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Rencontre avec Sil&Add, la start-up qui imprime le silence

De la réduction du bruit des moteurs d’avion au contrôle acoustique dans les bâtiments, les métamatériaux, ces matériaux conçus artificiellement pour manipuler et contrôler les ondes sonores de manière spécifique, et qui souvent surpassent les capacités des matériaux naturels grâce à leurs structures internes ingénieuses, offrent des solutions innovantes et efficaces pour une variété d’applications dans le domaine de l’insonorisation. Encore largement sous-exploitée dans ce domaine, la liberté de conception offerte par l’impression 3D promet des avancées passionnantes en termes de créations personnalisées et complexes. Ce potentiel, une start-up française du nom de Sil&Add l’exploite pour repousser les limites des performances acoustiques conventionnelles. Pour en savoir plus sur la manière dont elle utilise celui-ci pour améliorer le confort sonore dans divers environnements, PRIMANTE3D a interrogé son fondateur Jean-Boulvert.

« Sans l’impression 3D, il est quasiment impossible de réaliser un matériau poreux à gradient de propriétés continu et contrôlé »

Jean-Boulvert

Bonjour Jean. Pourrais-tu nous raconter le parcours qui t’a conduit jusqu’à Sil&Add ?

J’ai d’abord suivi une formation d’ingénieur en Génie Mécanique à l’INSA Lyon puis fait une thèse en acoustique. Ma thèse a été réalisée en cotutelle entre le Laboratoire d’Acoustique de l’Université du Mans (LAUM, UMR CNRS 6613) et le Laboratoire d’Analyse Vibratoire et Acoustique (LAVA, Polytechnique Montréal), en collaboration avec le motoriste Safran Aircraft Engines (thèse CIFRE).

Ma thèse a porté sur le développement de nouveaux matériaux pour la réduction du bruit des réacteurs d’avions. Ces travaux de recherche ont été fortement liés à l’impression 3D. Grâce à l’impression 3D, il est possible de développer de A à Z des traitements acoustiques : de l’idée à sa concrétisation, en passant par son optimisation.

Les traitements acoustiques les plus connus sont les panneaux de matériaux poreux : mousse de mélamine, feutre de PET, laine de roche… Leurs propriétés acoustiques (ex : absorption, insonorisation) sont fortement gouvernées par leur microstructure. Pour une laine de roche, c’est la taille des fibres et leur espacement. Si l’on souhaite développer un nouveau matériau poreux, sans passer par l’impression 3D, il faut mettre au point une nouvelle réaction chimique, un nouveau procédé mécanique ou utiliser de nouvelles fibres, etc. Ce sont des étapes parfois complexes, surtout à l’échelle d’un laboratoire de recherche, et offrant peu de libertés de conception.

Avec l’impression 3D, les matériaux poreux sont conçus de manière simple et paramétrable. En dépôt de fils fondus, les motifs de remplissage forment des matériaux poreux aux propriétés acoustiques exploitables. Pour obtenir les propriétés souhaitées, on peut jouer sur le motif de remplissage, la densité de remplissage, la hauteur de couche ou encore le diamètre de la buse. Il est beaucoup plus simple et accessible de choisir la densité de remplissage sur le logiciel de tranchage que de mettre au point une nouvelle réaction chimique !

De plus, l’impression 3D permet de choisir simplement comment s’agencent ces matériaux poreux, entre eux ou en association avec d’autres éléments. Un dernier mot sur la mécanique. C’est la microstructure d’un matériau poreux qui lui confère majoritairement ses propriétés acoustiques. Suivant la matière première employée (PLA, ABS, Nylon…), le matériau poreux aura sensiblement les mêmes propriétés acoustiques mais pas les mêmes propriétés mécaniques ou thermiques. Il y a donc un découplage entre le comportement acoustique et le comportement mécanique et thermique.

L’impression 3D permet donc de réaliser sur mesure des matériaux poreux acoustiques. Pour optimiser un système (matériaux, structure…) numériquement, il faut savoir comment il se comporte en fonction de ses paramètres. Le développement de matériaux performants a d’abord demandé d’être capable de prédire le comportement acoustique de ces matériaux réalisés par impression 3D en fonction de la taille et de la forme des pores. Une étape clef a été de prendre en compte dans les modèles une micro-géométrie réaliste et non pas idéalisée. Autrement dit, celle imprimée et non pas celle présentée par le logiciel de tranchage.

