Longtemps handicapée par son inaptitude à produire des pièces de grandes dimensions exigées par certains secteurs, la fabrication additive autorise aujourd’hui de très généreux volumes d’impression pouvant même dépasser le mètre cube. La nécessité d’assembler plusieurs composants ou d’imprimer des moules pour obtenir de grands éléments, n’est plus une obligation.
Qu’il s’agisse de pièces industrielles ou de prototypes à échelle réelle, les industriels disposent à présent de solutions permettant de réaliser des impressions de grande taille, directement et en une seule fois. Un atout considérable pour des secteurs tels que celui de l’aérospatial, synonymes de composants XXL, où la liberté de design apportée par l’impression 3D permet de concevoir plus rapidement des pièces plus complexes avec plus de fonctionnalités, mais aussi beaucoup plus légères. Des caractéristiques fondamentales pour une industrie en quête permanente de performances et d’économie carburant.
Pour montrer l’importance de la fabrication additive dans cette industrie et ses capacités pour les composants métalliques de grandes dimensions, Primante3D a interrogé un spécialiste de la fabrication additive métal grand format, le français LISI AEROSPACE Additive Manufacturing.
« LAAM amène cette nouvelle technologie à un niveau de maîtrise qui permet de répondre aux exigences du marché aéronautique »
Christophe Sarrazin bonjour, pourriez-vous nous raconter votre parcours avant LISI AEROSPACE Additive Manufacturing et définir vos fonctions ?
À l’obtention de mon diplôme d’ingénieur mécanique UTC, je suis rentré chez LISI comme ingénieur d’études en juin 1996 pour travailler sur la forge des fixations en titane. Travaillant dans le groupe depuis maintenant une vingtaine d’années, je suis passé par plusieurs postes en méthodes, production et ventes. Depuis 2017, je suis Directeur du site spécialisé dans la fabrication additive métallique, LISI AEROSPACE Additive Manufacturing (LAAM).
Dites-nous en plus sur la genèse de LISI AEROSPACE Additive Manufacturing et ses activités.
LAAM est né en 2015 du rapprochement de LISI AEROSPACE, acteur mondial du marché de l’aéronautique et de POLY-SHAPE, pionnier de la fabrication additive. Depuis juillet 2018, LAAM appartient à 100% à LISI AEROSPACE, au sein de la division Structural Components, spécialisée dans les composants de structure métalliques. La montée en maturité de la fabrication additive a permis au groupe LISI AEROSPACE d’ajouter la fabrication additive métallique aux différentes solutions techniques déjà proposées par le groupe, comme la forge et l’usinage. L’activité était initialement tournée à 100% vers les pièces vol pour l’aéronautique, spatial et défense. Une diversification récente de l’activité nous permet de répondre aujourd’hui aux besoins d’autres marchés.
Qui sont les constructeurs avec lesquels vous travaillez ?
Nous fournissons déjà des pièces série de fabrication additive métallique vol aux principaux acteurs de l’aéronautique et du spatial : le groupe AIRBUS, le groupe THALES, DASSAULT AVIATION, SABCA… Nous sommes en cours de qualification de pièces vol pour d’autres acteurs européens des secteurs aéronautique et spatial (nanosatellites et lanceurs).
« Le dernier axe de montée en puissance est l’intégration verticale de la majorité des post-traitements »
L’aérospatial compte on le sait parmi les utilisateurs historiques de la fabrication additive. Comment au fil des années se sont passées l’adoption et la montée en puissance de cette technologie chez LISI AEROSPACE ? Vous souvenez-vous de votre première machine et de ses applications ?
