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Armes à feu et impression 3D : le vrai du faux en 10 affirmations

Cody Wilson portant une arme à feu en partie imprimée en 3D

Cody Wilson/Wikimedia, CC BY

À en croire certains médias, imprimer une arme à feu serait devenu un véritable jeu d’enfant. Plus encore, quelques connaissances basiques et une imprimante 3D de bureau à moins de 300 €, suffiraient à imprimer un fusil d’assaut complet… La rencontre entre la technologie la plus en vue du moment et l’objet de mort le plus emblématique, a mis le feu aux poudres d’un débat explosif. Cette polémique tout droite venue des Etats-Unis, on la doit à un certain Cody Wilson. Ancien étudiant en droit, ce Texan de 30 ans a imprimé ses premières pièces d’armes à feu en 2012 (dont il partagera les fichiers sur Thingiverse), puis un pistolet complet en 2013 : « The Liberator ».

Cette même année, celui qui se définit comme un crypto-anarchiste, a créé Defence Distributed, une association en ligne dont le but est de publier librement les plans téléchargeables d’armes à feu. Pour diffuser ses fichiers, l’entreprise libertarienne s’appuie sur les 1er et 2ème amendement de la constitution américaine qui recouvrent la liberté d’expression et la liberté de port d’armes.

L’organisation pro-armes a subi son premier coup d’arrêt en mai 2013. La DTCC qui est le département d’Etat en charge de la régulation et l’exportation du matériel et des technologies de défense aux Etats-Unis, a contraint Cody Wilson à retirer tous les plans de son site. La raison invoquée par la DTCC est que les fichiers publiés par Defense Distributed étaient téléchargeables dans des pays ne faisant pas commerce d’armes.

C’est alors que deux ans plus tard, Cody Wilson a attaqué le gouvernement américain. D’une part pour avoir enfreint ses droits fondamentaux de porter des armes, mais aussi pour avoir diffuser l’information. Le 10 juillet 2018, après trois ans de bataille juridique, le ministère de la justice américain a fini par lui donner raison en concluant un accord à l’amiable. Cody Wilson recevra 40 000 $ de dommages et intérêts, avec l’autorisation de publier librement ses fichiers à partir du 1er août.

Le 31 juillet dernier, nouveau rebondissement. La justice américaine suspend cette décision. La raison, huit états opposés à Defense Distributed ont obtenu gain de cause auprès du juge fédéral Robert Lasnik pour émettre une ordonnance restrictive temporaire interdisant la diffusion des fichiers. Depuis, onze autres états se sont joints au mouvement pour interdire de façon permanente leur publication.

Si certes le débat et la vigilance s’imposent, la méconnaissance de l’impression 3D et des armes à feu a engendré beaucoup de fantasmes. Derrière les discours alarmistes et les peurs irraisonnées se cache en réalité une situation beaucoup plus contrastée. En attendant que la justice américaine ne statut de manière définitive sur les armes imprimées en 3D, Primante3D vous propose de démêler le vrai du faux en 10 points.

1. Des plans d’armes à feu imprimables en 3D sont téléchargeables sur internet / Vrai

Jusqu’au 31 juillet dernier il était encore possible de télécharger des fichiers 3D imprimables en 3D (ou à usiner) d’armes à feu sur le site Defense Distributed. Mais sous certains conditions : pas d’armes automatiques, pas de revente et pas de calibres supérieurs à 50 mm. Aux dires de son fondateur, le site avait alors enregistré près 20 000 téléchargements de fichiers d’AR-15, de Beretta 92FS et du fameux Liberator, un pistolet 9 mm. En 2013, année de sa diffusion, ce dernier avait été téléchargé plus de 100 000 fois en 48 h.

Malgré l’interdiction, d’autres sources externes à Defense Distributed (dont on taira les noms) parmi lesquels des sites P2P, proposent ces fichiers en téléchargement. Une étude de Rand Europe et l’Université de Manchester a également démontré l’ampleur des armes imprimées en 3D sur le marché noir. Des plans et des instructions seraient disponibles pour 12 $ sur le Dark Web.

Mise à jour 29/08/2018 : Le groupe Defense Distributed a depuis remis ses plans en ligne. Cody Wilson a exploité une faille de la décision de justice qui selon lui, interdisait seulement une mise à disposition gratuite. Chaque client peut désormais télécharger les fichiers en fixant son propre prix.

2. Imprimer directement des armes toutes faites avec une imprimante 3D grand public / Faux

Pièces détachées du pistolet Liberator / Defense Distributed

Au risque d’en décevoir certains, l’impression 3D n’est pas encore cette technologie magique qui d’une simple pression sur un bouton permet d’imprimer n’importe quel objet. C’est encore plus vrai si vous voulez imprimer un dispositif aussi complexe qu’une arme à feu avec une imprimante 3D de bureau.