Figure 1 : Echantillons de traitements acoustiques développés en laboratoire et réalisés par impression 3D. 3 photos de gauche : matériaux poreux réalisés par FDM, photo de droite : série de résonateurs de Helmholtz réalisée par SLA. (crédits photos : Sil&Add)

Il a ensuite été possible d’optimiser des matériaux. Des photos de ces matériaux sont présentés en Figure 1. Le premier matériau est une bonne illustration de l’apport de l’impression 3D dans le développement de nouveaux matériaux acoustiques. Ce matériau présente un gradient de densité de remplissage continu au sein de son épaisseur. Pour chaque couche (300 µm d’épaisseur), la densité de remplissage peut prendre n’importe quelle valeur. Elle est choisie par un algorithme d’optimisation mis au point. Ainsi, avec un matériau de 30 mm d’épaisseur, sur la plage de fréquence comprise entre 3900 Hz et 19500 Hz, son absorption est d’environ 80% si la densité de remplissage est constante et supérieure à 99,7 % avec un gradient optimal de densité de remplissage. Sans l’impression 3D, il est quasiment impossible de réaliser un matériau poreux à gradient de propriétés continu et contrôlé. Le travail de recherche autour de la thématique des gradients de propriété a donc été grandement facilité par l’impression 3D.

Ce constat se retrouve pour de nombreuses autres thématiques de recherche autour des matériaux acoustiques : l’impression 3D est un facilitateur de réalisation des concepts, pousse à en explorer de nouveaux et à réétudier des classiques sous un nouveau regard.

Si des lecteurs souhaitent en savoir plus sur l’impression 3D au service de l’acoustique, je les invite à consulter les nombreux articles disponibles gratuitement en ligne.

Après ma thèse et un an en tant que chercheur postdoctoral, je me suis lancé dans l’entrepreneuriat. J’avais alors acquis une expertise en valorisable et la volonté de me lancer dans une nouvelle aventure !

« l’impression 3D joue un rôle central car elle permet de passer rapidement d’une idée à un prototype fonctionnel aux paramètres optimisés sur mesure »

Quelles problématiques ambitionnes-tu de résoudre avec cette start-up ? Combien de brevets as-tu déjà déposés ?

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Mes travaux de recherche étaient focalisés sur le développement de matériaux. Avec mon entreprise, Sil&Add, je propose des solutions : des produits finis ou des accessoires pour la réduction du bruit. Mon mot d’ordre est que ces solutions soient performantes et accessibles. Leur développement se base en premier lieu sur l’expertise que j’ai acquise, et en support sur l’utilisation de l’impression 3D. Ce procédé n’est pas une fin en soi mais un outil qu’il faut utiliser à bon escient. Sil&Add propose des prestations et développe ses propres produits.

Les prestations sont à destination d’entreprises qui réalisent des produits faisant face à des problèmes de bruit. Celui-ci peut être généré par le produit (moteur, ventilateur…) ou bien le produit doit protéger du bruit extérieur (menuiseries). Lorsque l’entreprise cliente n’as pas de compétences internes en acoustique, Sil&Add l’accompagne au diagnostic, au choix de solutions acoustiques disponibles dans le commerce et à leur intégration. Lorsque l’entreprise cliente a des compétences internes en acoustique, Sil&Add lui permet de s’approprier les dernières avancées de la recherche en acoustique.

Dans ce cas, l’impression 3D joue un rôle central car elle permet de passer rapidement d’une idée à un prototype fonctionnel aux paramètres optimisés sur mesure. En parallèle des prestations, Sil&Add développe ses propres produits. Un problème de bruit est identifié, les solutions existantes, leurs forces et leurs limites sont étudiées, puis un nouveau produit est développé. Un premier produit est en cours de développement. Il s’agit d’un auvent acoustique d’entrée d’air de fenêtres qui fait l’objet d’une demande de brevet.

« le produit en cours de développement par Sil&Add est un accessoire d’entrée d’air qui s’installe du coté extérieur des menuiseries »

Parle-nous de ton premier produit en cours de développement : un auvent acoustique d’entrée d’air de fenêtres.

A l’origine de ce projet, il y avait ma volonté de prouver que l’offre de Sil&Add est réaliste sans trop dépenser d’argent. Il fallait donc que je développe un produit fini qui traite un problème qui parle au plus grand nombre, tout en étant relativement petit et n’employant que peu de composants.

