L’impression 3D nous habitue à tellement d’exploits, qu’elle nous conditionne presque à les considérer avec une forme de banalité lorsqu’ils se réalisent. En particulier ceux qui comme moi côtoient cette technologie au quotidien. Faire un pas de côté est donc parfois nécessaire pour prendre la pleine mesure de la révolution qu’elle incarne.
Prendre le temps d’échanger avec des personnes moins au fait de cette technologie, est aussi un excellent moyen d’avoir un regard neuf sur ce que l’impression 3D occasionne en termes de bouleversements. Si la majorité du grand public connait aujourd’hui l’impression 3D, elles sous estiment bien souvent ses capacités. Il suffit de lire les réactions d’une vidéo comme celle-ci, pour se rendre compte du travail d’évangélisation qu’il reste encore à fournir.
Lors de mes diverses discussions, j’ai parfois été frappé du constat que mes interlocuteurs ignoraient par exemple la possibilité d’imprimer du métal, à fortiori des pièces critiques et certifiées. Autant dire que certains vont littéralement tomber de leur chaise en apprenant qu’une fusée presque entièrement imprimée en 3D – la Terran 1 -, a décollé cette nuit.
Initialement programmée le mercredi 8 mars sur la base de lancement de Cap Canaveral, la mise à feu du lanceur avait finalement été annulée de manière automatisée en raison d’un problème de température de carburant. Au grand dam de la start-up et des amoureux de l’espace, le deuxième essai entrepris le 11 mars, avait connu le même sort. Cette fois-ci en raison d’un soucis de pression de carburant. La troisième tentative aura finalement été la bonne. Ce 23 mars, à 23 h 25 heure locale, la fusée imprimée en 3D de Relativity Space s’est finalement arrachée de son pas de tir.
« Nous avons réussi à passer le cap de Max-Q, l’état de contrainte le plus élevé de nos structures imprimées »
Un moment historique (l’adjectif n’est pas galvaudé) pour le monde de l’aérospatial et plus globalement de l’impression 3D. Si le lanceur n’a pas réussi à atteindre son orbite en raison d’un problème d’allumage de son moteur survenue pendant la séparation du deuxième étage, Relativity Space a néanmoins réussi à prouver qu’une fusée imprimée en 3D pouvait résister aux rigueurs du décollage et des vols.
Préfigurant la fusée de demain, avec ses 33,5 mètres de haut, Terran 1 a atteint l’un des principaux objectifs de sa mission d’essai en s’élevant vers l’espace à une vitesse de 1 999 km/h environ 80 secondes après son décollage, alors qu’elle se trouvait à une altitude de 16 km au-dessus de l’océan Atlantique et avait atteint son maximum aérodynamique.
« Le lancement d’aujourd’hui a mis à l’épreuve les technologies de fusées imprimées en 3D de Relativity, qui seront utilisées pour notre prochain véhicule, le Terran R. » À tweeté Relativity Space. « Nous avons réussi à passer le cap de Max-Q, l’état de contrainte le plus élevé de nos structures imprimées. C’est la plus grande preuve de notre nouvelle approche de la fabrication additive. La journée d’aujourd’hui est une grande victoire, avec de nombreuses premières historiques. Nous avons également franchi l’étape de la coupure du moteur principal et de la séparation des étages. Nous évaluerons les données de vol et fournirons des mises à jour publiques dans les jours à venir. »
Derrière cette incroyable prouesse technique, se cache une start-up aux ambitions XXL du nom de Relativity Space. Installée dans un ancien bâtiment de la NASA en Nouvelles Orléans, cette jeune pousse américaine née en 2015, n’a pas hésité a rêvé grand. L’idée portée par ses deux brillants fondateurs Tim Ellis and CTO Jordan Noone, deux anciens ingénieurs de Space X et Blue Origin, était que les entreprises NewSpace existantes n’exploitaient pas suffisamment le potentiel de la fabrication additive.
Un pari plus que relevé pour la jeune entreprise, puisqu’à ce jour 85 % de la masse de sa fusée est imprimée en 3D. Seuls l’électronique et quelques autres éléments sont encore fabriqués de manière traditionnelle. À terme, l’objectif de la société est d’imprimer en 3D au moins 95 % de son lanceur.
Si pour les petites pièces détaillées, la start-up tire parti d’imprimantes 3D exploitant la fusion sur lit de poudre métallique, Il va de soi que pour imprimer des structures aussi grandes que des réservoirs pour fusée et des fuselages, les systèmes classiques à enceinte cloisonnée ne sont pas adaptés. C’est dans cette optique que Relativity Space a inventé sa propre technologie d’impression 3D robotisée pour le métal.
