Longtemps cantonnée au prototypage, l’impression 3D a fini par sortir de ses premières applications pour toucher aujourd’hui un très large panel de domaines. La santé est l’un d’entre eux, un secteur qui s’est rapidement emparé de cette technologie et de son potentiel de personnalisation pour la fabrication de prothèses, d’implants sur mesure ou de guides chirurgicaux. Si l’impression 3D ouvre déjà des perspectives passionnantes dans ce domaine, la Bio impression promet des applications plus vertigineuses encore. Appelé aussi bioprinting ce procédé qui s’apparentait à de la science fiction il y a encore quelques années, permet aujourd’hui d’imprimer du vivant. Certes les tissus biologiques qui en résultent sont pour le moment principalement destinés à l’industrie pharmaceutique et cosmétique, mais cette technologie pourrait aussi favoriser l’émergence de la médecine régénérative et individualisée dans les années à venir.
Si l’américain Organovo est souvent cité parmi les acteurs majeurs du bioprinting dans le monde, la France peut s’enorgueillir de compter un fleuron dans ce domaine. Une start-up bordelaise répondant au nom de Poietis, auteur d’une technologie de bioimpression 4D unique au monde. En décembre dernier, la société girondine validait 10 ans de recherches en signant une licence exclusive et mondiale avec l’université de Bordeaux et Aquitaine Science Transfert pour exploiter sa technologie. Fasciné par les perspectives et les promesses incroyables offertes par ce procédé Made in France, PRIMANTE3D est allé à la rencontre de Fabien Guillemot, l’un des géniteurs de cette technologie et co-fondateur de Poietis. Ce dernier nous livre un témoignage passionnant sur son parcours, sur la genèse et les perspectives incroyables offertes par cette technologie de pointe. L’occasion aussi de démystifier la bio impression et de dissiper tout fantasme en faisant le point sur ses réelles applications.
« Notre ambition est de devenir un acteur majeur de l’ingénierie tissulaire au niveau international »
Bonjour Fabien, pourriez-vous vous présenter ? Quel est votre cursus, comment devient-on le porteur d’un tel projet ?
Je dispose d’une expérience de plus de 15 ans dans le domaine de la médecine régénératrice acquise à travers des recherches portant sur l’élaboration et la fonctionnalisation de biomatériaux, l’ingénierie tissulaire et la bioimpression. Titulaire d’un Doctorat en Sciences des Matériaux de L’Institut National des Sciences Appliquées de Rennes (2000) et d’une Habilitation à Diriger des Recherches en Sciences de la Vie et de la Santé délivrée par l’Université Bordeaux Segalen (2010), j’ai été nommé Chargé de Recherche à l’INSERM en 2005 et été aussi Chercheur Invité à l’Université Harvard en 2010 dans le laboratoire Cell and Tissue Engineering.
J’ai dirigé depuis 2010 le groupe Tissue Engineering Assisted by Laser au sein de l’unité INSERM Bioingénierie Tissulaire (U1026) à l’Université de Bordeaux. En 2005, j’ai initié des travaux pionniers au niveau international dans le domaine de la bioimpression qui ont conduit à la publication d’une vingtaine d’articles scientifiques et plus de 15 conférences invitées sur la bioimpression dans les plus grandes Universités internationales telles que Harvard, Princeton et le MIT. J’ai été l’un des 4 Européens fondateurs de la société savante International Society for Biofabrication (ISBF) et du groupe thématique sur la biofabrication au sein de la société Tissue Engineering and Regenerative Medicine International Society (TERMIS).
J’ai eu en charge d’organiser la conférence internationale Bioprinting and Biofabrication in Bordeaux en 2009 et de plusieurs congrès sur la bioimpression ces des dernières années. Dans le contexte de la création de Poietis, j’ai complété ma formation scientifique par une formation à l’entrepreneuriat dispensée à HEC (programme Challenge +). Je suis actuellement mis à disposition de Poietis par l’INSERM (article 413-1 du code de la recherche) et assure les fonctions de Président et Directeur Scientifique.
Comment est née Poiétis et qui sont ses protagonistes ?
