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Rencontre avec Norimat et sa technologie de frittage flash pour produire en un temps record

Yannick Beynet et Romain Epherre, les deux co-fondateurs de Norimat

Yannick Beynet et Romain Epherre, les deux co-fondateurs de Norimat

Si la fabrication additive aide à lever un certain nombre de barrières posées par les méthodes classiques comme l’usinage ou le moulage à injection, paradoxalement ce sont ces mêmes méthodes plus anciennes qui parfois lui permettent de solutionner ses propres problématiques. C’est ainsi que les constructeurs se sont mis à proposer des solutions hybrides, mêlant par exemple les atouts de la fabrication additive à ceux de l’usinage CNC, de manière à faciliter pour les entreprises et industriels, l’intégration de cette technologie au sein de leur processus de production. En France, c’est une deeptech toulousaine du nom de Norimat, qui a eu l’idée d’exploiter un procédé vieux de 60 ans, le frittage flash, pour produire des pièces complexes de haute performance en un temps record, tout réduisant drastiquement la perte de matière. Pour vous faire découvrir cette spin-off du laboratoire Cirimat, hébergée par le CEA Tech Occitanie, j’ai interrogé son CEO et co-fondateur Romain Epherre.

« L’un des principaux avantages de notre solution réside dans sa capacité à réduire drastiquement les délais de fabrication, tout en offrant une grande flexibilité en termes de géométrie et de propriétés des matériaux »

Romain Epherre

Romain Epherre

Bonjour Romain, voilà déjà maintenant 9 ans que tu as co-fondé Norimat. J’aimerais en savoir plus sur le parcours qui t’a conduit à te lancer dans cette aventure ?

Mon parcours a toujours été guidé par une double passion pour la science des matériaux et l’innovation. Ma formation technique et mes années de recherche m’ont permis d’acquérir une expertise solide dans le domaine de la densification des matériaux, et c’est lors de mes travaux sur le procédé FAST/SPS que j’ai véritablement pris conscience du potentiel révolutionnaire de cette technologie.

J’ai rapidement compris que cette avancée pouvait ouvrir de nouvelles perspectives dans de nombreux secteurs industriels. Avec mon co-fondateur, Yannick Beynet, nous avons partagé cette vision et décidé en 2016 de créer Norimat pour transformer cette technologie de laboratoire en une solution industrielle à grande échelle. »

Te souviens-tu de ta première rencontre avec l’impression 3D et ce que t’inspirait alors cette technologie ?

Je me souviens très bien de ma première découverte de l’impression 3D. C’était comme assister à un véritable tour de magie ! Voir une pièce complexe se former progressivement à partir d’une poudre, sans intervention manuelle, était fascinant. J’ai immédiatement ressenti un immense potentiel dans cette technologie, qui semblait ouvrir des portes vers des possibilités infinies en termes de design et de fabrication. C’était comme si les limites de la production étaient repoussées.

Mon enthousiasme initial a rapidement été tempéré par la prise de conscience de la complexité de cette technologie. Si l’impression 3D offre une grande liberté créative, elle pose également de nombreux défis techniques.

Maîtriser les différents paramètres de fabrication, assurer la qualité et la reproductibilité des pièces, et intégrer cette technologie dans les chaînes de production existantes sont autant de questions auxquelles il a fallu répondre. C’est cette complexité qui a rendu le projet encore plus stimulant.

« Au fil des années, ma vision de l’impression 3D a évolué. J’ai compris qu’il ne s’agissait pas simplement d’une technologie miracle »

Au fil des années, ma vision de l’impression 3D a évolué. J’ai compris qu’il ne s’agissait pas simplement d’une technologie miracle, mais d’un outil puissant qui doit être utilisé avec discernement. Aujourd’hui, nous avons une approche beaucoup plus pragmatique.

Nous savons que chaque procédé d’impression 3D a ses propres forces et ses propres limites. C’est pourquoi nous développons des solutions hybrides, qui combinent les avantages des technologies de mise en forme avec des solutions de densifications haute performance pour répondre aux besoins spécifiques de nos clients.

« on crée un chauffage en volume qui permet d’atteindre des températures extrêmement élevées en un temps record »

À ma connaissance le frittage FAST/SPS a été inventé au Japon dans les années 1960 par des chercheurs qui cherchaient à améliorer les procédés de frittage traditionnels. Pourrais-tu nous expliquer les particularités de cette ancienne technique de frittage et la manière dont vous la combinez à l’impression 3D ?

Vous avez tout à fait raison, le frittage FAST/SPS est né au Japon dans les années 1960. Cette technique révolutionnaire a permis de repousser les limites du frittage traditionnel en offrant une densification ultra-rapide et efficace.