Le pistolet Liberator par exemple, se compose de 15 parties en plastique, mais aussi d’un percuteur en métal. Ce dernier ne peut être imprimé sur une imprimante 3D grand public et doit donc être acheté séparément. Environ 20 heures d’impression sont nécessaires pour imprimer une à une les pièces en plastique. Après quoi il faudra encore les assembler. Nous le verrons plus loin, mais même une imprimante 3D industrielle ne permet pas l’impression directe d’une arme à feu.

3. Des condamnations ont déjà été prononcées / Vrai

revolver zig zag démonté

C’est vrai. La première condamnation du genre a eu lieu au Japon en mai 2014. Un homme de 27 ans du nom de Yoshitomo Imura avait été arrêté pour possession de 5 pistolets et d’un revolver. Les armes à feu avaient été imprimées dans son appartement de la banlieue de Tokio à l’aide d’une imprimante 3D de type Reprap. Trahi par ses messages sur les réseaux sociaux, l’apprenti sorcier avait été condamné à deux ans de prison ferme.

Un autre cas similaire avait été rapporté en mars 2017 à Sydney. La police avait retrouvé plusieurs armes à feu imprimées en 3D au domicile d’un jeune australien de 27 ans du nom de Sicen Sun. Ce dernier s’était justifié en disant qu’il voulait simplement reproduire les armes d’un jeu vidéo. Il fut finalement libéré après une caution de 3000 $.

L’un des rares cas de condamnation connus aux Etats-Unis est celle d’un homme se faisant appelé Dr Death. Ce californien avait plaidé coupable en 2016 pour vente illégale d’armes à feu. L’individu utilisait une imprimante 3D et une machine CNC pour fabriquer des pièces de fusil AR15. En vertu de la loi californienne interdisant la vente d’armes à feu sans licence, celui-ci avait été condamné à 41 mois de prison.

Maj : En France, interrogée par LCI sur le phénomène (21/04/2021), la Compagnie nationale des experts en armes et munitions indique « n’avoir eu connaissance à ce jour d’aucune affaire portée devant la justice et impliquant des armes imprimées en 3D. Pas plus que ses confrères, qui sont sollicités près de 400 fois par an par les tribunaux. »

4. Ces armes à feu imprimées en 3D sont fonctionnelles / Vrai et Faux ✅ ❌

Les armes à feu en plastique imprimées entièrement sur des imprimantes 3D grand public, peuvent difficilement être qualifiées de fonctionnelles. Leur capacité de tir n’a rien à voir avec celle des vraies armes en métal. Le Liberator par exemple est un pistolet à un coup et dont la portée atteindrait péniblement les vingt mètres. (contre 30 à 50 m pour un vrai pistolet)

Si la police australienne a démontré qu’une arme entièrement imprimée en 3D pouvait effectuer des tirs mortels, leur dangerosité pour le tireur a également été souligné. Lors des tests balistiques, le canon de l’une des armes avait littéralement explosé. Il est donc dangereux de manipuler ce type d’arme, les pièces en plastique ne sont pas suffisamment résistantes à la chaleur dégagée et la puissance du tir.

Pistolet Cold M911 de Solid Concept (crédits photo : Solid Concept)

Les armes que l’on pourrait vraiment qualifier de fonctionnelles ne comportent en fait que quelques pièces imprimées en 3D comme le récepteur ou la crosse par exemple. Les pièces en métal, comme le percuteur, le canon ou encore les ressorts peuvent être achetées dans des magasins spécialisés aux Etats-Unis.

La seule arme à feu imprimée en 3D digne de ce nom, a été fabriquée en 2013 sur une imprimante 3D métal industrielle de type DMLS (technique par fusion laser sur lit de poudre). Le spécialiste de l’impression 3D californien Solid Concept était parvenu à reproduire le mythique Colt M911 utilisé par les Forces armées des Etats-Unis. Le pistolet avait été imprimé en 30 parties sur une poudre d’acier inoxydable. Pour les non initiés, précision que ce genre de machines coûtent plusieurs centaines de milliers d’euros et requièrent des ingénieurs spécialisés.

