La liberté de conception offerte par l’impression 3D est loin d’avoir exprimé toute l’étendue de son potentiel. Si différent des techniques traditionnelles formatives et soustractives, son fonctionnement par superpositions de couches vient lever les limites de design jusqu’alors admises. Par cette faculté, la fabrication additive promet d’accélérer le développement des métamatériaux, ces matériaux caractérisés par leurs propriétés basées sur leur structure artificielle que l’on ne retrouve pas à l’état naturel. Grâce à sa liberté de design, la fabrication additive rend possible le contrôle de la porosité, ce qui permet la création des matériaux architecturés 3D poreux sur-mesure. Là où certains exploitent cette capacité pour mettre au point des solutions innovantes dans le domaine de l’insonorisation, la start-up française AM3L (prononcez Amèle) a développé une solution d’impression 3D métal permettant de protéger n’importe quelle structure ou objet en cas de choc. Pour vous faire découvrir cette spin-off du CEA et ses nombreux autres débouchés, PRIMANTE3D a interrogé Hicham Maskrot, son Président & Co-fondateur.
« Je suis convaincu que les métamatériaux vont transformer plusieurs secteurs clés dans les années à venir, et je veux qu’AM3L joue un rôle pionnier dans cette révolution »
Bonjour Hicham, pouvez-vous nous raconter le parcours qui vous a conduit jusqu’à AM3L ?
Après une thèse sur la synthèse de nanopoudres par procédé laser, j’ai intégré le CEA en tant que chercheur. Pendant une dizaine d’années, j’ai été chef de laboratoire. Pendant cette période j’ai créé la plateforme SAMANTA de procédé FA du CEA Saclay. La création d’AM3L est donc l’aboutissement d’une décennie de recherche en laboratoire, où avec mon équipe nous avons
exploré le potentiel de la fabrication additive pour relever des défis technologiques encore insolubles avec les matériaux et procédés conventionnels. En tant que chercheur, j’ai été confronté aux limites des matériaux standards, notamment dans des secteurs exigeants comme le nucléaire. C’est notamment le cas des amortisseurs de chocs pour les colis de stockage de déchets et les emballages
de transports.
En 2018, c’est avec un collègue du CEA, chef de projet à la Direction des projets de démantèlement, de service nucléaire et de la gestion des déchets, que nous avons envisagé l’utilisation de l’impression 3D pour fabriquer des métamatériaux. Ces matériaux offrent des propriétés mécaniques et physiques qui ne sont pas présentes dans la nature, ce qui permet des applications révolutionnaires.
« j’ai commencé à percevoir le potentiel immense de ces matériaux pour répondre à des enjeux de mécanique haute performance, de filtration industrielle, de durabilité et d’absorption d’énergie »
Au fil des années, j’ai commencé à percevoir le potentiel immense de ces matériaux pour répondre à des enjeux de mécanique haute performance, de filtration industrielle, de durabilité et d’absorption d’énergie. Cependant, malgré les résultats prometteurs obtenus en laboratoire, je me rendais compte que les applications concrètes restaient peu exploitées, souvent faute d’initiatives pour transformer ces innovations en produits réels.
C’est ce constat qui a été le moteur de la création d’AM3L : je voulais franchir le pas entre la recherche fondamentale et le développement d’applications industrielles concrètes, en créant une structure agile et dédiée spécifiquement aux métamatériaux. En créant AM3L avec mon associé Timothée Delacroix et le CEA, j’ai vu une opportunité de donner une impulsion plus directe et plus rapide à des innovations. L’entrepreneuriat m’offre la liberté d’explorer des pistes sans attendre un feu vert institutionnel, et de collaborer avec des acteurs industriels qui partagent cette même urgence d’innover.
Mon objectif était de construire une entreprise qui serait un pont entre la recherche et le marché,un espace où la rigueur scientifique se mêle à une vision pragmatique de l’innovation. Je suis convaincu que les métamatériaux vont transformer plusieurs secteurs clés dans les années à venir, et je veux qu’AM3L joue un rôle pionnier dans cette révolution.
Comment cette start-up a-t-elle vu le jour et quelles problématiques cherche-t-elle à résoudre ?
Comme dit plus haut, cette start-up a vu le jour pour répondre à une problématique de fabrication de métamatériaux et de structures architecturées alvéolaires et poreuses. En effet, les procédés conventionnels tels que le frittage de poudre ou la fonderie atteignent rapidement leurs limites quand on cherche à réduire la taille des alvéoles tout en augmentant la taille des pièces avec des designs complexes.
De plus, la fabrication additive permet un contrôle et un suivi du procédé couche par couche de la fabrication et ainsi permet une parfaite traçabilité. Ce suivi est très important pour des secteurs comme le nucléaire ou l’aéronautique où il est nécessaire de qualifier les produits et les procédés avant leur adoption.
