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Rencontre avec IREPA LASER et sa technologie XXL qui repousse les limites de la fabrication additive métallique

Première partie d'un moule de cuve à vin réaliser par Irepa Laser

Première partie d’un moule de cuve à vin réalisé par IREPA LASER à partir de sa technologie hybride de fabrication additive métallique très grand format (crédits photo : IREPA LASER)

Si l’impression 3D n’a pas d’égal pour répondre aux besoins de personnalisation et de designs sur-mesure, elle rencontre encore certaines difficultés pour les pièces de très grande taille. Une limitation qui touche d’autant plus la fabrication additive métallique, car fonctionnant le plus souvent selon des procédés à enceintes fermées. En dépit des progrès réalisés par cette technologie grâce à l’apparition de procédés à bras robotique de type DED (dépôt de matière sous énergie concentrée), ils subsistent encore des limites dimensionnelles, de vitesse de fabrication et de fiabilité qui viennent freiner son adoption. C’est dans l’optique de répondre à cette problématique que IREPA LASER, une société française de R&D Industrielle, a développé une solution dédiée. Pour vous faire découvrir sa technologie hybride XXL et ses enjeux, PRIMANTE3D a interrogé son responsable des programmes de fabrication additive Didier Boisselier.

« On peut dire que cette nouvelle solution est une étape supplémentaire dans l’évolution de ces technologies de fabrication »

Didier Boisselier

Didier Boisselier

Bonjour Didier, quel est le parcours qui vous a amené jusqu’à IREPA LASER ?

Après avoir reçu un diplôme d’ingénieur à l’ENSAIS STRASBOURG (Ecole des Arts et Industries de Strasbourg) en filière mécanique, j’ai obtenu un DEA en Mécanique des fluides, me permettant de me lancer dans une thèse portant sur la mise en œuvre et la métallurgie du soudage par faisceau laser, technologie encore balbutiante dans ce milieu des années 80. Les travaux de thèse utilisant les machines laser de l’IREPA LASER, je me suis retrouvé embauché par cette structure en 1988 pour développer la partie soudage laser jusqu’au milieu des années 2000, et assurer diverses fonctions de coordination technique. A cet époque, j’ai découvert la fabrication additive, et je me suis consacré petit à petit au développement de cette nouvelle technologie en interne, en dirigeant les travaux qui mèneront à l’avènement du procédé CLAD® et un peu plus tard en 2012 à la création de la société BeAM.

Pour ceux qui vous ne connaîtraient pas encore, quelles sont les missions d’IREPA LASER ?

IREPA LASER est une société de R&D Industrielle. Nous développons des solutions industrielles innovantes basées sur la mise en œuvre et la maîtrise des technologies laser dans le domaine du traitement des matériaux. Nous avons 4 activités principales : le soudage laser de matériaux métalliques et polymères, la fonctionnalisation de surface à l’aide de lasers à impulsions ultra-courtes permettant par exemple de rendre des surfaces métalliques super hydrophobes, la fabrication additive de matériaux métalliques à l’aide de nos procédés DED CLAD® fonctionnant par dépôt de matière, et enfin la sécurité laser, pour laquelle nous proposons nos services dans le domaine de la formation et de l’expertise.

A cela s’ajoute un pôle de formation dans les métiers du laser. Enfin nous assurons notre ressourcement technologique et scientifique grâce aux développements que nous menons dans le cadre de projets collaboratifs, bénéficiant d’aides financières au niveau national ou européen. C’est d’ailleurs dans le cadre de ces projets collaboratifs que nous avons pu acquérir une grande partie de nos connaissances en fabrication additive.

« démontrer la faisabilité de fabrication de pièces de grandes dimensions, de plus de 2m de diamètre »

Moule de cuve à vin en cours de fabrication à partir du procédé DED-CLAD®-w

Moule de cuve à vin en cours de fabrication à partir du procédé DED-CLAD®-w (capture d’écran/ crédits : IREPA LASER)

La fabrication additive occupe plus de 50 % aujourd’hui des efforts de R&D de IREPA LASER. Nous avons démarré cette activité il y a 18 ans maintenant, et n’avons jamais cessé de développer et industrialiser ces technologies pour répondre à des besoins industriels, mais aussi pour proposer des solutions nouvelles pour l’industrie de demain. C’est le cas de la technologie DED CLAD-pw basée sur de récents développements qui nous ont permis de démontrer la faisabilité de fabrication de pièces de grandes dimensions, de plus de 2m de diamètre.

