Consultant en nouvelles technologies Innovation & Systèmes d’Information, Philippe Heinrich exerce une fonction de conseil et d’accompagnement auprès des entreprises. Avec l’avènement et la démocratisation de l’impression 3D, ce dernier doit répondre à une demande de plus en plus forte de la part de l’industrie, des pouvoirs publics et du grand public désireux de comprendre les tenants et aboutissants de cette technologie. Entre consulting et conférences, il est à la fois un acteur majeur de l’impression 3D mais aussi un témoin privilégié de son évolution et de son impact sur notre société. En mai dernier, sa qualité d’expertise et sa pédagogie lui auront même valu l’honneur d’être auditionné par le Conseil Économique, Social et Environnemental. Son cursus, le contenu de ses conférences, son analyse du phénomène… Philippe nous dévoile son parcours et nous fait profiter de son expertise dans ce domaine.
« Parmi les retours, il y en a un que j’aimerais voir diminuer, c’est : je ne savais pas que l’on pouvait faire tout ça ! »
Bonjour Philippe, pourrais-tu te présenter ? Parle nous un peu de ton cursus ?
J’ai 44 ans, je suis marié et j’ai deux merveilleux enfants. Je suis diplômé de l’Ecole de Management de Lyon, où j’ai suivi un cursus de Management de la Technologie et des Systèmes d’Information organisé conjointement avec l’Ecole Centrale de Lyon. En fait, j’ai toujours été intéressé autant par la stratégie d’entreprise que par les domaines purement techniques. Au début de ma carrière, j’ai cependant privilégié la technique, et j’ai commencé comme ingénieur systèmes et réseaux pour une grande entreprise. J’installais des serveurs, j’organisais et réalisais des migrations de systèmes, j’automatisais des tâches répétitives grâce à différents langages, je formais les utilisateurs, etc. Je me suis même intéressé de près à ce domaine passionnant qu’est l’intelligence artificielle. Puis j’ai gravi les échelons pour aboutir au poste de Directeur des Systèmes d’Informations, de l’Organisation et de la Qualité à l’échelon européen.
Cela fait maintenant une dizaine d’années que je suis consultant et formateur dans le domaine des nouvelles technologies, de l’innovation et des systèmes d’information. Je suis également conseiller municipal de ma commune, et ceci n’est pas sans rapport à l’intérêt que je porte aux nouvelles technologies, à l’impression 3D en particulier, notamment par les enjeux que ces technologies représentent pour les entreprises, l’emploi, l’environnement, etc.
Dans quelles circonstances as-tu découvert l’impression 3D ?
Il y a quelques années, je m’étais intéressé au prototypage rapide car je fréquentais beaucoup des ingénieurs travaillant dans un bureau d’études, et comme j’avais mille et une idées de nouveaux produits, j’étais personnellement intéressé par les possibilités de mettre au point rapidement un prototype. Mais l’heure n’était pas encore venue pour moi de m’écarter de la voie que je connaissais le mieux à l’époque: l’informatique et les systèmes d’information, et je me suis contenté de suivre d’un œil l’évolution de la technologie… jusqu’à il y a deux ans. Quand on a commencé à parler de plus en plus de cette technologie, non seulement pour son intérêt dans le prototypage, mais également pour les possibilités qu’elle offre en terme de fabrication additive, et d’impression 3D.
« proposer des pistes d’amélioration et à accompagner les entreprises dans leur mise en œuvre »
En quoi consiste exactement le rôle de consultant et que proposes-tu pour l’impression 3D ?
Consultant – même si c’est un terme que beaucoup renient aujourd’hui, parfois à juste titre – c’est un métier fabuleusement riche. Cela consiste, après une phase d’écoute, de découverte et d’analyse de la situation des entreprises (de toute taille et de tout secteur en ce qui me concerne), à proposer des pistes d’amélioration et à accompagner les entreprises dans leur mise en œuvre. Je te le concède, cela fait très « pipeau ». Alors voilà comment cela se passe concrètement dans le cadre de l’impression 3D:
– une entreprise me contacte pour avoir des informations complémentaires sur la façon dont la fabrication additive peut changer l’environnement dans lequel elle évolue, et son métier. Je consulte l’ensemble des personnes impliquées pour mieux connaître le fonctionnement de l’entreprise: DG, directeur d’usine, Directeur marketing, DRH, personnels divers. J’analyse un ensemble de paramètres liés autant aux processus internes, notamment à la production, qu’au positionnement concurrentiel de l’entreprise.