Les débuts resteront en effet gravés dans nos mémoires, il a fallu construire notre usine pour coller au credo de notre groupe LISI AEROSPACE qui met l’excellence industrielle du Groupe LISI au service de ses clients. Il a donc fallu commencer par acquérir le savoir-faire ainsi que l’essentiel des équipements de laboratoire nécessaires à la maîtrise complète de la métallurgie, de l’analyse de la poudre aux tests destructifs sur éprouvettes, ceci afin de garantir la santé matière des produits fabriqués. Nous avons été aidés dans cette tâche par le fait que LISI AEROSPACE, en tant que spécialiste de la déformation de la matière, possède une forte expertise métallurgique, un ADN propre dont bénéficie LAAM.
De plus, grâce aux méthodes d’industrialisation et de fabrication développées au sein de LISI AEROSPACE, LAAM amène cette nouvelle technologie à un niveau de maîtrise qui permet de répondre aux exigences du marché aéronautique. Enfin, pour tirer le meilleur parti de cette nouvelle technologie, LISI AEROSPACE Additive Manufacturing travaille avec ses clients pour optimiser le design des pièces fabriquées (mettre la matière juste où elle est nécessaire, réduire le volume des supports) et intégrer si possible d’autres fonctions afin de réduire le nombre de composants, notamment avec la réalisation d’ateliers collaboratifs (workshops) sur notre site de production.
Le dernier axe de montée en puissance est l’intégration verticale de la majorité des post-traitements nécessaires après la fabrication additive. Nous pouvons ainsi livrer à nos clients des pièces finies et contrôlées, prêtes à être montées sur avion ou satellite. Deux applications « séries » sont représentatives de la montée en puissance de la technologie au sein de LISI AEROSPACE Additive Manufacturing : les supports de roue à inertie aluminium pour THALES ALENIA SPACE et les O-RING pour AIRBUS, montées sur l’A350.
L’aérospatial est un secteur synonyme de grands composants qui est amené à utiliser des équipements à gros volumes de construction. Quels sont les plus grands systèmes de fabrication additive métallique dont vous disposez actuellement ?
Notre parc machine est composé de machines de différents fabricants et de différentes tailles, de 250 mm au cube à plus de 150 dm3. Nous avons une spécialisation sur les pièces de grande dimension, sur technologie LBM (fusion sur lit de poudre) dont les dimensions sont supérieures à 400 mm.
Nous avons ainsi investi dans une EOS M400 de 400 x 400 x 400 mm et dernièrement dans une deuxième machine GE ADDITIVE X Line 2000R, avec une capacité de fabrication de 400 x 800 x 500 mm.
« Ces pièces permettent un gain économique d’environ 10%, un gain de masse de 30%, une amélioration des performances techniques obtenues »
Donnez-nous 3 exemples des plus grandes pièces métalliques AM qualifiées par LISI AEROSPACE et les bénéfices observés.
Chaque plateforme Spacebus Neo de THALES ALENIA SPACE intègre plusieurs pièces en fabrication additive aluminium fabriquées par LISI AEROSPACE Additive Manufacturing, et notamment quatre supports de roue à inertie en aluminium, qui sont les plus grandes pièces série en vol en fabrication additive LBM aluminium (466 x 367 x 403 mm). Ces pièces permettent un gain économique d’environ 10%, un gain de masse de 30%, une amélioration des performances techniques obtenues. Un gain planning de quelques mois est aussi à noter.
Autre cas d’application représentatif de notre activité : en 2018, le gain du marché « O-ring » a constitué une grande satisfaction pour la société ; La confiance que AIRBUS nous confiait pour la fabrication de cette pièce série de dégivrage de l’entrée d’air de l’A350 nous a permis d’investir dans de nouvelles machines série.
Enfin la dernière pièce de DASSAULT AVIATION qualifiée en Aluminium est la rampe de désembuage du Rafale. Celle-ci évite de nombreuses opérations de soudage et a quasiment éradiqué les coûteux rebuts au montage chez notre client.
« tout doit être repensé à la lumière de ces machines de grande dimension… »
Quelles sont les contraintes spécifiques à la fabrication additive métallique grand format et ses défis ?