Baptisée Stargate, cette imprimante revendiquée comme la plus grande au monde dans sa catégorie, est capable de produire des structures de fusée en alliage d’aluminium. Celle-ci tire parti d’un procédé de type DED (dépôt de matière sous énergie concentrée) qui dans le cas présent consiste à faire fondre un fil métallique à l’aide d’un arc électrique. Pour ce faire, la génération précédente de machines était équipée de bras robotisés Kuka de plus de 5 m de haut.
En octobre dernier, la start-up avait d’ailleurs annoncé une mise à jour de ses machines; l’objectif étant de gagner encore en rapidité, volume et qualité d’impression. La jeune pousse affirme qu’avec les différentes améliorations opérées sur sa technologie, elle est désormais capable d’imprimer 7 fois plus rapidement qu’avec ses premiers systèmes, mais aussi 12 fois plus vite que les solutions de Relativity dans leur ensemble.
Pour s’affranchir des contraintes de la hauteur de plafond propres aux imprimantes 3D verticales, Relativity Space a repensé l’orientation de son système de manière à pouvoir imprimer horizontalement. Combinée à des logiciels personnalisés et des techniques d’apprentissage automatique, cette nouvelle approche lui permet désormais de créer de grandes pièces pouvant atteindre 36 m de long et 7 mètres de large. La société constate également une réduction de l’entropie, pour une fabrication plus cohérente et plus fiable.
« Notre architecture révolutionnaire, unique et pilotée par logiciel est capable de répondre aux besoins changeants des clients désireux d’envoyer des satellites dans l’Espace »
Relativity Space s’ajoute à la longue liste des acteurs de l’aérospatiale qui tirent aujourd’hui parti des avantages de l’impression 3D pour réduire leur coût de production en simplifiant notamment leur chaîne d’approvisionnement. L’agilité sans égal de cette technologie, a permis d’accélérer drastiquement leurs cycles de développement. Sa grande liberté de conception est aussi un moyen de réaliser un très grand nombre d’itérations, et dans les plus brefs délais par rapport aux méthodes classiques.
Avec l’impression 3D, la société est également en mesure de s’attaquer au nerf de la guerre : le poids d’un lanceur. Elle permet une diminution significative de masse globale (50 % en moyenne selon les pièces), ce qui permet d’augmenter la charge utile et de diminuer le coût des lancements. L’autre effet bénéfique concerne le délai d’exécution que l’on sait très long dans ce secteur. Selon les données publiées par Relativity Space, l’impression 3D lui permet de réduire le temps de fabrication à seulement 2 mois, contre 24 avec les techniques classiques.
« Notre architecture révolutionnaire, unique et pilotée par logiciel est capable de répondre aux besoins changeants des clients désireux d’envoyer des satellites dans l’Espace, tout en fournissant le service de lancement le plus agile et le plus abordable du marché. » Commente Relativity Space. « Conçu et imprimé aux États-Unis, Terran 1 est le produit le plus innovant issu de l’industrie aérospatiale depuis l’aube de la privatisation de l’espace il y a 20 ans. »
L’autre avantage et non des moindres pour un secteur tel que l’aérospatiale, est que la fabrication additive engendre une réduction absolument drastique du nombre de pièces qui composent habituellement une fusée. Ainsi la fabrication de Terran 1 nécessite cent fois moins de pièces qu’avec les techniques traditionnelles et n’exige aucun outillage fixe. La jeune pousse affirme qu’il ne faudrait pas plus de 1 000 pièces pour construire sa fusée, contre 100 000 en temps normal ! Chacun l’aura compris, le fait pouvoir fabriquer une fusée avec un nombre si réduit de pièces, diminue d’autant les risques de pannes et d’accidents.
L’autre intérêt de l’impression 3D enfin, est qu’elle ajoute également à la résistance des pièces qui composent la fusée. Grâce à elle, des composants peuvent être fabriqués d’un seul tenant et sans jointure. Le fait de supprimer les points de faiblesse que représentent les fixations et les soudures, permet d’améliorer considérablement la résistance d’une pièce. « L’absence de soudure ou d’assemblage signifie également que la fusée peut mieux résister aux fluctuations extrêmes de la température et de la pression. » expliquait il y a quelques année Orbex une entreprise spatiale concurrente tirant elle aussi de la fabrication additive.
Au-delà de son utilisation ambitieuse de l’impression 3D, la Terran 1 innove sur un autre aspect : celui du carburant. Ce lanceur est le premier sur orbite a être alimenté avec du méthalox. Un mélange de méthane et d’oxygène liquide. Devenu la norme pour les lanceurs de nouvelle génération. ce composé présente de nombreux avantages par rapport au kérolox , un carburant à base de kérosène que la plupart des fusées utilisent habituellement.
