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Rencontre avec Alain Le Méhauté, l’un des pères de l’impression 3D !

inventeur imprimante 3D

« En France on a pas de pétrole mais on a des idées… » Si le slogan est toujours d’actualité 40 ans après, il cache une problématique récurrente à savoir la résistance presque culturelle de notre pays à l’innovation et ses difficultés à produire des entreprises innovantes malgré la qualité de sa recherche. Car même lorsque la France parvient à garder ses cerveaux, elle peine à transformer l’essai. Passer de l’invention à l’innovation. Signe fort de ce constat, l’impression 3D souvent présentée comme ayant été découverte par l’américain Chuck Hull, est en fait une invention que l’on doit à trois français : Alain le Méhauté, Olivier de Witte et Jean Claude André.

Leurs brevets bien que déposés 3 semaines plus tôt, furent abandonnés par CILAS et Alcatel-Alsthom au profit de l’américain. Quelques années plus tard Chuck Hull fondait 3D Systems, une société aujourd’hui leader de l’impression 3D au chiffre d’affaires de 500 millions de dollars… Souhaitant rendre hommage aux vrais inventeurs de cette technologie révolutionnaire et curieux de connaitre leur analyse du phénomène 30 ans plus tard, PRIMANTE3D a contacté l’un d’entre-eux, Alain Le Méhauté. Entre témoignages, coups de gueule et sentiments, ce dernier nous livre une analyse aussi exhaustive que passionnante.

« …durant 15 années je me suis heurté entre autres aux notables et à la commission des titres d’ingénieur, qui ont tout fait pour casser la dynamique d’innovation… »

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Alain Le Méhauté et deux élèves de Khâgnes BL participant au programme Franco Québécois Maths Sciences Humaines avec ENAP (Ecole National d’Administration Publique) 

Bonjour Alain, pouvez-vous vous présenter ? Parlez-nous un peu de votre parcours.

Ingénieur chimiste, Je suis diplômé de ESCIL (CPE Lyon aujourd’hui) Docteur d’État de l’Université de Nantes et enfin Docteur Honoris Causa de l’Université de Kazan (Russie) pour des travaux concernant la thermodynamique et la dynamique physico-chimique en Géométries Fractales. De 1974 à 1996 j’ai été scientifique et Ingénieur-chef de projets au Centre de Recherche de la Compagnie Générale d’Électricité (devenue Alcatel-Alsthom en 1991). En désaccord avec la politique suivie par Ambroise Roux ( Président du Conseil d’Administration ) à partir de la fin des années quatre vingt, puis celle de Serge Tchuruk, PDG (financiarisation et orientations FabLess de la compagnie) j’ai -non sans avoir également été Directeur de Recherche Associé au CNRS-, quitté cette société, pour prendre le poste de Directeur de Institut Supérieur des Matériaux du Mans, école d’ingénieur consulaire en cours d’initialisation, en 1996 (2.5M€ de Chiffre d’Affaire en 2010).

Je suis désormais retraité et Visiting Professeur à l’Université de Kazan. Admis en section 33 comme Professeur d’Université en France j’ai refusé d’exercer cette activité dans le cadre offert par le Ministère de l’Enseignement Supérieur, pour me consacrer en parallèle de mes activités managériales et de recherche à une activité de Professeur Associé à l’Université du Québec. Je suis considéré dans les médias comme un ingénieur ayant mené une double carrière (i) scientifique (environ 200 publications et ouvrages théoriques) (ii) de management de l’innovation (de l’ordre de 150 références brevets nationaux et internationaux et publications stratégiques).

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Jean Claude André recevant un trophée d’honneur lors des Assises Européennes du Prototypage Rapide et de la Fabrication Additive 2013 (crédits photo AFPR)

Il y a 30 ans, vous et votre équipe déposiez le 16 juillet 1984 le premier brevet sur l’impression 3D.  Quelle est la genèse de cette invention ?

Cette invention résulte d’une triple volonté :

Une volonté théorique d’ordre mathématique, à savoir concevoir une machine d’usinage permettant de construire ex-nihilo des objets fractals (autosimilaires) dans l’espoir de démontrer l’importance théorique et pratique des équations différentielles fractionnaires pour la compréhension de la thermodynamique et de la dynamique physico-chimique en milieux hétérogènes ou/et complexes.

Une volonté de promotion de sciences transdisciplinaires (chimie, photophysique, techniques laser, informatique, technologie), chacune des disciplines contribuant, par ses exigences, à doper les autres disciplines de nouvelles problématiques et leurs croisements d’opportunités nouvelles.