Poietis vient du mot grec poietis (gr. Ποίησις : faire, fabriquer). « Celui qui crée, qui transforme des idées en réalité ». C’est aussi la contraction de poïese et tissu, c’est à la dire la fabrication de tissu. Nous avons fondé Poietis avec Bruno Brisson en septembre 2014. Bruno a une expérience professionnelle de plus de 20 ans dans le domaine des biotechnologies. De formation scientifique (Maitrise de Science et Techniques en biotechnologies) et après avoir démarré sa carrière en tant que biochimiste, Bruno a travaillé dans le transfert de technologie en France avant de travailler de 1998 à 2001 au sein d’une société de conseil basée à Chicago, Etats-Unis.
Il est revenu en France en 2001 pour participer au lancement d’un incubateur technologique de la région Ile-De-France et a ensuite occupé des fonctions de Direction Commerciale (Cellectis, de 2001 à 2005 ; Mauna Kea Technologies de 2005 à 2007 ; Fluofarma de 2009 à 2011), et de Direction générale (Président et Directeur Général de Biospace Lab de 2007 à 2009). Le projet de création d’entreprise date de 2011. Il valorise une dizaine d’années de recherches portant sur la technologie innovante d’impression 3D de tissus biologiques par LASER et menées à l’INSERM et l’Université de Bordeaux, et en collaboration avec le CHU de Bordeaux et Alphanov, le Centre Technologique Optique et Lasers situé à Talence.
Nous avons mis près de 3 ans à structurer et maturer le projet. Dans le cadre de la maturation, nous avons bénéficié de nombreux soutiens qui nous ont permis notamment de réaliser des études de marché, de faisabilité technique ainsi que de bénéficier d’un certain nombre de conseils juridiques. Ces soutiens sont :
– Concours National de Création d’Entreprises de Technologies Innovantes 2012 (catégorie Emergence, 1er lauréat en Aquitaine).
– Incubateur Régional d’Aquitaine (octobre 2012 – septembre 2014).
– SATT Aquitaine Science Transfert® (Juillet 2013 – juin 2015)
Dans le cadre de la création de Poietis, nous avons été plusieurs fois primés :
– Concours National de Création d’Entreprises de Technologies Innovantes I-LAB 2014 (catégorie Création-Développement)
– Innovaday 2014 – Prix Futur de l’Innovation.
– Salon de l’Entreprise Aquitaine : 1er prix du Conseil Régional d’Aquitaine.
En quoi consiste votre procédé de Bioimpression 3D par laser et qu’est ce qu’il le différencie de la Bioimpression 3D par extrusion ? On parle aussi de Bioimpression 4D…
Le principe de la bioimpression assistée par LASER est le suivant (voir vidéo ci-dessus). La focalisation d’une impulsion laser (en bleue) sur une cartouche (composée d’un film d’encre étalé sur une plaque de verre) entraîne la formation d’un jet d’encre vers un substrat sur lequel sont collectées des microgouttelettes de cellules. En contrôlant les conditions physiques de l’éjection (énergie, …), le volume des gouttelettes peut être contrôlé précisément (~ picolitre). Les motifs de cellules sont obtenus par un balayage rapide de la cartouche par le laser qui entraîne la formation de 10 000 gouttelettes par seconde.
La Bioimpression par Laser dispose d’une résolution beaucoup plus élevée que la Biompression par extrusion. Cette haute définition permet d’intégrer plus d’informations, plus de détails dans le tissu, ce qui permet de reproduire la complexité des tissus biologiques. Ces informations concernent tout d’abord le positionnement microscopique en 3D des constituants des tissus (cellules, éléments de la matrice extra-cellulaire). La capacité qu’offre cette technologie à organiser précisément les constituants du tissu dans l’espace impose d’anticiper comment chacun de ces constituants va évoluer dans le temps sous l’action des processus d’auto-organisation (migration, polarisation cellulaire…) découlant des interactions entre cellules et des cellules avec leur environnement. C’est ce qu’on appelle la 4ème dimension.
/Quels sont les avantages de la bioimpression par apport aux techniques traditionnelles ?
La bioimpression présente principalement 2 avantages :
– la fabrication automatisée : permet d’améliorer la reproductibilité et la standardisation des produits d’ingénierie tissulaire (par rapport aux techniques traditionnelles encore souvent artisanales).
– la sophistication des produits : en contrôlant l’organisation des différents constituants du tissu, il devient possible de créer des structures tissulaires plus complexes, mimant la physiologie humaine.
