Utilisateur historique de l’impression 3D, le secteur médical privilégie de plus en plus cette méthode de fabrication pour répondre à son besoin de personnalisation et d’agilité. Dans un domaine, celui de la santé, où s’adapter aux spécificités de chaque patient est primordial, parfois même vital, la fabrication additive n’a pas d’égal pour créer des dispositifs sur-mesure. Les nombreuses contraintes qui régissent néanmoins ce secteur compliquent la diffusion de cette technologie chez ses praticiens. Pour faciliter son accès et apporter son pouvoir de personnalisation au plus près du besoin, une jeune pousse stéphanoise dénommée Med in Town a mis au point une micro-usine mobile. Curieux d’en savoir plus sur cette solution nomade, Primante3D a interrogé son PDG et fondateur Jerôme Prêcheur.
« En rigolant j’ai dit aux autres qu’on avait qu’à mettre l’usine dans une boite et lui faire passer la frontière »
Bonjour Jérôme, pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours avant Med in Town ?
Bonjour Alexandre, avant de fonder Med In Town en janvier 2020, dès 2018 j’ai créé une entreprise de conseils en management de la qualité et validation de procédés spéciaux basés sur mon expérience du secteur médical afin de financer le projet. J’avais acquis une expérience significative dans une PME de l’orthopédie qui a été rachetée en 2015 par un des leaders européens de la fabrication d’implants métalliques. J’ai occupé différents postes, parfois en parallèle les uns des autres comme Directeur Qualité, Responsable Production & Logistique, ou encore Responsable Fabrication Additive.
Comment s’est passée votre première rencontre avec l’impression 3D ?
Un jour de 2011, mon boss de l’époque est arrivé en disant qu’il avait un deal avec une Start-Up qui voulait faire des guides de coupe pour la chirurgie personnalisée. Le deal était qu’on soit l’entité de production et en tant que Responsable Qualité il m’a fallu piloter, avec les équipes, le projet d’intégration des imprimantes SLS en salle blanche car nous devions livrer les cliniques en direct. Le plus fort c’est que quand on l’a appris les investissements étaient engagés, autant dire que l’on a pas eu le temps de se poser trop de questions !
« C’est généralement le producteur qui raccourci sont temps de production pour pouvoir être dans les temps »
Med in Town est une toute jeune start-up. Comment cette aventure a t-elle commencé et qui sont ses protagonistes ?
Actuellement, nous sommes 5 associés, et il y a déjà quelques temps, nous avions une problématique de délai… Pour la chirurgie sur-mesure le délai est assez court : entre l’imagerie et la chirurgie il se passe généralement 5 semaines, le chirurgien en prend 3 pour planifier l’opération, ce qui laisse 2 semaines pour transformer la planification en DM utilisable au bloc et livrer le kit chirurgical. Quand on livre l’Australie par exemple le transporteur annonce 1 semaine d’acheminement avec toutes les contraintes douanières que ceux qui exportent connaissent bien ! C’est généralement le producteur qui raccourci son temps de production pour pouvoir être dans les temps et c’est plutôt stressant comme situation, on parle de Dispositif Médicaux et l’erreur n’est pas permise.
En réponse à cette problématique on s’est dit que ce serait intéressant de développer un partenariat avec un producteur local mais c’est lourd à mettre en place et valider. En rigolant j’ai dit aux autres qu’on avait qu’à mettre l’usine dans une boite et lui faire passer la frontière, il ne nous resterait plus qu’envoyer les fichiers informatiques nécessaires à la production. Et pour être sûr d’être dans les mêmes conditions de production ici ou là-bas on avait plus qu’à faire des copier/coller…Notre concept de MicroFactory était né !
Quels seront les équipements mis à disposition dans la Micro Factory et leurs capacités ?
La v1 de la MicroFactory est en 3 parties et intègre 2 imprimantes SLS pour du PA2200 (Polymère biocompatible), une station de mélange et une de déballage, un poste de microbillage en semi auto, un bac de nettoyage Ultrasons et une partie reprise/contrôle des pièces pour la zone de production. Une fois les pièces contrôlées, elles sont déposées dans un laveur désinfecteur double porte, puis récupérées propre en salle blanche où elles sont mises en double sachet pour maintenir le niveau de contamination en vue de la stérilisation.
Un autoclave est également intégré pour rendre le dispositif stérile et ainsi utilisable au bloc opératoire. La troisième partie de la MicroFactory est un local technique qui permet de garantir la conformité de l’environnement et la transformation des énergies (déminéralisation d’eau, compression d’air, réseau informatique,etc…)
« Nous avons pris le parti de travailler les polymères car ils sont plus accessibles »
À l’inverse quelles sont les limites de cette solution ?
Actuellement nous travaillons sur une seule « recette » et sommes en capacité de produire seulement en SLS sur du PA2200. Nous avons un partenariat avec l’Ecole Nationale d’Ingénieur de Saint-Etienne et le CHU pour travailler à d’autres recettes qui pourrait intégrer d’autres technologies comme le SLA et le FDM. Nous avons pris le parti de travailler les polymères car ils sont plus accessibles mais le champ des possibles est vaste avec la fabrication additive !