Une volonté commerciale enfin: créer un domaine d’activité apte à dépasser de très loin, les marchés civils ridiculement modestes à l’époque (granulomètrie laser) de la Compagnie des Lasers (CILAS) et doper la position des activités laser au sein du groupe. L’essentiel des activités de cette compagnie était alors militaire sans impact réel sur les autres filiales. Nous savions en effet que ces recherches seraient efflorescentes.

Pour ce faire, les compétences ont été réunies dès 1983 avec Olivier de Witte (CILAS) et moi même (CGE C.R. Marcoussis) rapidement rejoint par Jean Claude André (CNRS) car spécialiste reconnu de photochimie. Il fut un contributeur actif aux idées innovantes qui étaient les nôtres. D’abord pensée à partir d’un programme en ‘perruque’, sans soutien de nos hiérarchies respectives, le programme a pris son envol après le dépôt du premier brevet cité en particulier avec l’obtention -grâce à JC André- de bourses de Docteur-Ingénieur (Cabréra, Richard, etc…) jusqu’à ce que nous apprenions, d’abord par des rumeurs, que la CILAS et le Centre de Recherche de la CGE s’étaient accorder pour abandonner tous les brevets déposés sous l’alibi d’absence de perspective commerciale (!)… mais dans le but ultérieurement revendiqué, de faire des économies sur le porte feuille brevets du groupe. Le ‘coup de gueule’ de Jean Claude André tentant de faire intervenir le CNRS ne servit à rien du fait de collusions multiples, d’intérêts croisés, de connivences et de cooptations entre les ‘responsables’ des organismes privés et publics.

Le procédé d’impression 3D que vous aviez mis au point reposait sur la stéréolithographie. De quels types de laser s’agissait-il et quelles difficultés majeures aviez-vous rencontrées ? Vous ne disposiez pas d’ordinateurs à l’époque. Comment fonctionnait le système de mémoire ?

Il est vrai qu’à l’époque toute l’informatique de nos départements respectifs (dans mon département un PDP11) était centralisée et sous le contrôle d’ingénieurs techniciens aussi sourcilleux de leur pouvoir opérationnel que dotés d’une créativité limitée. Je crois me souvenir que le premier laser utilisé par nous (CR CGE) fut un laser à chlore mais je n’en suis pas totalement certain aujourd’hui. La principale difficulté était que le laser fuyait et que nous polluions l’environnement d’un laboratoire que nous occupions plus ou moins illégalement. Nous travaillions avec une table traçante 2D et opérions à la main sur la troisième dimension. De son coté J.C. André opérât bientôt, me semble-t-il dans le cadre de son laboratoire CNRS, avec des moyens informatiques plus avancées.

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Aviez-vous déjà conscience à l’époque du potentiel et de l’importance d’une telle découverte ?

La conscience de l’intérêt futur de cette technique était totale, clairvoyante et partagée par les scientifiques du groupe. Cette technique était en effet au croisement de l’Ingéniérie numérique (la CAO était en plein développement grâce aux travaux P. Beziers, M de la Boixière et P de Casteljau pour la France et en particulier de J. Warnok pour Apple. Elle devait naturellement déboucher sur la CFAO ; ceci était totalement évident… pour nous), de l’informatique – mathématiques, (comme le montraient mes problématiques opérationnelles concernant la création d’objets informés répondant à des géométries fractales) et des matériaux (sources toujours renouvelées d’innovations).

Le problème soulevé par cette clairvoyance, c’est qu’elle s’opposait à l’aveuglement techniques et à la connivence, qui subsiste en particulier en France, entre les ‘responsables’ du management financier et ceux du haut management technique, ‘élite’ constituant une ‘aristocratie platonicienne omnisciente’ -même pas arrogante, tant elle sûr de détenir La Vérité-. Cette aristocratie est jugée (le mot est inadapté il faudrait dire cooptés) à partir de choix financiers ‘courtermistes’ évidemment toujours imparables en particulier lorsqu’ils sont inscrits dans des perspectives carriéristes. Le principe de Peter joue pleinement sur des dynamiques construites au profit exclusif d’hommes d’appareils, par ailleurs convaincus, grâce aux processus de dissonance cognitive bien connu des psychologues, d’agir pour un bien commun évidemment fantasmé. En l’occurrence les responsables de la suppression des redevances brevets ont été promus et continuent d’exercer leurs ‘talents’ au sein de ‘Grands Groupes’… dont on connaît les relations avec les PME sous traitantes souvent très innovantes.