On peut dire que cette nouvelle solution est une étape supplémentaire dans l’évolution de ces technologies de fabrication. Elle tire profit de tous les travaux de développement (une dizaine de projets collaboratifs nationaux ou européen) ou de recherche (6 thèses) que nous avons menés pendant les 3 décennies passées. Début des années 90, l’histoire avait commencé avec la mise au point et le brevet déposé pour une buse de rechargement par laser coaxiale et multidirectionnelle…

« Au-delà du mètre, on rentre dans le domaine du grand format, où les exigences de vitesse de fabrication l’emporteront sur celles de précision absolue »

À partir de quand selon vous peut-on parler de fabrication additive grand format ?

Il est difficile de fixer une limite de taille pour chacun des procédés de fabrication additive. Par contre chacun des procédés possède ses propres limites en termes de vitesses de construction qui imposeront des limites en termes de durée de fabrication et de coût de réalisation. Les procédés PBF sont précis, permettent de faire des pièces complexes, et sont parfaitement adaptés à des pièces de quelques dizaines de cm de longueur ou de diamètre, toujours bien inférieures au m sur leur grande dimension. Si l’on désire des pièces moins précises, moins complexes mais réalisées avec des moyens plus rapides et plus économiques, on se tourne vers les procédés DED.

En deçà du mètre, on est dans la partie petit-moyen format de ces procédés. Au-delà du mètre, on rentre dans le domaine du grand format, où les exigences de vitesse de fabrication l’emporteront sur celles de précision absolue. Cette configuration s’adresse à la réalisation d’ébauches, avec des surépaisseurs d’usinage permettant d’atteindre le dimensionnel souhaité après usinage.

À quelle problématiques souhaitiez-vous répondre avec votre nouvelle solution DED CLAD-PW ?

Nous avions déjà réalisé des pièces d’assez grandes dimensions dans le cadre de projets précédents (un cylindre de 71 kg en alliage de Titane Ti6Al4V pour le secteur spatial, et une pièce de structure de 1.1m de longueur également en alliage de Ti pour une application aéronautique). Ces pièces avaient été fabriquées avec notre procédé DED CLAD®-p basé sur un dépôt de poudres fondues par laser. Nous avions utilisé notre machine cartésienne 5 axes ‘MAGIC’, équipée d’une enceinte permettant de travailler sous gaz inerte. Avec de telles pièces, nous avions atteint les limites de cette machine en termes de dimensions.

Fort de cette expérience, nous avons décidé de lancer un nouveau projet dans le but de fabriquer des pièces de plus grandes dimensions. Ce projet, un PSPC (Projet Structurant Pour la Compétitivité) nommé PAMPROD, supporté par la BPI et coordonné par la société APERAM, regroupe plusieurs partenaires (Prodways, TPSH, l’ESTIA, IJL et IREPA LASER). Le cœur du projet repose sur une solution hybride de fabrication XXL, avec la mise au point de nouvelles solutions de fabrication adaptées aux grandes pièces, et intégrées sur une machine constituée de 2 robots, fabriquée par la société VLM Robotics.

« Cette configuration bi-robots permet également d’envisager la mise en œuvre d’autres effecteurs comme du contrôle, de l’usinage »

machine de fabrication addtiive métallique IREPA LASER

(crédits photo : IREPA LASER)

Cette technologie hybride est constituée de l’association de 2 procédés : un dépôt de poudre (DED CLAD-p) et un dépôt de fil (DED CLAD-w, brevet en cours de dépôt), tous deux fondus par faisceau laser, et intégrés sur la machine. Les 2 procédés sont complémentaires : l’un (à base de fil) permet d’atteindre des vitesses brutes de construction très élevées (plus de 600 cm3/h) tandis que l’autre (à base de poudres) atteint plus de 350 cm3/h, mais peut travailler de façon plus précise à plus faible vitesse de fabrication. On peut ainsi fabriquer des ébauches à grande vitesse avec une buse et rajouter des éléments de façon précise et localisée sur l’ébauche ou sur une pièce existante avec l’autre buse. La cellule comporte 2 robots (rayon d’action de 3m) portant chacun une buse.

