Si l’impression 3D a permis déjà un certain nombre d’avancées dans le domaine médical, son inégalable liberté de conception synonyme de personnalisation et d’agilité, est encore très loin d’avoir livré tout son potentiel. De la bioimpression aux implants, sa faculté à pouvoir améliorer les soins des patients à travers des dispositifs plus performants et confortables, est la promesse de transformations importantes pour ce secteur. L’un des domaines qui profitent actuellement le plus du développement de l’impression 3D est celui des orthèses. Nouvelle venue sur ce créneau, la start-up bretonne SKELENN a l’ambition de remplacer les plâtres traditionnels par des orthèses imprimées en 3D. L’idée de cette jeune pousse tricolore ? Mettre fin à l’inconfort des attelles classiques en proposant des dispositifs fabriqués sur-mesure, plus légers et respirants. À l’aube de son lancement, l’un de ses co-fondateurs, Rémi Di Francia a répondu aux questions de PRIMANTE3D.
« J’ai du mal à comprendre comment les plâtres en résine ont pu perdurer aussi longtemps sans être remis en question »
Bonjour Rémi, parle-nous du parcours qui t’a conduit jusqu’à SKELENN.
Bonjour Alexandre, j’ai fait mes études médicales à Angers et je suis arrivé à Brest pour mon internat de chirurgie. J’y suis maintenant titulaire en chirurgie orthopédique et traumatologique. J’avais eu cette idée de startup il y a plusieurs années mais je n’avais vraiment pas les épaules pour me lancer tout seul.
L’impression 3D n’était pas autant démocratisée qu’aujourd’hui, les matériaux n’étaient pas adaptés, et ça pouvait vite tomber dans le « gadget ». J’ai remis le sujet sur la table avec deux amis, Thomas DAOULAS et Jean-Loup TANNER, eux aussi chirurgiens. À trois, ça a été plus facile de se dire qu’il y avait un vrai intérêt (pour les patients) de se lancer, que c’était le bon moment, et qu’il y avait un marché. On a alors pu fonder SKELENN sereinement.
Te souviens-tu de ta première rencontre avec l’impression 3D ?
J’ai découvert l’impression 3D lors de l’apparition de Makerbot et Ultimaker (puis Formlabs). À l’époque je ne savais pas que des grosses pointures existaient déjà ! Je trouvais ces imprimantes incroyables mais je pensais qu’il fallait être ingénieur, ou modélisateur 3D « pro » pour pouvoir s’en servir….et donc je suivais ça de loin, jusqu’au jour où j’ai acheté ma première imprimante. Je me souviens encore de la sensation d’avoir dans les mains le benchy petit bateau pour la première fois.
« Notre solution revendique une contention efficace, un dispositif aéré, léger et non encombrant, waterproof… »
Comment est née l’aventure SKELENN ? À quelle problématique vouliez-vous répondre et à qui s’adresse votre solution ?
SKELENN, qui veut dire « coquille » en breton, est né de trois chirurgiens orthopédistes Brestois (Jean-Loup, Thomas, et moi) désespérés par la qualité des immobilisations réalisées au quotidien, tant par la confection que par le manque de confort du patient immobilisé.
La problématique est très simple : les immobilisations actuelles ont trop d’inconvénients pour que le patient vive bien sa période d’immobilisation :
– elles ne sont pas aérées : sudation excessive, démangeaisons, fortes odeurs.
– elles sont incompatibles avec l’eau : impossible pour le patient de pouvoir prendre une douche, un bain, ou de se baigner à la piscine ou à la mer.
– elles ne sont pas adaptées aux reliefs du corps: chambre d’air contenue entre le membre et la résine pouvant être responsable de déplacements secondaires de fractures dus à une trop grande mobilité du membre dans la résine.
– elles sont encombrantes : grandes difficultés du patient pour s’habiller, se déplacer, etc…
Notre solution revendique une contention efficace, un dispositif aéré, léger et non encombrant, waterproof, sans danger pour la peau, personnalisable, et esthétique.
Notre solution s’adresse à tout patient, adulte ou enfant, ayant besoin d’être immobilisé, tant au niveau du membre supérieur qu’inférieur.
« De fait de la malléabilité limitée, ces immobilisations sont souvent mal faites : trop encombrantes, pas adaptées… »
Habituellement comment sont fabriqués les plâtres et dans quels cas sont-ils prescrits ?
Il y a deux grands cadres de prescription des immobilisations : les patients présentant un traumatisme aigu (fracture, entorse) ou alors une affection articulaire chronique douloureuse. Dans le premier cas l’immobilisation est plus courte que dans le deuxième.
Les immobilisations étaient historiquement faites en plâtre de Paris, qui a disparu progressivement pour de la résine synthétique, plus chère et moins malléable que le plâtre de Paris, mais plus facile à mettre en place… De fait de la malléabilité limitée, ces immobilisations sont souvent mal faites : trop encombrantes, pas adaptées, ou qui immobilisent plus d’articulations que nécessaire (les doigts par exemple)…
Il y a aussi des « orthèses thermo-formées sur-mesure » qui n’ont de « sur-mesure » que le nom puisque ce sont des dispositifs légalement « adaptables » et non « sur-mesure » : la plaque malléable est moulée sur le patient, c’est donc le même principe que les plâtres en résine. En plus il n’est pas rare de devoir faire un certain nombre de « retouches »…
« Chaque orthèse est unique : adaptée à un seul patient et chaque design proposé par le logiciel l’est aussi »
Explique-nous concrètement le processus de fabrication de vos orthèses.