Chuck Hull

Chuck Hull (crédits photo : 3D Systems)

« Je suis fier du travail d’innovation que nous avons engagé »

Malheureusement CILAS et Alcatel-Alsthom n’ont pas payé les frais pour maintenir vos brevets et c’est l’américain Chuk Hull qui a récupéré la paternité de l’impression 3D. Au vue du boom actuel de l’impression 3D, quel est votre sentiment 30 ans plus tard ? Fierté ou amertume ?

D’un naturel positif, je ne suis en rien amer. Je suis fier du travail d’innovation que nous avons engagé et de l’action menée pour promouvoir les innovations technologiques au travers de la création de structures créant des richesses économiques. Par contre je suis triste pour notre pays car n’oublions pas, à titre d’exemples non limitatifs, que nos mêmes équipes furent aussi à l’origine parmi bien d’autres inventions, des batteries au Lithium (dont on connaît l’impact sociétal) et tout dernièrement des techniques révolutionnaires dites SPADD (Smart Passive Damping Devices)… toutes techniques en cours de développement à l’étranger avec les conséquences pour l’emploi qui en résultent en France.

« J’ai beaucoup d’admiration aussi pour la capacité des USA à ouvrir souvent les portes de l’avenir… »

D’où vient d’après vous cette difficulté à passer de l’invention à l’innovation en France ?

Il y a un vrai problème d’innovation dans notre pays, problème qui résulte principalement comme je l’ai indiqué (après d’autres experts comme J. Attali) de l’existence d’une aristocratie administrative et managérial construite par un enseignement Platonicien (d’où son impact ‘innovant’ en finances dont on voit aujourd’hui les effets). Le caractère unidimensionnel de la formation et les méthodes de sélection des ‘élites’, délitent la société et déresponsabilisent l’essentiel des acteurs économiques. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la proximité méthodologique avec le système soviétique (il existe une Vérité unique ; son porte-parole est incontestable ; la soumission à la doxa est demandée pour être socialement promu) est ici patent.

Bien qu’il soit parfaitement anormal que les instances Européennes ait reconnu et primé Chuck comme seul inventeur de cette technologie (2014), j’ai beaucoup d’estime pour Chuck Hull qui a eu le courage d’engager la création de 3D Systems dès 1986… J’ai beaucoup d’admiration aussi pour la capacité des USA à ouvrir souvent les portes de l’avenir, quitte a le faire dans le cadre d’approximations théoriques souvent utiles pour avancer. On peut parfaitement imaginer, encore aujourd’hui, l’éclat de rire des experts financiers français, si nous avions été voir les banques (nous y avions pensé), pour demander des fonds visant à créer une ‘Start Up’. Il suffit de lire à simple titre d’exemple, les écrits de Michel Pébereau et de les comparer avec ce qu’était la réalité technique à Alcatel-Alsthom, par exemple dans le domaine de la recherches de terrains sur les fibres optiques à l’époque, pour mesurer la schizophrénie d’un management financier qui se pique de technique et de choix stratégiques.

On doit en effet dans ce cas la position de la France dans ce domaine à une pression concurrentielle forte et à des ingénieurs opiniâtres dont le nom est totalement ignoré, et non à des choix managériaux. Bien que ceci n’enlève rien à l’intelligence ultra pointue du cerveau droit de la personnalité citée, il n’est pas étonnant que l’Allemagne dont bien des élites viennent de l’apprentissage et d’un cursus universitaire soit aujourd’hui dans une position infiniment plus favorable que la France au plan économique. Comme l’affirmait avec humour et pertinence un ami responsable de l’enseignement supérieur au Québec : « L’éducation supérieure française forme et promeut essentiellement comme élites des ‘bateleurs d’estrades’ ». Nous en voyons tous les jours les conséquences et la technologie 3D n’est qu’un exemple d’échec collectif parmi beaucoup d’autres.

N’est ce pas là révélateur du peu de considération que la France peut encore porter aujourd’hui à l’action des PME de l’ingénierie et à la R&D ?

Il faut savoir que j’ai tenté de développer une école d’ingénieur prônant de nouvelles valeurs (enseignements fondés sur des projets, transdisciplinarité, usage extensif de l’outil numérique, formation à la créativité et à l’innovation, recrutement ouvert y compris à des cursus littéraires, etc). Faute d’un environnement institutionnel assurant les connivences précédemment pointées et durant 15 années je me suis heurté entre autres aux notables y compris universitaires et à la commission des titres d’ingénieur (CTI), qui ont tout fait pour casser la dynamique d’innovation que mon équipe et moi même développions… bien entendu tout en prônant l’innovation dans des documents officiels convenus. On pourra lire avec intérêt à cet égard le rapport de la Commission Recherche de la Conférence des Grandes Écoles rédigé en 2009. J’ai pu constater que pour les hommes d’appareils le mot innovation est désormais souvent un simple faire-valoir associé à des détournements sémantiques dont la mécanique est parfaitement décrite, sur un exemple évidemment extrême, par Viktor Klemperer (LTI – Lingua Tertii Imperii: Notizbuch eines Philologen).