En faisant circuler un courant électrique intense directement dans l’outillage, on crée un chauffage en volume qui permet d’atteindre des températures extrêmement élevées en un temps record. C’est cette montée en température rapide qui favorise la formation de microstructures fines et homogènes, conférant aux pièces des propriétés mécaniques exceptionnelles.

« En combinant le FAST/SPS avec la fabrication additive, nous avons réussi à lever cette limitation »

Cependant, comme vous l’avez souligné, les premières applications du FAST/SPS étaient limitées à des géométries simples (cylindre, palet) en raison de la configuration uniaxiale de la presse. Cette contrainte constituait un frein majeur à l’utilisation de cette technologie pour la production de pièces complexes.

C’est là que notre innovation entre en jeu. En combinant le FAST/SPS avec la fabrication additive, nous avons réussi à lever cette limitation. En effet, la fabrication additive nous permet de créer des pièces vertes aux géométries complexes, que nous pouvons ensuite densifier rapidement et efficacement grâce au FAST/SPS. Cette approche hybride offre une flexibilité inégalée en termes de matériaux adressés, de design et de fonctionnalité.

En imaginant que je veuille fabriquer une aube de turbine, quelles sont les différentes étapes et équipements nécessaires à la création de la pièce finale.

C’est un procédé qui est finalement assez simple à mettre en œuvre, il peut se résumer en 4 étapes (une vidéo est disponible directement sur notre site internet) :

– Design de la pièce verte pour prendre en compte le retrait spécifique de la densification sous charge uniaxiale
– Impression de la pièce verte par fabrication additive (type Binder Jetting)
– Densification de la pièce imprimée (sans étape de déliantage préalable)
– Séparation de la pièce avec le média sacrificiel

A cette étape, nous avons une pièce avec moins de 0,5% de porosité, un état de surface avec une rugosité faible (Ra compris entre 6 et 10µm) et une géométrie autour du 0,1mm. Selon les applications, quelques étapes de post-traitement sont nécessaires.

Par rapport aux process classiques, on considère en général qu’on divise par 2 le temps d’approvisionnement et par 10 la perte matière. Nous avons moins de 1% de perte matière.

« les pièces sortant du frittage FAST/SPS présentent des états de surface de haute qualité, avec une rugosité généralement inférieure à 10 µm »

Par rapport aux procédés de fabrication additive habituels exploitant la fusion laser sur lit de poudre métallique et le jet de liant (binder jetting), quels sont les atouts de votre solution et ses limites ?

Notre solution hybride, combinant fabrication additive et frittage FAST/SPS, présente plusieurs avantages par rapport au procédé SLM :

    • Polyvalence des matériaux : contrairement au SLM qui est principalement limité aux métaux, notre procédé permet de travailler avec une large gamme de matériaux, y compris les céramiques et les composites. Cette flexibilité ouvre de nouvelles perspectives pour la fabrication de pièces fonctionnelles avec des propriétés spécifiques.
    • Qualité de la microstructure : le frittage FAST/SPS permet d’atteindre des taux de porosité extrêmement faibles (<0,5%), garantissant une densité élevée et des propriétés mécaniques optimales. De plus, nous avons un contrôle précis sur la microstructure, ce qui est essentiel pour certaines applications exigeantes.
    • Réduction des contraintes résiduelles : le chauffage en volume rapide du FAST/SPS limite l’apparition de contraintes résiduelles, ce qui réduit le risque de fissuration et améliore la durée de vie des pièces.
    • Qualité de surface : les pièces sortant du frittage FAST/SPS présentent des états de surface de haute qualité, avec une rugosité généralement inférieure à 10 µm. Cela limite les opérations de post-traitement nécessaires.
    • Rapidité de production : le temps de densification est considérablement réduit par rapport au SLM, ce qui accélère le cycle de production.

Cependant, il est important de mentionner quelques limites potentielles de notre procédé :

  • Géométrie des pièces : bien que notre procédé offre une grande flexibilité en termes de géométrie, certaines formes complexes peuvent poser des défis en termes de retrait et de déformation pendant le frittage.
  • Maturité de la technologie : le procédé SLM bénéficie aujourd’hui de plus de recul et de plus de maturité concernant la phase industrielle. C’est un travail que nous sommes en train de mener avec nos équipes pour garantir la production de pièces de formes complexes par notre procédé hybride.

Concernant le binder jetting, la grosse problématique c’est la capacité à densifier les pièces à haut voir très haut niveau de densité. Souvent, il est nécessaire de faire 4 étapes de traitement thermique : déliantage, curring, frittage conventionnel et HIP. En couplant le binder jetting avc le FAST/SPS, on n’a besoin de faire simplement le curring et le frittage pour atteindre des densités >99%.