Quelle est la durée d’une impression et quelles sont les dimensions de vos tissus ? Entre la phase d’impression et la maturation des cellules, combien de temps vous faut-il pour produire un tissu exploitable et commercialisable ?
L’impression en elle-même est assez rapide. Il faut compter quelques minutes pour réaliser une structure d’1cm² et de 200 à 300µm d’épaisseur. La maturation est-elle beaucoup plus longue ; dans le cadre de nos travaux sur la peau, les tissus imprimés sont maturés pendant 15 jours in vitro.
A quoi ressemble un tissu imprimé en 3D et quelle est sa durée de vie ?
Voici des photos (coupes histologiques) d’un épiderme obtenu par bioimpression de kératinocytes humains. Au laboratoire INSERM, nous avons pu suivre le devenir de tissus imprimés jusqu’à 2 mois après implantation chez la souris. Les résultats se sont montrés très encourageants quant à la réparation du tissu osseux. Chez Poietis, nous travaillons sur des modèles de peau imprimée que nous conservons plusieurs semaines après impression.
Comment parvenez-vous à définir et à modéliser la dynamique d’auto-organisation des cellules à imprimer ?
Nous utilisons des outils d’imagerie qui permettent de suivre l’évolution des cellules dans le temps (microscopie time-lapse).
Quelles difficultés majeures avez-vous rencontré lors de la conception de votre imprimante 3D, la Modulab ? Pouvez-vous nous donner quelques caractéristiques techniques de la machine ?
Les principales difficultés ont été associées au fait que notre imprimante est “multicolore”, c’est à dire qu’elle permet d’imprimer jusqu’à 5 constituants tissulaires dans une même séquence d’impression. Il a fallu donc imaginer des solutions techniques pour coordonner l’impression d’encres différentes.
Notre système d’impression est intégré dans un poste de sécurité microbiologique (hotte de culture cellulaire assurant la stérilité des manipulations). En lui-même l’imprimante a le volume d’une imprimante Laser de bureautique. En terme de vitesse, notre technique génère plus de 10000 gouttes à la seconde, c’est donc extrêmement rapide. Les volumes produits dépendent de l’application. Concernant la peau, aujourd’hui nos échantillons ont une taille de l’ordre du cm² avec une épaisseur de plusieurs centaines de microns.
« le marché de l’ingénierie tissulaire a été évalué à 15 milliards de dollars »
Le 17 décembre dernier Poietis a fait sensation en signant un accord de transfert exclusif et mondial avec Aquitaine Science Transfert®. Le Biopriting représente un marché au potentiel absolument énorme… A quels marchés allez-vous vous adresser dans un premier temps ? Et d’ailleurs combien ça coûte un tissu imprimé en 3D ?
Le développement et la fabrication de tissus biologiques représentent des enjeux socio-économiques majeurs si bien que le marché de l’ingénierie tissulaire a été évalué à 15 Milliards de dollars en 2014 et devrait doubler d’ici 2018 (source : MedMarket Diligence, LLC.). Les applications de ces tissus concernent à la fois le secteur industriel (cosmétique et pharmaceutique) et la médecine régénératrice.
Poietis se focalisera tout d’abord sur les marchés porteurs des Centres de recherche et d’évaluation cosmétiques et des Laboratoires de recherche préclinique. Ceux-ci ont des besoins identifiés : avoir à disposition des modèles prédictifs reproduisant la physiologie des tissus humains sains ou pathologiques afin d’évaluer la toxicité et l’efficacité de nouveaux produits ou de candidats médicaments. Ces marchés sont caractérisés par une concurrence directe de start-ups et sociétés positionnées sur le développement et la commercialisation de modèles physiologiques in vitro ainsi que par concurrence indirecte des entreprises qui ont un savoir-faire interne et un processus de culture validé des modèles physiologiques in vitro. Dans notre modélisation, l’étape de bioimpression n’implique pas un surcoût très important par rapport aux méthodes conventionnelles de culture cellulaire.
Quelles sont vos ambitions et qui sont vos concurrents ? Quels sont vos atouts par exemple par apport à l’américain Organovo ?