« Cette approche représente aujourd’hui une alternative efficace aux méthodes de fabrication traditionnelles comme la fonderie ou le forgeage »
Que pouvez-vous nous dire sur votre technologie additive, en particulier la nature du procédé sur laquelle elle repose ? Pourquoi ce choix ? Qu’est-ce qui la distingue des systèmes LPBF existants ?
Notre technologie repose sur un procédé d’impression 3D métallique à fusion laser sur lit de poudre, et plus spécifiquement, sur un contrôle du vide qui nous permet de fabriquer des métamatériaux à porosité contrôlée. Cette approche, qui fait appel à la fabrication additive, représente aujourd’hui une alternative efficace aux méthodes de fabrication traditionnelles comme la fonderie ou le forgeage, notamment grâce à sa capacité à produire des formes complexes tout en réduisant la quantité de matière utilisée.
Ce choix a été guidé par l’idée d’exploiter la précision et la flexibilité offertes par la fabrication couche par couche, en intégrant des paramètres jusqu’alors inexploités dans le domaine. Cela nous permet non seulement de mieux contrôler les propriétés mécaniques, mais aussi de produire des pièces plus légères et fonctionnelles. Notre approche est donc basée sur une maîtrise approfondie des interactions entre la matière première, les conditions d’élaboration et les caractéristiques des pièces finales.
« Cela nous permet d’agir sur plus de 160 paramètres machines pour optimiser la fabrication de nos métamatériaux »
Nous avons choisi de travailler avec des machines Nikon SLM Solutions, non seulement pour leur robustesse industrielle, mais aussi pour leur architecture ouverte. Cela nous permet d’agir sur plus de 160 paramètres machines pour optimiser la fabrication de nos métamatériaux. Par exemple, dans le cas des amortisseurs de chocs, nous avons un contrôle très précis du palier de compression, ce qui est essentiel pour garantir des performances optimales.
Enfin, cette technologie s’inscrit dans une démarche éco-responsable, en limitant les déchets de matière grâce à la réutilisation de la poudre non fusionnée. Nous intégrons également une réflexion
environnementale dans le choix des matériaux, avec une attention particulière portée à leur cycle de vie, ce qui nous permet de réduire l’impact écologique tout en garantissant une performance optimale pour nos applications.
Que pouvez-vous nous dire sur les capacités de votre technologie, notamment en termes de volume de fabrication et production, mais aussi de compatibilité matériaux ?
AM3L a accès à plusieurs machines SLM 280 de chez Nikon SLM Solutions. Nous pouvons donc concevoir et produire plusieurs centaines d’objets par an. Nous produisons donc des métamatériaux en acier (316L, 304L, 17-4PH), en alliage d’aluminium et alliage base nickel.
Notre future installation de production est basée à la Ferme du Moulon en plein cœur du quartier scientifique et d’innovation du Plateau de Saclay. En plus, nous travaillons en étroite collaboration avec le CEA Saclay qui est à la pointe dans la recherche sur procédés de fabrication additive.
Quel est votre modèle économique ?
Notre modèle économique repose sur deux piliers : d’une part, des revenus générés par des prestations de services de développement, et d’autre part, la vente de produits à forte valeur ajoutée, tels que des amortisseurs et des moules de nouvelle génération. Ce modèle garantit à la fois la récurrence et la scalabilité de notre activité, tout en nous permettant de proposer des produits sur-mesure.
« Au premier trimestre 2025, nous prévoyons d’inaugurer notre première unité de production à la Ferme du Moulon, avec un investissement d’1M€ »
Dans un premier temps, quels secteurs et applications seraient le plus susceptibles de profiter de votre solution ? Avez-vous déjà enregistré des commandes ?
Notre marché cible est celui de la filtration industrielle, un secteur en pleine croissance et multi-domaines, où nos solutions de filtration sur mesure, conçues en 3D, répondent parfaitement aux besoins des acteurs du marché. Par ailleurs, grâce à notre diversité de produits, nous adressons également un marché stratégique en plein développement : celui des amortisseurs de chocs, particulièrement dans le secteur du stockage des déchets nucléaires.
En ce qui concerne notre calendrier, nous avons récemment célébré notre première année d’existence, après la création d’AM3L en octobre 2023, avec une équipe de 5 personnes. Au premier trimestre 2025, nous prévoyons d’inaugurer notre première unité de production à la Ferme du Moulon, avec un investissement d’1M€. Nous visons également une augmentation de notre effectif à 15 personnes d’ici la fin de l’année 2025.
*crédits de toutes les photos : AM3L