Les nombreux avantages offerts par la fabrication additive ont rapidement conquis les professionnels de la santé, en particulier ceux du secteur dentaire. La possibilité de produire des dispositifs personnalisés parfaitement adaptés aux patients, sans oublier les bénéfices en termes de coûts et de productivité, expliquent pourquoi l’impression 3D s’est rapidement invitée dans les pratiques des chirurgiens dentistes. Selon les prévisions de la société de conseil QY Research, l’impression 3D dentaire devrait atteindre les 930 millions de dollars d’ici la fin de l’année 2025, soit un taux de croissance annuel de 17%, croissance. Pour comprendre l’ampleur du phénomène et ses tendances, Primante3D a interrogé le fondateur de 3DCelo Léonard Gaucher, une start-up française spécialisée dans la conception et la fabrication par impression 3D de dispositifs chirurgicaux sur-mesure pour la dentisterie.
« L’impression 3D est en train de s’imposer comme un outil indispensable pour le secteur dentaire »
Léonard bonjour, pour ceux qui vous ne connaîtraient pas encore pourrais-tu présenter 3Dcelo.
Bonjour Alexandre, 3Dcelo est une jeune entreprise spécialisée dans la production de traitements sur-mesure pour le secteur dentaire. Nous travaillons dans deux spécialités : L’implantologie qui consiste à poser des implants en bouche et l’orthodontie qui corrige la mauvaise posture des dents.
Dans les deux cas l’idée est de proposer au praticien – à partir de la radio et d’une empreinte 3D de la bouche du patient – une simulation numérique du futur traitement. Une fois que le praticien a validé cette simulation nous imprimons en 3D les outils qui permettront de réaliser le traitement.
Dans le cas de l’implantologie on parle de « guide chirurgical » car il s’agit d’une gouttière sur mesure dans laquelle nous insérons des tubes en titane qui guident l’outil du chirurgien pendant l’opération et lui permettent de réaliser dans la vraie vie le traitement prévu numériquement.
Dans le cas de l’orthodontie, il s’agit d’un traitement par gouttières d’alignement invisible qui remplace les traitements par bagues et qui présente l’avantage d’être moins douloureux et plus esthétiques.
1. Qui sont aujourd’hui les professionnels du dentaire qui utilisent l’impression 3D ?
L’impression 3D est en train de s’imposer comme un outil indispensable pour le secteur dentaire. Les prothésistes s’équipent en imprimantes 3D pour produire des modèles, des appareils ou même des couronnes (les futures dents prothétiques) provisoires. Ce sont les premiers concernés car c’est eux qui s’occupent de la production sur mesure des prothèses et appareils pour les dentistes. Certains orthodontistes ou dentistes férus de technologie, ont même des imprimantes SLA ou DLP chez eux au cabinet pour imprimer des modèles ou des guides chirurgicaux.
D’autres acteurs comme 3Dcelo ont carrément placé l’impression 3D au cœur de leur activité en se spécialisant dans la dentisterie numérique et dans un « sur mesure » industriel rendu possible par l’arrivée des caméras optiques et des machines cone beam (radio), à la fois de plus en plus précises et de plus en plus accessibles.
2. En impression 3D dentaire, quels sont les procédés de fabrication additive et matériaux les plus utilisés ? À quelles applications sont-ils associés ?
Pour la production de modèle, les cabinets utilisent souvent des machines à dépôt de fils avec des filaments d’ABS ou des machines SLA comme la Formlabs.
Les outillages pour les opérations en contact avec les muqueuses comme les guides chirurgicaux ou les prothèses provisoires sont imprimées en résine Bio-compatible avec des machines SLA ou DLP.