5. On peut fabriquer un fusil d’assaut AR15 complet avec une imprimante 3D de bureau / Faux

En blanc, une platine d’AR15 imprimée en 3D. (crédits photo : Defense Distributed)

Fabriquer un fusil d’assaut AR15 complet avec une imprimante 3D de bureau relève clairement de la science fiction. Tout au mieux on pourra imprimer certains éléments en plastique comme la crosse, la poignée ou encore le chargeur. La confusion porte en fait sur la machine vendue par Cody Wilson appelée Ghost Gunner. Il ne s’agit en aucune façon d’une imprimante 3D mais d’une fraiseuse.

Cette machine CNC open-source permet d’usiner des platines d’AR15, AR-308 dans un bloc d’aluminium, ou encore la carcasse d’un M1911. Comme démontrée ci-dessous, cette pratique est parfaitement légale aux Etats-Unis.

6. La loi américaine interdit la fabrication d’armes sans numéro de série / Faux

Machine CNC Ghost Gunner / Image via ghostgunner.net

Aussi paradoxal que cela puisse être, aux Etats-Unis la loi autorise la fabrication d’armes à feu sans numéro de série. Comme souligné précédemment, Cody Wilson a exploité une faille dans la réglementation des platines des armes à feu. Cette pièce en métal qui relie les différents composants de l’arme et porte le numéro de série est normalement interdite à la vente. Cependant le fabriquer soi même est parfaitement légal dans la plupart des états.

Il suffit pour cela d’acheter ce que l’on appelle une « platine 80% ». C’est à dire une pièce en métal usinée à 80 % que l’on peut finir avec une machine CNC. Elle sera ensuite assemblée aux autres pièces, qui peuvent être achetées en ligne sans être soumis à des délais d’attente ni à une vérification des antécédents.

Contrairement à ce qu’on a pu lire, la Ghost Gunner de Cody Wilson n’est pas très abordable. La machine CNC est vendue au prix de 2 000 $ (et non quelques centaines de dollars). Les 250 $ indiqués sur le site correspondent au montant du dépôt pour commander la fraiseuse. Il faut encore ajouter entre 67 et 87 dollars rien que pour les platines.

7. Ces armes en plastique sont indétectables / Vrai et Faux ✅ ❌

Le fait de fabriquer une arme dans un matériau plastique rend il est vrai plus difficile sa détection dans certains cas. Le percuteur du Liberator par exemple mais aussi une balle (certaines minutions sont aujourd’hui en grande partie composée de polymères), représentent une masse de métal trop faible pour faire sonner un portique de détection métallique d’aéroport.

En effet selon la loi américaine « Toute arme à feu doit pouvoir être repérée par un détecteur de métaux configuré pour détecter une masse de métal de 105 g (3,7 onces) d’acier inoxydable de type 17-4 PH (17% de chrome et 4% de nickel). » C’est la raison pour laquelle une paire de boucle d’oreille et une bague ne feront pas sonner un portique d’aéroport (les portiques de prison ont cependant une plus haute sensibilité).

Manuel pour le pistolet imprimable 3D Liberator. Une flèche bleue pointe où les utilisateurs sont invités à insérer un morceau de métal pour que l’arme soit conforme aux lois américaines. (crédits photo : Eric Mutchler)

Pour se conformer à la loi Cody Wilson aurait ainsi ajouter une pièce en métal non fonctionnelle pour rendre son arme détectable (voir photo ci-dessus). Bien sûr rien ne garantit que ses utilisateurs ne fassent de même.

Pour autant le portique de détection métallique n’est pas le seul moyen de repérer une arme. Les scanneurs à rayons X pour les bagages permettent de détecter ces armes en plastiques lorsque celles-ci sont trop volumineuses pour être cachées par des vêtements. La détection s’avère en revanche plus difficile si quelqu’un tente de passer une arme en pièces détachées. En mai 2013, deux journalistes britannique était parvenus à passer les contrôles de sécurité de la gare internationale de St Pancras avec un pistolet en plastique imprimé en 3D (le modèle Liberator). L’arme démontée et dissimulée sous les vêtements, avait pu ensuite être assemblée dans le train.

« C’est bien davantage sur la détection des individus dangereux qu’il faut désormais se concentrer »

Le scanner corporel vient s’ajouter aux autres moyens de contrôles de préembarquement disponibles. L’appareil permet de visualiser des objets placés contre le corps du passager. Enfin, la détection par palpation du corps du passager est un autre moyen supplémentaire pour déceler une arme à feu dissimulée sur le corps.

Dans le cas ou les contrôles primaires auraient échoué, reste encore la sélection des passagers. Cette méthode consiste intercepter des individus dangereux en s’appuyant sur des bases de données gouvernementales, des détections comportementales ou aléatoires.

