La transposition des méthodes de fabrication additive pour le plastique vers le béton, fait l’objet de plus en plus d’initiatives dans le monde. La France peut s’enorgueillir de compter quelques belles pépites dans ce domaine, parmi lesquelles Constructions 3D. Implantée à Valencienne au cœur de la Serre Numérique, cette start-up se distingue de ses concurrents par son système mobile à grue hydraulique permettant de travailler in situ de grandes dimensions avec une petite structure, et dans tous les plans.
Pour démontrer la faisabilité de sa technologie, la société valenciennoise qui s’était cantonnée jusqu’alors à du mobilier urbain, des murs et des récifs artificiels, a débuté il y a quelques jours la construction de son siège social à Bruay-sur-l’Escaut. Le chantier a démarré avec l’impression d’un pavillon de 70 mètres carrés qui constituera l’accueil de l’entreprise. Le reste du bâtiment (dont le design sera inspiré des huttes ogon du Mali ) fera 4 000 m2, et sera imprimé d’ici 2022. Il abritera également le siège de Machines 3D et un entrepôt de 1 600 m2.
Alimenté par un système de pompage permettant de mélanger un ciment spécifique avec de l’eau, le robot polaire de Constructions 3D fonctionne en superposant autour d’elle des boudins de mortier. L’imprimante empile des couches de 16 mm à la vitesse de 20 cm par seconde. A sa portée maximale elle offrirait une précision de 1 cm. Une fois la tâche achevée, la machine se replie pour ressortir par des espaces laissés par des portes et fenêtres. Grâce à cette approche, Constructions 3D est en mesure d’imprimer directement sur site et de créer des structures plus grandes et plus hautes.
La zone imprimable au sol peut atteindre 250 m 2 pour 18 mètres de diamètre, et 10 mètres de haut. Les technologies concurrentes – celles du chinois Winsun par exemple, largement inspirée de l’américain Contour Crafting – reposent le plus souvent sur des systèmes à portiques moins adaptés à la construction in situ. Les éléments sont imprimés dans une usine puis assemblés sur site. Montée sur chenille, l’imprimante de Constructions 3D embarque plusieurs capteurs qui lui permettent de faire face aux obstacles et dénivelés inhérents aux chantiers de plein air.
« ce matériau est accéléré de manière à ce qu’il se raidisse environ 20 min après avoir été mélangé à l’eau »
Au total, 28 heures ont été nécessaires pour imprimer les quatre murs courbes de 7 tonnes chacun (5 m de large pour 2 m 50 de haut). Pour répondre aux différentes contraintes de rhéologie, à savoir un matériau qui soit suffisamment fluide pour être acheminé, et en même temps suffisamment rigide pour tenir sous son propre poids et des couches suivantes sans se déformer, Constructions 3D a formulé un béton spécifique. Fait de sable et de ciment, + un adjuvant permettant de modifier sa rhéologie au sortir de l’extrudeuse, son mortier sèche en 20 minutes. « le temps de prise de notre matériau est d’environ 1h30, en revanche ce matériau est accéléré de manière à ce qu’il se raidisse environ 20 min après avoir été mélangé à l’eau. » Nous explique Antoine Urquizar, Co-fondateur de Constructions 3D.
Si la réalisation d’un ciment spécial coûte ici deux fois plus cher qu’un classique (400 € la tonne), le fait que les murs ne soient pas pleins, réduit de moitié sa consommation. Pour l’isolation, les parois peuvent ensuite être remplies avec de l’anas de lin – un matériau local et écologique – sans perdre d’espace. « Actuellement la construction de Bruay-sur-l’Escaut est en train d’être équipée, nous avons posé l’électricité, tous les réseaux ainsi que l’isolant cette semaine, la charpente devrait suivre dans les semaines à venir, idem pour les menuiseries. » Ajoute Antoine Urquizar.
Rapide et pas chère, la fabrication additive présente de nombreux atouts pour lutter efficacement contre le mal logement. Outre la liberté de forme inédite donnée aux architectes et l’économie de matériau réalisée grâce à l’optimisation topologique, s’ajoute aussi la possibilité de s’affranchir de l’utilisation de coffrage qui peut représenter jusqu’à 50 % du coût d’un béton coffré. Sa capacité a réaliser des formes organiques, c’est aussi la possibilité de jouer sur des paramètres comme la présence ou la taille d’alvéoles ou l’épaisseur des parois, et ainsi améliorer l’isolation thermique ou acoustique d’un bâtiment.
« dans 10 ans, la valeur générée par l’impression de bâtiment sera supérieure dans la data collectée »
Rarement abordée, la data récoltée par les imprimantes tout au long de la construction, constitue un enjeu pour le bâtiment plus important encore que la valeur générée par l’impression de murs. La possibilité de tracer tout le travail de construction pourrait en effet répondre avec une vraie problématique observée sur les chantiers actuels en terme de contrôle et de suivi.
Interrogé sur le sujet dans le podcast Anti Brouillard, Antoine Motte, co-fondateur de Construction 3D, explique : « L’imprimante 3D dans la construction, c’est le témoin de l’acte de construire… dans la blockchain c’est celui qui témoigne à chaque instant de ce qui se passe et qui permet l’enregistrement de la date… Construction 3D doit fabriquer des machines qui sont les témoins de l’acte de construire en continue, et donc qui continue à collecter cette data qu’on avait l’habitude de faire via des fiches de contrôle chaque dans la construction traditionnelle, mais ici c’est à chaque seconde, voir mms… ce que un être humain ne peut pas faire.
Ma conviction c’est que dans 10 ans, la valeur générée par l’impression de bâtiment sera supérieure dans la data collectée que dans l’impression du mur lui même. La certitude qu’il a été imprimé à tel endroit, pour telle personne, avec tel propriétaire, telle condition d’exécution, telle assurabilité, tel matériau… c’est une data infinie qui est à notre disposition et que l’on avait pas avant… »
Si l’on tient compte du fait que la maison imprimée par Batiprint à Nantes, repose sur l’impression de mousse polyuréthane et que les autres constructions béton dans le monde ont été réalisées à partir de préfabriqués (Winsun) ou de systèmes à portique (Be More 3D), c’est la première fois qu’un bâtiment en béton est imprimé directement sur site avec un système mobile.
Pour Constructions 3D l’intérêt de ce premier démonstrateur est avant tout normatif, le but étant de monter un Atex (Appréciation technique d’expérimentation) auprès de la CSTB. Cette évaluation qui est utilisée en préalable d’un avis technique ou d’un projet unique, permet des premiers retours d’expérience sur la mise en œuvre des procédés. En attendant l’avis de la CSTB, pour se plier à réglementation en vigueur, Constructions 3D a du installer des poteaux en béton armé à chaque extrémité des murs.
La solution de construction 3D développée par la société se présente sous forme d’un pack tout en un. Vendu 495 000 € HT, il comprend un container de 20 pieds avec certificat maritime, 1 imprimante 3D béton (2,3 tonnes), 1 système de pompage, et 1 matériel de pilotage. Deux opérateurs sont nécessaires pour piloter la machine. Pour la R&D et l’éducation, la société propose une machine plus petite dénommée Mini Printer. Disponible pour 70 000 € HT elle permet d’imprimer des éléments de construction jusqu’à 660 x 520 x 700 mm. Deux lycées de la région, dont celui de Francois Hennebique à Liévenn, spécialisé dans les filières du bâtiment, ont fait l’acquisition d’une machine.