Ensuite je passe ces différents éléments à la « moulinette de l’impression 3D »: est-ce que la fabrication additive peut ou pourra remplacer les processus actuels de production ? A quel horizon ? Quel procédé peut-être utilisé ? Quelles sont les conséquences en termes de matériaux, de caractéristiques des produits finis, de ressources humaines, de structure de coûts, etc ? Dans les cas où l’entreprise souhaite se doter de la technologie, il peut m’arriver de conseiller un fabricant, voire un type de machine, et de suivre l’introduction de cette machine dans l’entreprise, mais je garde à l’esprit qu’un des mes atouts est mon indépendance vis-à-vis des constructeurs ou vendeurs de machines.
Par ailleurs j’interviens aussi pour développer l’innovation au sein d’entreprises qui sont en perte de vitesse sur leur marché. Là, je parle d’innovation à tous les sens du terme: technologique bien sûr, mais également en termes de design, de process (pas seulement industriel !) et de business model. Enfin, j’interviens souvent pour des problématiques liées aux systèmes d’information et à l’optimisation de la productivité des entreprises, et donc de leur compétitivité.
« Ces conférences sont pour moi essentielles, car elles permettent de contrer l’image de l’impression 3D »
Tu as également élaboré un programme de conférences. Quel est leur contenu et à qui s’adressent-elles ?
Ces conférences sont pour moi essentielles, car elles permettent de contrer l’image de l’impression 3D qui est trop souvent donnée par les médias: une imprimante personnelle qui permet d’imprimer des gadgets en plastique de mauvaise qualité, ou à l’autre bout, une imprimante 3D qui est utilisée par des médecins pour la chirurgie maxillaire ! Entre les deux, tout un monde demeure encore trop caché en France: l’impression 3D, ce n’est pas que du prototypage rapide, ce n’est pas que du dépôt de fil fondu (FDM), ce n’est pas que du plastique ! D’ailleurs, je préfère utiliser le terme de fabrication additive.
Donc effectivement, j’ai mis au point un programme de conférences. J’y aborde notamment:
– L’état de l’art de la technologie: quels sont les différents procédés et les matériaux concernés.
– Le marché actuel: les fabricants, les principales utilisations, les acteurs indirects.
– Les perspectives à 2, 5 et 10 ans: les axes de recherche principaux, les évolutions probables, mais aussi les aspects géostratégiques ou environnementaux.
– Les opportunités et les menaces pour les entreprises, que ce soit en terme de développement de nouveaux produits, d’arrivée de nouveaux entrants, des aspects juridiques et bien d’autres encore.
– Un tour d’horizon secteur par secteur, de ce qui se fait déjà aujourd’hui (ex: aérospatiale, bijouterie, industrie du jeu…), et des projets des principaux acteurs du marché (Motorola, General Electric, les industries britanniques de l’automobile ou encore de la joaillerie, etc.).
– Ce que les entreprises peuvent faire pour s’approprier la technologie de l’impression 3D, en termes de veille technologique, de développement des compétences, de financement, etc.
Le contenu détaillé de la conférence est disponible ici
J’adapte le contenu de ces conférences, qui durent en général 1h à 2h, au public:
– Chambres de commerce et d’industrie, syndicats professionnels, conseils régionaux ou généraux
– entreprises
– grand public
Je suis également intervenu auprès du Conseil Économique, Social et Environnemental, en mai dernier, dans le cadre d’une saisine sur « Innovations technologiques et performance industrielle globale: l’exemple de l’impression 3D ».
Quel sont les premiers retours, à quelles questions es-tu le plus souvent confronté ?
Les retours sont extrêmement positifs, puisque tous ceux à qui j’ai pu exposer le sujet ont été convaincus qu’il était nécessaire, soit pour eux personnellement, soit pour leur entreprise, soit pour leur zone géographique, de s’intéresser au sujet, et que ce sujet était f-o-n-d-a-m-e-n-t-a-l pour notre avenir industriel. Parmi les retours, il y en a un que j’aimerais voir diminuer, c’est « Je ne savais pas que l’on pouvait faire tout ça ! » (imprimer en métal, ou en polymères renforcés au carbone…). La route est encore longue, mais le fabuleux travail des fablabs, des organisateurs de salon (je pense à celui de Lyon en juin), des consultants, des journalistes, des webmasters (merci à toi !) et des innovateurs au sein même des entreprises, permet d’avancer de manière significative.
Les questions auxquelles je suis le plus souvent confronté sont liées à la difficulté de placer le curseur sur l’échelle du temps: quand est-ce que mon entreprise va être concernée ? Quand cela va-t-il vraiment avoir un impact ? Et c’est vrai que ce sont des questions difficiles, d’abord parce qu’il reste un certain nombre de limites et de freins à l’adoption de cette technologie par les entreprises, mais surtout parce que la recherche dans ce domaine évolue à vitesse grand V, que ce soit en termes de procédés, de matériaux ou d’utilisations.
Depuis le début de l’année les marchés financiers semblent plus fébriles avec l’impression 3D. Les cours de Stratasys et 3D Systems ayant fortement reculé après des niveaux d’introduction record, comment analyses-tu le phénomène ?