Nous avons évidement un problème de place puisque tout doit rentrer dans 30 m², c’est un facteur limitant mais nous avons réfléchi la MicroFactory comme une brique à laquelle peuvent s’en plugger d’autres, combinant différents espaces de travail. C’est comme jouer au lego avec des « briques technologiques » !
Que pouvez-vous nous dire sur le nombre d’opérateurs nécessaires pour faire tourner cette micro-usine et le niveau de compétence requis ?
Il est possible de faire tourner la MicroFactory avec 2 opérateurs polyvalents ensemble ou en 2 huit. Le choix de 2 imprimantes permet de lancer régulièrement des fabrications pour lisser le travail des opérateurs et répondre aux urgences des clients. Nous avons dimensionné la MicroFactory pour qu’elle soit rentable avec un seul opérateur, le deuxième permet d’augmenter le rendement mais n’est pas forcément nécessaire. Les opérateurs doivent être polyvalent : lancement machine, déballage, dépoudrage, contrôle, lavage, emballage en salle blanche et stérilisation. Nous accompagnons les utilisateurs dans l’acquisition de ces compétences.
« nous souhaitons démocratiser l’usage de l’impression 3D dans le médical et proposons plusieurs services »
Quels marchés visez-vous avec la Micro Factory ?
Les fabricants étant règlementairement responsables de la mise sur le marché du DM, il est impossible de ne pas travailler avec eux, cependant nous souhaitons également impliquer les établissements de santé afin qu’ils deviennent ambassadeurs de la solution.
Aujourd’hui nous souhaitons démocratiser l’usage de l’impression 3D dans le médical et proposons plusieurs services, le premier étant l’accompagnement à la conception pour la fabrication additive et l’industrialisation des DM. Notre premier site de production servira de démonstrateur et de « Laboratoire » pour les fabricants de DM. Cette stratégie leur permettra d’explorer les opportunités de la solution. Une fois la phase de démarrage passée, le fabricant peut commander sa MicroFactory et transférer tout ou partie de sa production en interne.
D’autres solutions similaires reposant sur l’utilisation de containers ont commencé à émerger. Quelles difficultés et contraintes cela ajoute t-il de produire des dispositifs médicaux ?
Le container permet une fabrication Hors Site de l’usine réglant une grande partie des problématiques de perturbation des flux de production par toute sortes de travaux et autres déménagements. Dans le DM, la notion de maîtrise des procédés est indispensable, pour moi, la solution container apporte une multitude d’avantages. Un flux et des machines dédiés à une activité limitant les pollutions croisées, la possibilité de déplacer facilement l’ensemble du process, la possibilité de créer un back-up de production en dupliquant les installations, etc…
Le marché de l’impression 3d pour le médical est en croissance rapide et personne ne sait dire s’il aura besoin de 2 ou 20 machines dans les années qui viennent, dans ce contexte il est difficile de dimensionner ses installations et chaque modification voit son coût multiplier par des procédures de validation longues et coûteuses. La MicroFactory apporte une certaine agilité dont les fabricants ont besoin.
« L’autre avantage de cette solution c’est qu’elle est productive dès réception »
Que pouvez-vous nous dire sur le prix et le seuil de rentabilité d’un tel dispositif ?
Le prix estimatif d’une solution complète est un peu en deçà de 700 k€. En considérant qu’un seul opérateur fait tourner la MicroFactory, nous avons approximé un ROI à 3 ans. L’autre avantage de cette solution c’est qu’elle est productive dès réception, habituellement les fabricants doivent investir machine par machine et attendre la fin des validations pour pouvoir produire, il se passe facilement 6 mois entre la réception de la première machine et la vente de la première pièce. Avec une MicroFactory on réduit le délai à quelques dizaines de jours seulement.
Comment votre solution a t-elle été accueillie par le monde médical ?
Notre démonstrateur est très attendu et pas que par nous, en effet l’idée séduit par sa simplicité et son efficacité y compris du côté des fabricants d’imprimantes. Les fabricants de DM ne prennent aucun risque à travailler avec nous et nous misons sur la transparence dans nos partenariats.
Côté établissements de santé, c’est un double combat que nous menons car avant de faire découvrir la MicroFactory il faut parfois expliquer l’impression 3D et toutes ses possibilités…La fabrication additive permet de faire de la personnalisation de masse et comme chaque patient est unique, nous sommes convaincus qu’il n’y a pas de meilleur marché à développer !
Où et quand pourra t-on voir la première Micro Factory en action ?
Nous pouvions nous installer à différents endroits car Saint Etienne Métropole notamment soutient largement le projet mais il nous a paru important de montrer que Med In Town c’est avant tout une solution de proximité, et le CHU de Saint Etienne est alors devenu une évidence.
Grâce au partenariat HUMAN 19 notre première MicroFactory arrivera dans les prochaines semaines sur le site du CHU Nord de Saint Etienne et devrait être opérationnelle pour produire les premiers DM dès le deuxième semestre 2021.