« Les armes à feu imprimées en 3D nous prouvent une fois de plus qu’il ne sert à pas grand chose de se borner à la détection des objets dangereux. C’est bien davantage sur la détection des individus dangereux qu’il faut désormais se concentrer. » Explique Arnaud Palisson spécialiste de la sureté de l’aviation civile, ancien analyste du renseignement au Ministère de l’intérieur.

8. La fabrication d’armes à feu par impression 3D constitue un vide juridique dans de nombreux pays / Faux  ❌

En témoignent les cas abordés ci-dessous, les lois en vigueur se suffisent déjà à elles-mêmes dans la plupart des pays. En 2013, le UK Home Office (le Bureau de l’Interieur Britannique) a tenu à clarifier la loi en vigueur sur les armes à feu. Selon le Firearms Act 1968, si quelqu’un possède, achète, fabrique ou vend une arme à feu ou ses composants autrement que conformément aux dispositions des articles 1, 3 et 5 de la loi de 1968 sur les armes à feu, ils seraient passibles de poursuites ». La loi inclut désormais un texte très explicite à ce sujet. « Les armes imprimées en 3D sont des armes à canon potentiellement mortelles et doivent être considérées comme telles », dit-il. « La méthode de fabrication n’est pas importante à cet égard. »

En 2015, les autorités australiennes ont également clarifié la réglementation sur les armes à feu avec un amendement intitulé Firearms and Weapons Prohibition Legislation Amendment Bill 2015. Les possesseurs ainsi que les détenteurs de fichiers d’armes imprimées en 3D encourent la même peine que les détenteurs d’armes illégales, soit 14 ans de prison.

En France, pays où le port d’arme et la détention sont parmi les plus encadrés au monde, la réglementation relative au fabricant d’armes à feu à feu stipule que « la fabrication d’armes légères, de munitions et/ou de leurs composants est autorisée, seulement si le fabricant est titulaire d’une licence en cours de validité. » « Les entreprises de fabrication ou de commerce de matériels de guerre, d’armes, munitions ou de leurs éléments mentionnés au I de l’article L. 2332-1 du code de la défense ne peuvent fonctionner et l’activité de leurs intermédiaires ou agents de publicité ne peut s’exercer qu’après autorisation de l’Etat ou sous son contrôle. »

Malgré les lois déjà en vigueur, en juillet 2016 des députés républicains avaient déposé une proposition de loi pour mieux encadrer l’impression 3D. La raison invoquée était que l’impression 3D était susceptible de faciliter la commission d’actes de contrefaçon, ainsi que la reproductions d’objets dangereux tels que les armes à feu.

9. Ces armes 3D sont intraçables / Vrai et Faux ✅ ❌

L’impression 3D tente il est vrai à démocratiser la fabrication de certains objets, parmi lesquels les armes. L’amélioration des procédés et des matériaux disponibles, en particulier pour les imprimantes 3D grand public, pourraient dans une certaine mesure compliquer le contrôle des autorités. Pour autant si l’évolution et les progrès de cette technologie sont à surveiller de près dans les années à venir, comme nous avons pu le voir, l’impression 3D d’une arme à feu digne de ce nom reste à ce jour hors d’atteinte pour les particuliers.

Le recours à l’impression 3D par des criminels répond aux mêmes fantasmes. Si quelques rares cas ont été recensés, les malfaiteurs disposent pour l’heure de moyens autrement plus pratiques et économiques pour passer sous les radars. L’achat d’une vraie arme en métal sur le marché noir, voir même le vol, auront assurément leur préférence. L’empreinte numérique laissée par le téléchargement de fichiers 3D est un autre argument.

10. Facebook a interdit le partage d’instructions relatives à ces armes / Vrai

Il y a quelques jours, Facebook a annoncé l’interdiction de partager les fichiers 3D et autres instructions pour imprimer des armes à feu en 3D. Le géant du numérique aurait pris cette décision suite à l’ordonnance de restriction temporaire émise par le juge Robert Lasnik interdisant ces fichiers. En effet, malgré l’interdiction de publication au site Defense Distribued, d’autres sources extérieures avaient conservé les plans.

Rappelons que le règlement de Facebook stipule déjà que : « l’achat, la vente ou l’échange d’armes à feu, de munitions et d’explosifs entre des individus sont interdits sur Facebook. Seuls les magasins d’armes à feu et les détaillants en ligne sont autorisés à faire commerce d’armes. »

Le réseau social travaillerait activement à nettoyer toutes les pages contenant des informations pour fabriquer des armes par impression 3D. Un porte parole de Facebook a déclaré que le partage d’instructions portant sur la fabrication d’armes à feu avec des imprimantes 3D mais aussi des fraiseuses n’était pas autorisé par les règles de la communauté.

Alexandre Moussion