L’un des gros avantages du kérolox se situe dans son composant principal, le méthane, qui se trouve être beaucoup plus abondant que ceux du kérolox, et donc très peu cher. Son autre atout est qu’il peut être aussi plus facilement stocké. La raison est qu’il nécessite une température plus basse que le kérolox, ce qui facilite également sa manipulation. Sa combustion est également plus propre, ne laissant pas de résidus de carbone sur les parois du moteur.
Avec ses 2,28 mètres de diamètre pour 9 280 kg de masse sèche (la masse de tous les éléments qui permettent à la fusée de fonctionner et de voler), Terran 1 est un petit lanceur léger à deux étages capable de fournir une charge utile maximale de 1 250 kg en orbite terrestre basse (LEO) et jusqu’à 900 kg de charge utile en orbite héliosynchrone ( SSO).
Ses dix moteurs Aeon R lui permettront d’assurer des missions telles que des lancements de petits satellites ou le déploiement de constellations de satellites. Précisons que pour ce lancement, Terran 1 ne transportait pas de charge utile fonctionnelle. Symboliquement un petit anneau en alliage d’aluminium de 16,5 centimètres et 1,49 kilogramme a été installé à bord de la fusée. Cet anneau a été l’une des premières impressions 3D métalliques réalisées par la société sur sa première génération d’imprimantes 3D Stargate.
« Les produits à grande échelle conçus pour voler seront inévitablement imprimés en 3D »
La prochaine étape se nomme Terran R, une fusée réutilisable, mais surtout beaucoup plus grande et plus puissante (65 mètres et 5,5 m de diamètre). Conçue pour lancer des charges utiles plus lourdes en orbite terrestre basse et en orbite géostationnaire (GEO), celle-ci se destine à des missions de lancement de charges utiles de grande taille pouvant aller jusqu’à 20 tonnes. Sont concernées les satellites de communication et de surveillance, ou des sondes spatiales. Lancement prévu pour 2024.
Au-delà de la prouesse technologique que représente ce lancement réussi de Terran R pour Relatity Space et l’aérospatiale, c’est un signal très fort qui est envoyé aujourd’hui par l’industrie de l’impression 3D. L’exigence extrême qui caractérise l’aérospatiale en matières de normes et certifications, met un sceau de crédibilité sans égal sur cette technologie. Un gage de fiabilité bienvenue quand on sait les efforts que doivent déployer les acteurs de l’impression 3D pour éduquer et convaincre une cible encore immature. On le sait, les exemples de réussites sont très importants pour rassurer les industriels ancrés dans des habitudes de fabrication plus traditionnelle.
Enfin, pour un secteur tel que celui de l’industrie aéronautique où la fabrication additive reste encore largement sous-exploitée (plus que dans le spatial), Relativity Space envoie un coup de coude novateur, qui sans nul doute ne sera pas sans effets sur les mentalités.
Rappelons au passage que plusieurs start-up aérospatiales, dont les américains Space X et Blue Origin, ont déjà intégré l’impression 3D dans leurs moteurs de fusée. Il en va de même pour la NASA qui a développé ses propres technologies additives. Très récemment, l’agence américaine a même annoncé que l’un de ses deux nouveaux instituts de recherche sur les technologies spatiales (IRTS), sera entièrement dédié à la compréhension et à la certification rapide des pièces métalliques élaborées à l’aide des procédés de fabrication additive.
Côté européen, Prometheus, le futur moteur d’ArianeGroup destiné à ses fusées partiellement réutilisables Ariane 6, Ariane Next et Maia, comporte déjà pas moins de 70 % de pièces imprimées en 3D. Son coût de fabrication devrait être dix fois inférieur à celui du moteur-fusée Vulcain 2 d’Ariane 5. Ajoutons également à cette liste, le moteur imprimé en 3D de Latitude (ex-Venture Orbital Systems), une start-up française spécialisée dans les micro-lanceurs.
« Les produits à grande échelle conçus pour voler seront inévitablement imprimés en 3D », abonde Tim Ellis, cofondateur et CEO de Relativity Space. « Plus un produit est léger, plus il est performant, et lors de l’impression 3D de ce produit, il est également plus rapide et plus rentable à produire avec chaque amélioration successive. Nous n’en sommes encore qu’aux premiers jours de ce que l’impression peut accomplir. Nous considérons l’impression 3D comme une technologie d’automatisation qui a le pouvoir de changer le rythme de l’innovation dans la fabrication, c’est pourquoi nous avons investi dans la construction de notre propre brique technologique propriétaire dès le premier jour. »
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