La programmation de cette cellule, basée sur l’utilisation d’un environnement SIEMENS (NX, 840D, …), permet de synchroniser les mouvements des 2 robots (configuration ‘multicanal’) et de piloter les 17 axes du système (robots, axes linéaires, positionneur). Cette configuration bi-robots permet également d’envisager la mise en œuvre, simultanément à l’opération de fabrication additive, d’autres effecteurs comme du contrôle, de l’usinage, … C’est en cela que cette machine présente un caractère hybride et polyvalent.

Quels sont les matériaux d’ores et déjà possibles ?

Nous avons une forte expérience dans la mise en œuvre des matériaux métalliques, basée sur tous les développements que nous avons faits dans le passé, en particulier dans le domaine du rechargement par faisceau laser. Ces développements se sont poursuivis ensuite avec l’utilisation de ces matériaux (principalement aciers Inox, Base Ni, alliages de Ti, alliages de Cu, …) pour réaliser des pièces ou faire des réparations avec le procédé DED CLAD-p. Ce dernier repose sur l’injection de matériaux sous formes de poudres, et un très grand éventail de matériaux est disponible sur le marché, boosté par le développement des technologies additives.

En ce qui concerne la technologie DED CLAD-w, le matériau de base est sous forme d’un fil. Cette configuration impose que le matériau soit tréfilable, ce qui réduit quelque peu l’éventail des possibilités, même si il est possible d’utiliser des fils fourrés avec des poudres spécifiques. Aujourd’hui nous avons surtout travaillé avec des aciers inox (316L par exemple) et des alliages base Nickel (Inconel 625 par exemple), mais aussi des aciers spéciaux. D’autres matériaux sont à l’étude aujourd’hui comme les alliages d’aluminium. Les matériaux déposés présentent d’excellentes qualités métallurgiques, avec un niveau extrêmement bas de porosité. Tant que les matériaux mis en œuvre présentent une bonne soudabilité métallurgique, on peut s’attendre à obtenir de très bons résultats.

« Notre procédé DED CLAD-pw permet aujourd’hui de fabriquer des pièces avec une vitesse de fabrication de l’ordre de 400 à 500 cm3/h »

machine DED IREPA LASER

(crédits photo : IREPA LASER)

Les procédés FA de type DED tirent également leur intérêt dans leur rapidité d’impression. Que pouvez-vous nous dire sur les taux de dépôt et précisions de votre solution.

Les procédés de dépôt de matière sous énergie concentrée (DED) dont le WAAM fait également partie, tirent leur principal avantage des vitesses élevées de fabrication, surtout comparé aux procédés basés sur la fusion sur lit de poudre (PBF : Powder Bed Fusion). Par contre, ils ne peuvent pas rivaliser en termes de précision et de complexité des pièces fabriquées.

Notre procédé DED CLAD-pw permet aujourd’hui de fabriquer des pièces avec une vitesse de fabrication de l’ordre de 400 à 500 cm3/h, déjà poussée à plus de 600 cm3/h, et nous visons des vitesses encore plus élevées (1000 cm3/h), sachant que nous utilisons un laser qui n’est pas au maximum de ses capacités. Cette vitesse est une vitesse brute de fabrication et il est important de bien comprendre ce qu’elle représente, car bien souvent si ce n’est pas précisé, on peut faire des calculs de temps de fabrication erronés.

En fait, elle représente la vitesse de dépôt de matière instantanée. Mais lorsque l’on veut fabriquer une pièce, et en fonction des dimensions et de la masse de celle-ci, on peut avoir une accumulation de chaleur qui demande des temps de refroidissement lorsque la température devient trop élevée en certains endroits. En appliquant ces temps de refroidissement, on peut éviter des surchauffes de la pièce qui modifient notamment les caractéristiques géométriques des dépôts et ainsi conserver les conditions opératoires idéales de fabrication.