Un peu de contexte sur le problème traité. Le renouvellement de l’air dans les lieux d’habitations est important pour maintenir une bonne qualité de vie, pour des raisons sanitaires et d’économie d’énergie. Lorsque le renouvellement de l’air est assuré par une VMC simple flux, des entrées d’air laissant pénétrer l’air extérieur sont installées sur les menuiseries (fenêtres, coffres de volets roulants) des pièces de vie. Ces entrées d’air de menuiserie remplissent leur rôle de ventilation, sont peu chères, faciles d’entretien et conformes à la réglementation environnementale RE2020. Cependant, ces entrées d’air laissent aussi passer une part du bruit extérieur (route, aéroport…) dans les pièces de vie.

Des accessoires d’entrée d’air permettent de limiter la transmission de ces bruits extérieurs dans les pièces de vie. Ce sont des petites boites fixées sur le haut des fenêtres. Atteindre un plus haut niveau de protection contre le bruit extérieur étant utile et la fabrication d’un nouvel accessoire d’entrée d’air relativement peu onéreux, j’ai attaqué ce problème. Ainsi, le produit en cours de développement par Sil&Add est un accessoire d’entrée d’air qui s’installe du coté extérieur des menuiseries. Il s’agit donc d’un nouvel auvent acoustique d’entrée d’air, voir Figure 2.

Des prototypes du produit ont été réalisés par impression 3D. Ils ont été testés en centre d’essais normalisé. Les résultats des mesures sont en très bonne corrélation avec les modélisations numériques du produit et montrent ses bonnes performances acoustiques et aérauliques. La conception de la version industrialisée du produit est en cours de finalisation. La production aura lieu en France et la commercialisation est prévue pour début 2025.

Quels sont ses atouts par rapport aux auvents acoustiques classiques ?

Figure 2 : Photos d’accessoires d’entrée d’air. Gauche, deux produits du haut : prototypes de l’auvent acoustique développé (deux variantes). Gauche, produits du bas : produits disponibles sur le marché (installés à l’intérieur ou à l’extérieur de la fenêtre). Droite : prototypes de l’auvent acoustique développé. (crédits photos : Sil&Add)

Le produit apporte un gain d’insonorisation plus important que celui des produits équivalents déjà sur le marché. Il est plus durable et plus facile d’entretien. Son installation est aussi simple que celle des produits équivalents et son prix de vente sera proche.

En effet, vu qu’il n’utilise pas de mousse acoustique conventionnelle, aucun de ses composants ne se dégrade et il est possible d’en retirer les dépôts de pollution en passant l’intégralité du produit au lave-vaisselle.

« De plus, vu que le matériau poreux est réalisé par impression 3D, ses paramètres géométriques et donc ses propriétés acoustiques sont choisies. »

De quelle manière tires-tu parti de l’impression 3D ? Quels sont les bénéfices ?

Pour obtenir la fonction de réduction de la transmission du bruit, les autres accessoires d’entrée d’air emploient des mousses acoustiques conventionnelles. Lorsque des particules de pollution s’y déposent, il est très difficile de les déloger, comme dans un filtre de friteuse. En pratique, avec le temps et faute de remplacement des baguettes de mousse acoustique par les occupants des logements, les accessoires d’entrée d’air sont acoustiquement moins efficaces.

L’auvent développé n’utilise pas de mousse acoustique conventionnelle mais… un matériau poreux réalisé par impression 3D. Ce matériau ne se dégrade quasiment pas dans le temps et peut être nettoyé au lave-vaisselle. L’impression 3D permet donc de réaliser un produit plus durable.

De plus, vu que le matériau poreux est réalisé par impression 3D, ses paramètres géométriques et donc ses propriétés acoustiques sont choisies. Cela permet d’optimiser les paramètres du produit, matériau poreux inclus, en fonction du bruit que l’on souhaite diminuer : plutôt un bruit de route ou plutôt un bruit d’aéroport. L’impression 3D offre donc plus de flexibilité de conception, rendant le produit plus performant, et facilitant sa déclinaison sur mesure.

« J’ai longtemps hésité à ne pas passer par l’injection plastique et à commercialiser une version du produit réalisé uniquement par impression 3D. »

Peux-tu nous en dire plus sur le procédé additif employé et le matériau ?