« Les processus sont différents un peu selon les produits mais dans tous les cas, l’essentiel de notre travail est numérique »
3. Quelles sont les différentes étapes de fabrication d’un dispositif dentaire imprimé en 3D ?
Les processus sont différents un peu selon les produits mais dans tous les cas, l’essentiel de notre travail est numérique. Pour travailler nous avons besoin de deux fichiers :
-la radio qui permet de voir « l’intérieur de l’os » et de repérer les obstacles anatomiques, les nerfs, les racines des autres dents, les sinues, les différences de densités, etc…
-Un fichier .stl de la bouche du patient qui va décrire la géométrie « extérieur » de la bouche et à partir de laquelle nous allons modéliser nos guides ou nos gouttières. Pour obtenir cette empreinte, soit le praticien prend une empreinte physique en silicone, il nous l’envoie et nous scannons chez nous, soit il est équipé et nous envoie directement le .stl.
Dans le cas du guide, après avoir un peu traité ces fichiers nous les superposons pour que la gouttière que nous modélisons reproduise bien la planification (le nom que nous donnons à cette simulation).
Une fois que les fichiers sont bien superposés nous travaillons sur une reconstitution 3D de la radio et positionnons les implants sur cette radio.
Lorsque le chirurgien a validé notre travail, nous travaillons à partir du fichier .stl pour modéliser une gouttière qui s’adapte à la bouche du patient.
Ensuite nous imprimons cette gouttière avec une machine DLP, nous plongeons le guide dans un bac d’alcool isopropylique pour le nettoyer puis le flashons aux UV pour terminer la polymérisation. Pour finir, nous insérons des tubes en titane dans les tubes prévus dans la gouttière afin qu’ils guident le foret du praticien.
Dans le cas de la gouttière nous travaillons sur l’empreinte directement : Nous modélisons la bouche idéale (la bouche en fin de traitement) puis « décomposons » le traitement en un certain nombre de « bouches intermédiaires » que nous imprimons et post-traitons (de la même manière que pour les guides). Ensuite nous thermoformons les gouttières sur ces modèles et les post-traitons pour qu’elles soient agréables à porter pour le patient.
« l’impression 3D est dans beaucoup de cas la meilleure manière de matérialiser cette réflexion clinique »
4. L’impression 3D dentaire facilite la création des dispositifs dentaires sur de nombreux points. Quels sont les principaux avantages par rapport aux techniques classiques ?
La grande évolution par rapport aux techniques classiques c’est le numérique qui permet d’obtenir une « simulation de l’opération » en amont et de faire les meilleurs choix cliniques.
Le résultat est plus précis et reproductible.
En fin de chaine numérique, l’impression 3D est dans beaucoup de cas la meilleure manière de matérialiser cette réflexion clinique car elle est souvent plus rapide, moins couteuse et moins gourmande en matériaux que son grand concurrent l’usinage (qui permet cependant encore aujourd’hui des résultats mécaniques plus probant sur certains produits).
5. Pour imprimer en 3D, les dentistes et les prothésistes dentaires doivent s’équiper en conséquence. Quel est le matériel requis ?
Les dentistes, sauf ceux qui veulent produire au cabinet sont surtout concernés par l’amont de la chaine numérique : Ils ont donc besoin d’un Cone beam (la nouvelle génération de machines radiologiques) et d’une caméra optique qui permet d’obtenir la radio et l’empreinte du patient. Ensuite ils peuvent soit s’équiper en logiciels qui permette de produire les traitements numériques, soit sous-traiter à des entreprises comme 3Dcelo.
Les prothésistes eux sont plutôt concernés par l’aval de la chaine numérique : S’ils souhaitent travailler avec des dentistes non équipés en caméra, ou s’ils veulent numériser leur travail, il leur faut un scanner de bureau. Ensuite, il leur faut un logiciel permettant de récupérer le travail des praticiens : La plupart des soft sont pensés pour le dialogue entre le dentiste et le prothésiste.
Enfin il leur faut une imprimante 3D de type SLA ou DLP et la chaine de post-traitement qui correspond. La règlementation européenne impose que l’ensemble de la chaine de production soit certifié CE.