« les petites pièces qui vont s’échauffer plus rapidement en raison d’une masse moindre »

De plus, en fonction de la géométrie des pièces et des stratégies de fabrication, on peut avoir des déplacements à vide importants qui accroissent les temps de réalisation. Lorsque tous ces paramètres sont pris en compte, la vitesse de fabrication réelle est plus faible que celle affichée initialement. C’est souvent le cas avec les petites pièces qui vont s’échauffer plus rapidement en raison d’une masse moindre. La gestion de la thermique est une chose importante et doit être prise en compte dès le choix des stratégies de fabrication de la pièce. Dans le cas de la fabrication du moule de cuve à vin, et compte tenu des dimensions de la pièce qui avait le temps de refroidir pendant un tour complet, la vitesse de fabrication avait été choisie pour assurer une bonne qualité et on a obtenu une vitesse finale de construction de 420 cm3/h.

Dans le cas de la fabrication de pièces de très grandes dimensions, le choix de la technologie laser-fil s’est imposé car le faisceau laser offre notamment la possibilité de maîtriser avec précision la quantité d’énergie déposée, d’obtenir rapidement et de façon localisée des densités d’énergie très importantes. Ces avantages permettent d’atteindre des vitesses de dépôt élevées tout en maîtrisant les caractéristiques géométriques des dépôts, apportant une excellente reproductibilité des cordons.

Il est toujours difficile de parler de précision, d’autant plus qu’il est souvent question de fabrication d’ébauches, c’est-à-dire que l’on considère une pièce à réaliser proche des cotes finales et qui devra ensuite être usinée, au moins sur les surfaces fonctionnelles. Cela sous-entend des surépaisseurs d’usinage qui gomment les défauts, voire les déformations dans les parties usinées. De plus, les conditions opératoires sont souvent fixées dès le départ de la construction pour obtenir une largeur et une épaisseur de dépôt, qui varieront peu de façon à maîtriser le dimensionnel de la pièce. Les dimensions de la pièce seront donc approchées, modulo la largeur d’un cordon. (réduit de la largeur du recouvrement des cordons les uns sur les autres). Hormis cette précision dimensionnelle, c’est la reproductibilité des cordons qui permettra d’obtenir des bords propres et homogènes.

« Les secteurs d’activité concernés sont l’énergie, le nucléaire, .. mais aussi des secteurs où on attendait beaucoup moins… »

Moule de cuve à vin imprimé en inox 316 L

Moule de cuve à vin (2,2 m de largeur x 2,6 m de hauteur pour 1200 kg de matière déposée) imprimé à partir d’inox 316 L selon le procédé DED CLAD-pw d’IREPA LASER. Contenance : 6717,6 litres / Temps de construction : 16.5 jours, en 3 équipes.

Parlez-nous enfin des secteurs d’activités visés et les applications possibles ?

Les derniers travaux dans notre cellule robotisée visent la réalisation de pièces de grandes, voire très grandes dimensions. Bien sûr il y a les applications dans le domaine de l’aéronautique et du spatial, pièces de moteur dans des alliages base Ni, pièces de structure, …. Cependant, on envisage également d’autres secteurs d’activité, avec des matériaux parfois moins nobles que les précédents, mais avec des enjeux industriels forts : forte réduction des délais de fabrication, relocalisation de la production en France, meilleure utilisation de la matière, etc …

Les secteurs d’activité concernés sont l’énergie, le nucléaire, .. mais aussi des secteurs où on attendait beaucoup moins ces nouvelles technologies de fabrication. Nous en avons fait la démonstration en fabriquant un moule de cuve à vin en polymère pour un fabricant Bordelais (Wine & Tools). Le procédé DED CLAD-pw et la continuité de la chaîne numérique, permettent une certaine liberté de conception, difficile à obtenir dans ce cas avec une fabrication traditionnelle mécano-soudée.

Alexandre Moussion