Il me paraît logique que les cotations de certaines entreprises, qui gagnent finalement peu au regard des fonds qu’elles arrivent à lever et de leurs investissements, fluctuent à la baisse. Le retour sur investissement peut sembler long et certains investisseurs craignent l’éclatement d’une bulle. De plus, la technologie ne peut pas être considérée comme mature: les différents procédés sont nombreux, aucun d’entre eux ne constitue une solution idéale, la recherche continue d’apporter de nouvelles solutions chaque mois. Mais autant, pour certaines entreprises qui prennent un pari audacieux comme celui d’imprimer un foie ou un cœur en 3D (Organovo), le risque me paraît grand, autant pour des acteurs comme 3D Systems et Stratasys, je pense qu’il ne s’agit que d’une correction temporaire. Le Gartner Group semble dire la même chose avec sa courbe de Hype, et notamment le positionnement du 3D bioprinting, de l’impression 3D grand public et de l’impression 3D d’entreprise.
Vu l’investissement des pouvoirs publics américains, avec notamment le projet « America Makes« , et de l’ensemble des acteurs économiques de ce pays et d’un certain nombre d’autres pays, il me paraît peu probable que le marché s’écroule… Ce que confirment la quasi-totalité des analystes, qui prévoient un taux de croissance annuel de 50%, voire plus, du marché de l’impression 3D.
Qui plus est, 3D Systems et Stratasys se sont développés énormément par croissance externe, et ont ainsi pris possession de technologies qu’elles ne maîtrisaient pas jusqu’alors, notamment le frittage laser de poudre. Aujourd’hui, elles possèdent un panel de procédés et de machines, qui leur permettent d’être les seules ou presque à se positionner plus en apporteur de solution qu’en vendeur de machine.
« Il reste également un certain nombre de freins à lever pour dynamiser notre économie »
Quelle est la place de la France sur ce marché ? Ne peut-on pas craindre que le cas de Phenix Systems ne se répète ?
La France n’est pas dans la meilleure position évidemment: les acteurs de l’impression 3D sont peu nombreux: le groupe Gorgé/Prodways, la start-up alsacienne BeAM qui utilise le procédé CLAD développé par Irepa Laser – Institut Carnot Mica, dont on ne parle pas assez malheureusement. Et quelques fabricants d’imprimantes 3D de taille modeste et à base de FDM, comme le bourguignon SpiderBot, qui se débrouillent plutôt bien malgré la concurrence de plus en plus forte sur ce marché.
Ceci dit, la France semble être à la pointe en matière de R&D, selon le cabinet Olivier Wyman, et cela se concrétise notamment en termes de recherche sur les matériaux.
Bien sûr, le cas de Phenix Systems peut se reproduire, notamment parce que, comme je l’avais mentionné lors de mon intervention devant le CESE, nous n’avons toujours pas écouté certains sages conseils de Jean-Louis Beffa, l’ancien PDG de Saint-Gobain, concernant la défense des entreprises françaises, contrairement aux gouvernements allemand, américain, japonais ou chinois, entre autres. Le risque vient aussi du peu de technologies maîtrisées en France: le CLAD (Construction Laser Additive Directe) mentionné ci-dessus, ou le MovingLight® qui repose sur le DLP.
Il reste également un certain nombre de freins à lever pour dynamiser notre économie et la rendre plus compétitive et créatrice de richesses et d’emplois, mais cela n’est probablement pas le lieu pour aborder en détail ce sujet.
En ce qui concerne le parc de machines installées, la France héberge 5% des imprimantes 3D installées dans le monde, en 2013, selon le cabinet Olivier Wyman. Donc la situation n’est pas catastrophique, loin de là. Sans aucun doute, le nombre de fablabs joue un rôle majeur, car ils permettent de disséminer la connaissance de la technologie de l’impression 3D entre autres, et de favoriser la création d’écosystèmes tournés vers l’innovation et entrepreneuriat au sein de toutes les couches de la population.
Une actualité ? Où se déroulera ta prochaine conférence ?
L’actualité ? Bientôt des vacances profondément méritées ^^ ! Sinon, je suis en train de terminer de développer une application web en PHP/MySQL/Ajax. Côté impression 3D, le mois de septembre sera particulièrement chargé, avec une conférence à Paris, devant des décideurs d’un grand groupe industriel français, puis la participation au mois de l’innovation.
A bientôt !
Vous pouvez joindre Philippe au 06.87.82.71.96, le contacter ici ou sur PREFERENCE 3D
D’autres articles sur le même sujet
- Un club d’impression 3D dans le Nord Pas de Calais
- Des Ateliers de l’impression 3D à Dijon
- Une formation dédiée à la fabrication additive
- A la découverte de la profession de responsable de fabrication en impression 3D