« pour la fabrication d’aubes de turbine, une machine de production peut produire entre 15 000 et 20 000 pièces par an »

À ce jour, quelles sont les capacités de votre technologie, que ce soit notamment en termes de volume/temps de fabrication et de production, mais aussi de compatibilité matériaux ?

Notre technologie hybride, combinant fabrication additive et frittage FAST/SPS, offre des capacités de production intéressantes, tout en étant adaptée à une gamme de matériaux et de géométries variées.

Bien que la taille maximale des pièces puisse varier en fonction des équipements, nous pouvons généralement traiter des pièces allant jusqu’à 200 x 200 x 100 mm. Cependant, les machines FAST/SPS les plus puissantes permettent de densifier des pièces quatre fois plus volumineuses.

Le volume de production est fortement dépendant de la nature des matériaux, de la complexité des géométries et des dimensions des pièces. Cependant, à titre d’exemple, pour la fabrication d’aubes de turbine, une machine de production peut produire entre 15 000 et 20 000 pièces par an.

« nous avons permis à un de nos clients de réduire par dix son délai d’approvisionnement pour une céramique ultra-réfractaire sur mesure »

Compte tenu des avantages et capacités de votre solution, quelles sont aujourd’hui les applications les plus pertinentes rendues possibles par votre technologie ? Quelles sont les perspectives d’avenir qui t’excitent le plus pour son développement futur ?

Notre technologie ouvre des horizons inédits dans la fabrication de pièces complexes à partir de matériaux avancés, tels que alliages réfractaires, les alliages hautes entropie, les céramiques ultra-réfractaires ou les matériaux composites à matrices métalliques ou céramiques. Ces matériaux, traditionnellement difficiles à usiner, sont essentiels dans des secteurs comme l’aéronautique, le spatial, la défense et l’énergie.

Notre procédé permet de produire des pièces sur mesure avec des propriétés mécaniques et thermiques optimisées, répondant ainsi aux exigences les plus strictes. L’un des principaux avantages de notre solution réside dans sa capacité à réduire drastiquement les délais de fabrication, tout en offrant une grande flexibilité en termes de géométrie et de propriétés des matériaux. Par exemple, nous avons permis à un de nos clients de réduire par dix son délai d’approvisionnement pour une céramique ultra-réfractaire sur mesure, tout en améliorant les performances du produit final.

Les perspectives d’avenir sont extrêmement prometteuses. Nous travaillons également sur l’optimisation de notre procédé pour permettre une production à grande échelle de pièces personnalisées, répondant ainsi aux exigences de l’industrie 4.0. Enfin, nous sommes convaincus que notre technologie contribuera à accélérer la transition énergétique en permettant la fabrication de composants plus performants pour les énergies renouvelables.

« Des phases de qualification sont en cours dans les secteurs de la défense et de l’aéronautique »

Norimat est entrée dans la phase d’industrialisation de sa technologie. Que peux-tu nous dire sur vos actualités et votre calendrier à court terme, ainsi que vos ambitions pour 2025 et au-delà ?

Les 22 collaborateurs qui composent de la start-up toulousaine

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Norimat est aujourd’hui en pleine phase d’industrialisation de sa technologie FAST/SPS, un tournant majeur qui marque une nouvelle étape dans notre développement. Nous sommes fiers d’avoir été sélectionnés dans le programme France 2030 1ère usine. C’est au total un projet d’investissement de plus de 10 millions d’euros sur quatre ans qui va nous permettre d’accélérer notre croissance et de consolider notre position de leader mondial sur la technologie FAST/SPS.

Nous nous appuyons sur des succès commerciaux importants sur les secteurs de l’horlogerie et de la joaillerie où nous avons déjà lancé la production de composants céramiques pour ces secteurs, démontrant ainsi la maturité de notre technologie et son potentiel à répondre à des exigences élevées en termes de qualité et de finition. Des phases de qualification sont en cours dans les secteurs de la défense et de l’aéronautique. Nous prévoyons une production à grande échelle dès 2026-2027, répondant ainsi aux besoins croissants de ces industries en termes de matériaux performants et de pièces complexes.

Nous sommes convaincus que notre technologie a un rôle clé à jouer dans la transition énergétique en permettant la fabrication de composants plus performants pour les énergies renouvelables.Dans cet objectif, nous travaillons activement à l’optimisation de notre procédé pour répondre aux besoins de l’industrie 4.0 d’une production série.

L’objectif est de permettre une production flexible et personnalisée de pièces complexes, tout en garantissant une qualité irréprochable. Nous explorons continuellement de nouveaux matériaux et de nouvelles applications pour notre technologie, notamment dans les domaines de l’énergie et des transports.

*crédits de toutes les photos : Norimat

Alexandre Moussion