Le procédé est tout simplement du dépôt de fil fondu. Une imprimante de bureau est suffisante pour réaliser les matériaux poreux utilisés dans le produit, avec un coût d’investissement faible.

En pratique, pour des questions de coût, l’auvent acoustique développé sera réalisé par injection plastique à l’exception des matériaux poreux imprimés en 3D. Cependant, l’intégralité du produit peut être imprimé. Cela a été le cas des prototypes passés en banc d’essais. Ils ont été conçus avec l’impression 3D comme mode de réalisation en tête. Ils ne nécessitent donc ni support, ni post traitement.

J’ai longtemps hésité à ne pas passer par l’injection plastique et à commercialiser une version du produit réalisé uniquement par impression 3D. Le problème est que le coût de production, même en série, reste trop important aujourd’hui pour que je puisse commercialiser le produit à un prix compétitif. Mais je garde quand même comme projet de proposer un jour aux clients d’imprimer eux-mêmes le produit.

« Le procédé offre une grande souplesse de conception et la capacité d’itérer rapidement en interne. »

Au vu du potentiel de l’impression 3D dans le domaine de l’acoustique, quel avenir vois-tu pour ce segment ?

L’impression 3D est un formidable outil de développement de matériaux et de produits acoustiques ! Le procédé offre une grande souplesse de conception et la capacité d’itérer rapidement en interne. Pour moi, l’impression 3D et la simulation numériques sont deux piliers du développement efficace. Elles permettent de réduire le temps et le coût de développement et de proposer des solutions optimales.

L’impression 3D permet aussi de réaliser des produits finis acoustiques ayant des propriétés similaires à celles des panneaux acoustiques en bois. Ils combinent des propriétés acoustiques, notamment d’absorption du bruit, et une forte tenue mécanique. Ils peuvent aussi être personnalisés, aussi bien sur les propriétés fonctionnelles qu’esthétiques. A l’image des panneaux acoustiques en bois, les traitements acoustiques réalisés en impression 3D auraient ainsi toute leur place sur des murs de gymnase. Pour limiter leur impact environnemental, ils pourraient employer une matière première recyclée et recyclable. Une limite actuelle à l’expansion de ce type d’applications est le coût de production par impression 3D de traitements de grandes dimensions.

Au-delà de reproduire les propriétés acoustiques et mécaniques du bois, l’impression 3D permet de concevoir sur mesure des solutions mécano-acoustiques. Au lieu d’employer un composant pour la tenue mécanique et un composant pour les propriétés acoustiques, le même composant remplit les deux fonctions. Ainsi, il est possible de réduire le nombre de composants et d’étapes d’assemblages. La masse et l’encombrement des produits peut aussi être réduite.

Enfin, comme dans de nombreux autres domaines, l’impression 3D offre la possibilité de proposer de la personnalisation de masse. Aujourd’hui, si votre VMC fait du bruit, vous avez la possibilité d’acheter une bouche de ventilation diminuant le bruit qui en sort. Cependant, le bruit de votre VMC n’est pas forcément le même que celui de votre voisin. En utilisant une bouche de VMC réalisée spécifiquement pour votre cas, elle peut être beaucoup plus efficace que son équivalent générique car elle cible la plage de fréquence particulière à votre installation.

« j’aimerais travailler sur une application à impact, un produit en lien avec les énergies renouvelables ou plus de sobriété. »

Que peux-tu nous dire enfin sur tes ambitions et ton calendrier ?

Je souhaite mettre mon expertise au service de la réduction du bruit en améliorant la performance et l’accessibilité des solutions acoustiques. Le développement du premier produit en propre a bien avancé. Il devrait être commercialisé début 2025. Maintenant que la phase d’industrialisation est lancée, j’ai plus de temps à consacrer à l’élaboration d’un nouveau projet en propre et à la réalisation de prestations pour d’autres entreprises.

Mon objectif est de lancer un produit développé en propre tous les deux ans. Le développement de ces produits sera notamment financé par les prestations. Pour le prochain projet en propre, j’aimerais travailler sur une application à impact, un produit en lien avec les énergies renouvelables ou plus de sobriété. Je cherche aussi un ou une associé(e) Business Developer pour me consacrer à la technique et confronter les points de vue sur la stratégie d’entreprise à suivre pour assurer son développement.

Alexandre Moussion