 « On peut par ailleurs imaginer la création de ce que J.C. André et moi même avons appelé la matière informée »

Quel est votre regard sur l’évolution de l’impression 3D  ?

L’impression 3D va se développer plus encore, en particulier en se spécialisant et en se distribuant. Elle va en particulier toucher les arts, le design et l’ingénierie de dispositifs progressivement complexifiés en volume. On peut par ailleurs imaginer la création de ce que J.C. André et moi même avons appelé la matière informée, matière interagissant de manière intelligente avec l’environnement sans l’appui d’un quelconque computer. Bien que très simple, le système SPADD d’anti vibration développé par ARTEC Aérospace (PME qui tant un tout autre environnement aurait aujourd’hui entre 200 et 500 employés) est d’ailleurs un produit dérivé de ces réflexions. Certains amis réparent déjà des bris de matériels grâce à des imprimantes 3D d’appartement. Il serait d’ores et déjà possible d’implémenter le Bricorama par un ‘bricodesign’ personnalisé et de créer une banque de données du bricolage et de la réparation.

On estime a plusieurs centaine de milliards d’euro le potentiel économique de cette technologie….  sachant que cent milliard d’euro représentent entre 1 et 4 millions d’emplois… et sachant en outre que la maîtrise de cette technique induit de multiples créations dérivées y compris conceptuelles, on ne peut que regretter la pauvreté intellectuelle des poncifs et l’absence d’ambition qu’affichent notre recherche publique et privée, à travers les programmes orientés. Il est bien triste souvent de lire le contenu des dites orientations dans lesquels le chercheur aura à s’inscrire et à obérer l’avenir, s’il veut être financé.

Imprimante 3D alimentaire Candy de 3DVenture (crédits photo : 3DVenture)

« Il faut apprendre à innover comme on apprend à marcher… en prenant le risque de tomber »

Impressions de nourriture, de vêtements ou de maquillage, machines hybrides… Une multitude de technologies et de projets apparaissent sous l’appellation d’imprimante 3D. Selon vous où commence et où s’arrête l’impression 3D ?

Peu importe ! Ce qui est important c’est qu’il y ait une vraie dynamique entrepreneuriale autour de cette mode. Le danger n’est pas qu’il y ait des acteurs sous le parapluie d’une mode quoiqu’on pense de celle-ci. L’important est qu’il y ait des acteurs qui avancent, agissent et tentent de créer de la richesse donc des emplois. Le danger serait plutôt l’autocensure et, à la marge, la récupération par des carriéristes qui, du fond de leur ministère ou de leur bureau de la Défense, et grâce aux fonds publics ou privés qui leur donnent du pouvoir, se gaussent de leur savoir livresque ou/et de leur position, pour dire l’avenir d’un champ de recherche et d’expérimentation dont personne ne connaît l’issue… sinon qu’elle n’est pas unique et ne peut être anticipée et programmée de quelques manières.

Ce qu’il faut c’est disperser les sources de financement possibles, faire intelligemment miroiter des profits (et estimer sans excès les pertes possibles). Ce qu’il faut c’est faire confiance à de petites équipes déterminées, prêtes à essuyer des succès comme des échecs. Les faire soutenir par des banques et assurer ces mêmes banques lorsqu’elles soutiennent des projets régulièrement évalués par des groupes innovants et non des apparatchiks… mais c’est aussi reconstruire une éducation dans laquelle l’échec (éventuel) n’est jamais définitif mais un atout de plus pour s’engager à nouveau sur de nouvelles frontières qu’elle qu’en soit le ‘niveau’. Il faut apprendre à innover comme on apprend à marcher… en prenant le risque de tomber. Il faut casser le monopole délétère de l’éducation nationale de la maternelle à l’université. La France a besoin d’élites pour le 21ème siècle pas pour le 19ème.

Il y a-t-il un projet ou une entreprise liée à l’impression 3D que vous souhaiteriez promouvoir ?

Tous les projets qui ont trait à l’art. La 3D doit pouvoir renouveler la sculpture et le design. Il faut désormais croiser les compétences artistiques et les compétences techniques comme le montre par exemple aujourd’hui l’impact de l’architecture dans le développement territorial.

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Alexandre Moussion