La complexité de gestion de tous les paramètres intervenants dans la fabrication additive de grande dimension augmente de façon exponentielle par rapport au volume utile. Qu’il s’agisse de la gestion des différents lasers, de la gestion des différents flux de gaz ou de la gestion de la poudre, tout doit être repensé à la lumière de ces machines de grande dimension. Notre savoir-faire en simulation joue également un grand rôle dans notre succès sur ce domaine spécifique.
La partie « fabrication additive » n’est pas le seul poste complexe pour une fabrication de pièce de grande dimension en fabrication additive. En effet, chaque étape post-fabrication peut présenter un défi à relever. Comment contrôler des pièces de si grande dimension avec les exigences du secteur aéronautique et spatial ? Comment réusiner les interfaces sur de si grandes pièces avec leurs contraintes de vibration propres ? Le transport peut également être un défi pour certaines pièces de grande dimension très fragiles.
En ayant au préalable défini ce qu’est la qualification, pourriez-vous nous expliquer les différentes étapes qui mènent à la qualification d’une pièce additive ?
La fabrication additive étant un procédé spécial, tous les paramètres doivent être bloqués et validés par nos clients avant de lancer une fabrication, comme le jeu de paramètres utilisé ou les caractéristiques de la poudre. Une qualification consiste donc en la fabrication de nombreux plateaux d’essais composés d’éprouvettes de validation, afin de démontrer des caractéristiques de matériaux demandées de façon fiable et répétable
Dans quels cas la fabrication additive métallique touche à ses limites et n’est plus pertinente pour votre activité ? Donnez-nous un exemple de pièce.
Il faut différencier les différentes technologies de fabrication additive. LISI AEROSPACE Additive Manufacturing se consacre pour le moment à la fabrication LBM (Laser Beam Melting) qui est celle qui présente l’état de maturité le plus avancé. Mais cette technologie sera limitée par des freins propres à ce procédé (étalement de la poudre, gestion des flux) et il est difficile d’envisager des machines au-delà de 1 x 1 x 1 m. Pour des productions plus grandes, d’autres procédés de fabrication additive prennent le relais (WAAM, DED). De même, pour des grandes quantités de pièces de très petites dimensions, l’achat des machines supplémentaires en LBM se révélerait trop coûteux par rapport à d’autres technologies additives comme le Binder-jetting par exemple.
Qu’est-ce qui a motivé le choix des technologies à fusion laser sur lit de poudre plutôt par exemple que des techniques à dépôt de fil métallique par soudage comme le WAAM ?
La fusion laser sur lit poudre est aujourd’hui le procédé le plus mature et donc le plus répétable, fiable. C’est aussi celui qui autorise le plus de concept de fabrication différents, des structures treillis à des pièces de typologie fonderie, en passant par des assemblages complexes réunis en une seule pièce.
« Le frein majeur aujourd’hui est la qualification des machines par nos client »
Selon vous quels sont les principaux freins qui pèsent encore sur la fabrication additive métallique dans l’aérospatial ?
Le frein majeur aujourd’hui est la qualification des machines par nos clients. Des travaux sont en cours, à la fois dans les secteurs de l’aéronautique et du spatial, afin de converger sur des stratégies de qualification équivalentes entre les end-users, et permettre ainsi une facilitation de qualification de type « standard ». Il est déjà difficile d’obtenir une stratégie commune entre tous les acteurs français, imaginez le défi sur le marché européen !
Au regard de l’évolution de cette technologie, à quoi pourrait ressembler votre prochaine machine additive dans 5 ans ?
Il est toujours difficile de faire de la prospective sur un tel marché, même pour une si courte échéance. Mais il est à peu près sûr que les machines ne seront pas très différentes des machines actuelles dans leur structure ou leurs capacités de fabrication. Cependant, leur productivité sera démultipliée, et ceci devrait permettre d’adapter la qualité des pièces en fonction du besoin réel. Il devrait également y avoir une baisse de leurs coûts d’achats et de maintenance afin de contribuer au développement rapide de cette technologie d’avenir.