Notre ambition est de devenir un acteur majeur de l’ingénierie tissulaire au niveau international. Notre atout principal repose sur les performances offertes par la technologie de bioimpression par laser par rapport à la bioextrusion exploitée par Organovo. D’une part la résolution (c’est à dire l’épaisseur du trait) est meilleure (20µm contre 400-500µm) et d’autre part la viabilité des cellules imprimées est supérieure.
Avec le bioprinting on peut espérer des progrès considérables sur le plan de la médecine régénérative. Dès lors cela soulève de nombreuses questions éthiques. Jusqu’à quel point et à quelle fin pourront nous modifier nos tissus… Poietis s’est-il déjà projeté et fixé des limites ?
Le champ des possibles semble effectivement très vaste. Poietis, par ses statuts, s’inscrit dans le contexte de la réparation tissulaire et donc dans une perspective de proposer des solutions pour contribuer à mieux soigner des malades. C’est cette idée qui nous anime tous. A l’inverse, nous ne souhaitons pas être impliqué dans des approches d’humain augmenté qui posent des problèmes éthiques majeurs.
En terme de médecine individualisée, quelles sont les perspectives ?
En terme de médecine individualisée, le principe repose sur l’exploitation des données du patient. Ces données sont à la fois de nature morphologique (par ex : la géométrie du site d’implantation) et biologique (choix des cellules imprimées dans la structure 3D). De là, nous anticipons 2 types d’applications :
1- la fabrication de tissus « pathologiques » qui permettront de sélectionner les conditions d’une thérapie en amont de celle-ci en testant la réponse des cellules du patient à un traitement donné. Nous pensons notamment à des applications dans le domaine de l’oncologie.
2- la fabrication de greffons sur-mesure, adaptées au site d’implantation par leur forme extérieure et leur architecture interne.
Il y a quelques semaines l’Oreal a signé un partenariat avec Organovo, comment analysez-vous cet accord ? Pourquoi ne pas avoir privilégié votre technologie ?
Ce partenariat était dans les tuyaux depuis très longtemps car Orgavovo avait fait état de cette collaboration l’an dernier. C’est plutôt une bonne nouvelle, car cela démontre que certaines grandes firmes ont d’ores et déjà perçu l’intérêt de la bioimpression.
« l’impression d’organes nécessitera de lever de nombreux verrous technologiques et scientifiques… »
Quelle analyse faite vous de l’évolution de bioprinting ces dernières années ? Qu’est ce qui relève du possible et à l’inverse du fantasme ?
Le domaine du bioprinting a beaucoup évolué au cours des dernières années. Pour mémoire, lorsque nous avons organisé le congrès international de la thématique à Bordeaux en 2009 (voir le rapport de ce congrès), nous étions 65 chercheurs provenant de 11 pays et Organovo était l’unique start-up au monde. Aujourd’hui, le nombre d’équipes travaillant sur le bioprinting a décuplé, Organovo est valorisée 400M$ et une quinzaine de start-ups ont vu le jour.
Si le domaine est en pleine effervescence car nombreux sont ceux qui découvrent les multiples opportunités de cette technologie, il n’est pas moins vrai que certaines annonces comme l’impression d’un rein relève du fantasme. C’est aussi faux que dangereux. Faux car aujourd’hui, la maturité de la technologie ne permet que de fabriquer des tissus “simples” pour des expériences de laboratoire ; l’impression d’organes nécessitera de lever de nombreux verrous technologiques et scientifiques. C’est aussi dangereux, car nous avons la responsabilité de ne pas créer de faux espoirs chez des patients qui sont aujourd’hui en attente de greffe.
Poietis va prochainement lancer une levée de fond sur Wiseed. Quels sont les objectifs de cette campagne de financement ?
Les objectifs de cette levée de fonds sont multiples. Nous souhaitons industrialiser la technologie de Bioimpression en développant une bioimprimante de 3ème génération (après celles développées à l’INSERM en 2007 et 2013). Ces fonds vont aussi être utilisés pour développer et valider nos premiers produits (tissus de peau bioimprimés) que nous souhaitons pouvoir mettre sur le marché en 2017. L’ensemble de ces développements nous permettrons aussi de renforcer notre propriété intellectuelle.
Tous mes remerciements à Fabien Guillemot pour sa participation à cette interview. Primante 3D ne manquera pas de relayer les prochaines actualités de Poietis qui s’annoncent ô combien passionnantes.
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