« Industrialiser le sur mesure de manière efficace est un des défis de l’industrie actuelle »
6. Le passage à l’impression 3D demande une réorganisation du travail et l’acquisition de nouvelles compétences. Quelles sont-elles ?
Un nouveau procédé de fabrication comme la fabrication additive impacte structurellement les entreprises qui s’y intéressent parce qu’il rend imaginable des produits nouveaux et qu’il apporte des problématiques techniques et organisationnelles nouvelles. L’ensemble de la chaine de fabrication est concerné et les « compétences requises » dépendent donc du métier auquel on s’intéresse.
Dans le cas de 3Dcelo qui produit des dispositifs médicaux sur mesure, la première compétence requise est la compétence clinique puisque la première étape consiste à positionner les implants sur les radios 3D dans leur position idéale. C’est un métier nouveau et des réflexions nouvelles qui n’existent que parce que l’impression 3D démocratise cette réflexion en amont sur la position des implants. Certaines formations chez les chirurgiens, les dentistes et les prothésistes commencent à proposer des modules liés au numérique et à ces nouvelles techniques.
Le second aspect concerne plutôt la dimension technique : comment imprimer avec la meilleure qualité possible ? Quels matériaux choisir ? Comment optimiser les paramètres ? Là il s’agit d’une approche de technicien et d’ingénieur. À nouveau, de plus en plus de formations proposent des modules liés à l’impression 3D, les écoles d’ingénieurs et les IUT s’équipent en machines et expliquent ce flux numérique nouveau à leurs élèves.
La troisième compétence requise est organisationnelle car l’impression 3D apporte la possibilité de produire du « sur mesure de masse ». Industrialiser le sur-mesure de manière efficace est un des défis de l’industrie actuelle et il n’y a – à ma connaissance – pas encore de formation solide à ce sujet, simplement parce que c’est un sujet nouveau que les acteurs de l’impression 3D sont encore en train d’inventer. A 3Dcelo cela passe par la mise en place de process et le développement d’une plateforme de gestion des fichiers et de la traçabilité. A la croisée entre la logistique, la qualité et le code pur et dur donc.
« L’évolution rapide des techniques de CFAO et la démocratisation de l’impression 3D ont donc un impact énorme sur la pratique dentaire »
7. Que sait-on de l’évolution des pratiques et des freins qui pèsent encore sur le marché ?
L’impression 3D permet de produire facilement des objets petits, précis et sur-mesure, ce qui correspond parfaitement aux exigences du secteur médical en général et du secteur dentaire en particulier. L’évolution rapide des techniques de CFAO et la démocratisation de l’impression 3D ont donc un impact énorme sur la pratique dentaire et sur le métier de prothésiste qui produit traditionnellement du sur-mesure de manière artisanale pour le dentiste.
Sans parler de l’arrivée de produits nouveaux comme le guide chirurgical qui sécurise les opérations et les rend réalisables par un nombre bien plus important de praticiens, les caméras 3D permettent d’éviter au patient un moment désagréable lors de la prise d’empreintes, permettent un envoi instantané des fichiers au cabinet de prothèse et un stockage beaucoup plus simple puisqu’un disque dur prend moins de place qu’une pièce pleine de modèles en plâtres. Pour toutes ces raisons de nombreux cabinets sont en train de s’équiper en caméras optiques.
Aujourd’hui nos clients sont équipés à 49%. Ce chiffre est à prendre avec des pincettes car il est calculé parmi des praticiens intéressés par les outils numériques et qui pratiquent les spécialités particulières que sont l’implantologie et l’orthodontie mais il témoigne d’une réelle évolution des pratiques. Le seul frein actuellement au développement de ces technologies est le prix de ces caméras (entre 20 000€ et 4 000€) mais il est raisonnable de penser que d’ici quelques années, tous les cabinets ou presque seront équipés.
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