Le processus est assez simple finalement. Le patient est scanné avec une application propriétaire dédiée et le fichier est directement envoyé à SKELENN via l’appli où l’un d’entre nous modélise l’orthèse sur le modèle 3D du patient à l’aide d’un logiciel semi-automatisé. Pour le coup c’est du vrai sur-mesure. Chaque orthèse est unique : adaptée à un seul patient et chaque design proposé par le logiciel l’est aussi.
Quel couple procédé additif/matériau s’est révélé être le plus pertinent pour votre solution ?
On a testé et abandonné beaucoup de couples et on a fini par opter pour la technologie MJF de HP avec le PA12. C’est le couple qui convenait le plus à notre cahier des charges.
De la phase de conception jusqu’au post-traitement, combien vous faut-il de temps pour fabriquer vos orthèses ?
La conception est relativement rapide puisqu’on est à moins de 30 minutes pour la modélisation. Le temps peut être plus court selon la taille de l’orthèse. Le plus gros du temps est pris par l’impression et le transport puisque nous n’avons pas encore internalisé nos imprimantes. Donc pour que nous ayons la pièce en main terminée il faut entre 2 et 4 jours.
Quelles sont les contraintes réglementaires pour ce genre de dispositif médical ?
Il faut utiliser obligatoirement un matériau certifié « contact peau » (ISO 10 993) et bien sûr avoir le marquage CE.
Comment vous différenciez-vous par rapport à d’autres solutions existantes ?
Même s’ils ne sont pas nombreux, nous nous différencions des autres entreprises proposant ces orthèses par un parcours patient simplifié, une absence d’abonnement logiciel, et un process simplifié pour le prescripteur. D’autre part, nous sommes chirurgiens donc au cœur du problème, et des attentes des patients et des soignants.
Sur le produit lui-même je peux pas en dire plus pour le moment puisque nous devons breveter certaines choses avant de parler de nos différences.
« il y a de nombreux chirurgiens orthopédistes pressés de pouvoir les proposer à leur patients »
Jusqu’ici comment votre solution a t-elle été accueillie par le milieu médical ? Avez-vous ressenti certaines réticences et/ou constater un manque de connaissance vis à vis de l’impression 3D ?
Jusqu’ici toutes les personnes à qui nous en avons parlé et/ou montré nos premiers modèles ont adoré l’idée ! C’est plutôt bon signe parce que parmi eux il y a de nombreux chirurgiens orthopédistes pressés de pouvoir les proposer à leur patients. Cela nous a permis d’identifier nos premiers utilisateurs.
Nous n’avons pas rencontré de réticence vis à vis de l’impression 3D, au contraire. Mais c’est vrai que la solution proposée a agréablement surpris les gens, qui ne pensaient peut-être pas que l’impression 3D pouvait avoir une telle application.
Il y aura t-il une différence de prise en charge de vos orthèses imprimées en 3D comparé à un plâtre traditionnel ? Peux-tu nous donner un ordre de prix ?
Le plâtre traditionnel coûte entre 40 et 80 €, remboursé à 100% et je ne peux qu’espérer la même chose pour nos orthèses, mais nous n’y sommes pas encore. Les demandes de remboursement par la
Sécurité Sociale ne peuvent être faites qu’après le marquage CE donc cela viendra courant 2023.
Nos orthèses seront facturées entre 50 et 200 € en fonction de leur taille.
Nous avons prévu une étude clinique et médico-économique (plâtres standards versus orthèses SKELENN) en partenariat avec le CHU de Brest. Nous comptons bien y démontrer que la différence de prix a une vraie répercussion sur la qualité de vie des patients. En d’autres termes que le prix « vaut » (dans le sens médico-économique) le confort apporté.
Quel est votre calendrier pour 2023 ?
Nous avons bouclé le catalogue de la première gamme SKELENN. Les prochaines étapes pour 2023 sont :
– l’obtention du marquage CE
– le dépôt de brevet
– équiper les premiers utilisateurs déjà ciblés, pour avoir un retour sur la gamme
– étude clinique et médico-économique
– levée de fond pour l’expansion nationale
C’est un gros calendrier j’espère qu’on l’honorera !
« Il faut un renouveau dans le domaine des immobilisations, et SKELENN y contribuera. »
L’impression 3D sera-t-elle internalisée ? Quelles seront les différentes options de personnalisation ?
Oui elle le sera dès que possible. La personnalisation est infinie au niveau des couleurs, que le patient pourra évidemment choisir. Pour le reste, on a prévu de s’amuser avec les doléances des enfants, qui sont aussi sans limite.
Quel avenir vois-tu pour l’impression 3D dans le domaine des orthèses ?
Je suis clairement pas objectif, mais elle aura un rôle prédominant, jusqu’à être la base des orthèses. Cela deviendra probablement le standard dans quelques années. J’ai du mal à comprendre comment les plâtres en résine ont pu perdurer aussi longtemps sans être remis en question. Il faut un renouveau dans le domaine des immobilisations, et SKELENN y contribuera.