériaux, entre autres.

« J’aime le fait de pouvoir tester tout de suite une solution, en imprimant un prototype, et ne pas interrompre le processus de conception »

Quels aspects de ton métier t’apportent le plus de satisfactions, et d’un autre côté les contraintes que tu es amené à rencontrer ?

Avoir des idées de solutions, les développer, modéliser en 3D une pièce qui va répondre inventivement à une demande ou à un problème, concrétiser une idée avec l’impression 3D: quand je suis lancé dans ce processus à la fois créatif et technique, les journées passent très vite, et c’est un vrai plaisir de travailler ! J’aime le fait de pouvoir tester tout de suite une solution, en imprimant un prototype, et ne pas interrompre le processus de conception, mais au contraire, la faire avancer en la validant, ou en l’améliorant.

Au niveau des contraintes, le coût de certaines imprimantes fait que je ne peux pas produire directement toutes les matières que je voudrais, même si de nombreuses technologies sont de plus en plus accessibles. Mais la possibilité de sous-traiter la production permet de résoudre ce problème.

Peux-tu me donner un exemple de projet qui t’a particulièrement passionné et pourquoi ?

Différentes pièces réalisées par Kévin pour son projet de certification

Différentes pièces réalisées par Kévin pour son projet de certification : Autour de la contrebasse, un ensemble d’accessoires pour instrument (dont des sourdines), conçus dans une démarche de Design For Additive Manufacturing, et imprimés sur HP Multi Jet Fusion 5210 (crédits : Kévin Jansens)

Pour finaliser ma formation de Technicien Supérieur en Fabrication Additive, j’ai présenté un projet de certification qui m’a beaucoup plu! Etant musicien amateur, j’ai choisi de développer un ensemble d’accessoires pour la contrebasse, notamment des sourdines et un embout anti-dérapant pour la pique.

De nombreux aspects m’ont passionné: la recherche des produits à imaginer, la trouvaille de mécanismes originaux au niveau des fixations, la modélisation 3D des produits, l’utilisation de l’imprimante HP MJF 5210 à fusion sur lit de poudre en TPU et PA12, les phases de test et d’amélioration, et enfin le costing qui a montré qu’on peut produire en petite série à prix compétitif avec cette technologie! Ce projet m’a réellement passionné, car le sujet me tenait à coeur, car il m’a permis d’obtenir de diplôme de TSFA, et surtout parce que j’étais très fier de présenter un projet viable, fonctionnel et original !

« D’abord, il vaut mieux avoir de bonnes notions en conception classique et connaître un logiciel de CAO, comme Fusion 360 ou Solidworks »

Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui souhaite se lancer dans le domaine de la conception en fabrication additive ?

D’abord, il vaut mieux avoir de bonnes notions en conception classique et connaître un logiciel de CAO, comme Fusion 360 ou Solidworks. Ensuite, je lui conseillerais de s’informer sur les différents types d’imprimantes 3D, leurs caractéristiques, leurs possibilités, leurs limites, leur évolution…

Je dirais aussi qu’il n’y a rien de tel que la pratique: le fait de modéliser en 3D puis de voir le résultat imprimé, pour éventuellement corriger la conception, est le meilleur moyen de progresser. Pour celà, on peut acheter une imprimante FDM ou résine, ou trouver une formation qui permettra de se familiariser avec une ou plusieurs technologies d’impression 3D. Enfin, je conseillerais de faire preuve d’inventivité et d’ouverture d’esprit.

« même l’impression de petites et moyennes séries continuent de gagner du terrain et présente de réels avantages, comme la réduction des transports et du stockage… »

Comment vois-tu l’avenir de l’impression 3D et son impact sur le design de produits, mais aussi celui des dernières évolutions de l’intelligence artificielle (Chat GPT notamment) sur ton métier ?

Conception d'un prototype de montre

Prototype de montre réalisé par Kévin Jansens lors de sa formation à Add Lab Decathlon. Celui-ci fait appel à différentes technologies de fabrication additives : – Stratasys J750 et 3D Systems Figure 4, pour des pièces en résine ABS, Flex, Clear… HP Multi Jet Fusion, pour du polyamide PA 12 et TPU (crédits photo : Kévin Jansens)

La fabrication additive existe depuis plusieurs dizaines d’années, mais la technique et le marché sont loin d’être matures. Les performances vont encore beaucoup progresser et on assistera sans doute à de nombreuses petites révolutions dans les technologies d’impression, dans les matériaux (ré)utilisables… Mais c’est surtout la perception de l’impression 3D qui doit évoluer. Le grand public ne connait au mieux que la FDM, et ne voit pas encore les applications de la fabrication additive dans les produits de tous les jours.

De plus, certains dirigeants d’entreprises ne comprennent pas encore les bénéfices qu’elle apporterait à leur production, en terme de gain de temps sur le prototypage et la maintenance, au niveau du SAV, qui va devenir un enjeu majeur, avec la future législation en la matière. Et même l’impression de petites et moyennes séries continuent de gagner du terrain et présente de réels avantages, comme la réduction des transports et du stockage, tout en devenant de plus en plus compétitive !

Quant à l’intelligence artificielle, on la voit déjà trouver sa place dans les outils de conception, avec la modélisation automatisée et le générative design, qui permettent d’obtenir des solutions topologiques optimisées, tenant compte de contraintes de résistance et de gain de matière. Elle apparaît également dans les applications de gestion des flux de production, et de contrôle des imprimantes. On peut aussi prévoir que Chat GPT va également rendre possible l’accès à la conception orientée, en l’apprenant par lui-même. Bref, l’intelligence artificielle est déjà embarquée dans l’aventure de la fabrication additive, et il faut compter avec elle !

Alexandre Moussion