La fabrication additive de pièces complexes très grand format passe le plus souvent par l’utilisation de systèmes à bras robotique. En effet, comparés aux procédés classiques à châssis sur lesquels reposent la grande majorité des imprimantes 3D, les robots présentent l’avantage ne pas être limités par une enceinte de fabrication, et par conséquent d’être beaucoup plus libres de leurs mouvements. Pour tirer parti de cette capacité dont de très nombreuses d’entreprises pourraient bénéficier, puisque équipées de robots industriels (2 700 000 en activité dans le monde), une start-up franco-suédoise dénommée ADAXIS a trouvé le chaînon manquant. Sa solution ? Un logiciel baptisé AdaOne, capable de transformer n’importe quels robots 6 axes en imprimantes 3D pour imprimer des pièces à très haute valeur ajoutée. À l’occasion de la première levée de fonds de l’entreprise visant à lancer officiellement sa plate-forme logicielle, Primante3D a interrogé l’un de ses co-fondateurs Henri Bernard.
« optimiser la trajectoire du robot dans un logiciel est un défi de taille mais nous permet d’imprimer des pièces impossibles à imprimer autrement »
Bonjour Henri, quel a été votre parcours avant votre arrivée chez ADAXIS ?
Bonjour Alexandre et merci pour cet interview. Je suis issu d’une double-formation ingénieur, spécialisé en procédé de fabrication industrielle et mécatronique, de l’école ESTIA basée à Bidart et de l’Université de Cranfield en Angleterre. J’ai ensuite intégré en 2015 la plateforme de recherche et développement Compositadour et Addimadour située à Bayonne en tant que responsable de projet de recherche robotique. J’ai eu l’opportunité de contribuer au développement de procédés de contrôle non destructif – notamment pour Dassault Aviation – et au développement de fabrication additive métallique robotisée par arc et laser – notamment pour ArianeGroup et Safran.
Comment une entreprise franco-suédoise comme ADAXIS a t-elle pu voir le jour ? Racontez-nous la rencontre de ses protagonistes.
Les fondateurs se sont rencontrés pour la première fois en 2019, lors d’un événement européen sur la fabrication industrielle à San Sebastian, organisé par EIT Manufacturing. Nous étions tous ingénieurs de recherche en robotique, passionnés par la fabrication additive et désireux de la rendre plus utile pour l’industrie. Au cours de la discussion, nous avons partagé la conviction que le logiciel était le goulot d’étranglement et avons présenté une proposition de recherche pour résoudre ces problèmes. Cette proposition a été acceptée et est devenue ADAXIS.
« Les solutions logicielles actuelles requises pour la fabrication additive robotique sont fragmentées, coûteuses, difficiles à utiliser… »
À quelles problématiques souhaitez-vous répondre avec votre solution ?
Les solutions logicielles actuelles requises pour la fabrication additive robotique sont fragmentées, coûteuses, difficiles à utiliser, spécifiques à chaque fabricant et, dans certains cas, ne disposent pas des fonctionnalités avancées permettant de libérer le potentiel du robot. Nous abordons ces problèmes en fournissant un logiciel simple, ergonomique et riche en fonctionnalités. Notre logiciel est compatible avec les différents robots du marché.
« L’impression 3D robotisée n’a pas de limite de taille et de direction d’impression »
Pour bien comprendre le défi que représente le développement d’un tel logiciel, expliquez-nous les particularités de l’impression 3D robotique par apport aux systèmes FDM classiques cartésiens. Quels sont justement les avantages de l’impression 3D robotique par apport aux autres approches ?
Dans la plupart des systèmes FDM cartésiens traditionnels, l’imprimante ne peut se déplacer que dans trois directions perpendiculaires – avant/arrière, gauche/droite et haut/bas. Les bras robotiques, en raison de leurs degrés de liberté élevés, peuvent se déplacer ou tourner leur bras dans n’importe quelle direction, ce qui nous donne plus de flexibilité pour imprimer une géométrie complexe de manière rentable. L’exploitation de ces degrés de liberté supplémentaires pour optimiser la trajectoire du robot dans un logiciel est un défi de taille mais nous permet d’imprimer des pièces impossibles à imprimer autrement en déterminant les orientations de dépôt ce qui améliore les caractéristiques mécaniques. L’impression 3D robotisée n’a pas de limite de taille et de direction d’impression.
« Pendant que le robot imprime les pièces, il enregistre tous les détails comme la quantité de matière utilisée, la température, la vitesse… »
Dites-nous en plus sur le fonctionnement de votre solution logicielle et les différentes étapes du flux de travail qu’elle permet de couvrir et d’automatiser.
Notre logiciel vous aide à créer une représentation virtuelle de votre cellule robotique, à importer une pièce que vous souhaitez imprimer, à préparer la géométrie pour l’impression en essayant différentes stratégies d’impression – allant du simple découpage planaire de la pièce à des algorithmes géométriques avancés, vous pouvez visualiser vos stratégies d’impression immédiatement dans notre logiciel et choisir la meilleure adaptée à l’objectif. Vous pouvez générer le code en fonction du fabricant de votre robot et du modèle de contrôleur. Le robot peut ensuite être connecté à notre logiciel et vous pouvez envoyer le code généré à votre robot pour l’impression proprement dite.
Pendant que le robot imprime les pièces, il enregistre tous les détails comme la quantité de matière utilisée, la température, la vitesse et les images. Ces données sont ensuite utilisées pour développer une « intelligence d’impression » afin de suggérer des stratégies et des paramètres de processus en utilisant l’apprentissage automatique. Ce système a le potentiel de réduire les essais et d’automatiser le processus.
En somme : nous souhaitons couvrir toute la chaîne avec notre logiciel. Il se suffit à lui-même pour réaliser une impression 3D robotisée : de la génération du programme, en passant par la simulation robotisée jusqu’au jumeau numérique en temps réel. Notre volonté est d’apporter à l’utilisateur une expérience unique et uniforme sur toute la chaîne de valeur numérique.
« cela nous permet donc d’être compatible avec tous les robots industriels en prenant même en compte les axes externes comme les vireurs ou les axes linéaires »
L’autre question qui nous vient tout de suite à l’esprit sont les limites de sa compatibilité avec les robots industriels. Quelles sont-elles ?
Nous avons développé en interne les différents algorithmes nécessaires pour approcher génériquement les architectures robotisées, cela nous permet donc d’être compatible avec tous les robots industriels en prenant même en compte les axes externes comme les vireurs ou les axes linéaires. Théoriquement, il n’y a pas de limite de compatibilité.
Actuellement, notre logiciel est principalement exploité avec les marques de robots les plus couramment utilisées pour la fabrication additive dans l’industrie, notamment ABB, KUKA et STAUBLI. Nous prenons principalement en charge les technologies additives pour les polymères et les métaux. Nous sommes en train d’étendre le support à d’autres matériaux, comme le béton.
Le fait de « détourner » un système à bras robotique ou de lui attribuer une nouvelle fonction rencontre t-il également certaines limites sur le plan légal et/ou de responsabilité, notamment en cas de défaillance ?
Les bras robotisés sont couramment utilisés pour effectuer une variété d’opérations dans l’industrie. Les opérations avancées telles que la peinture et le collage de pièces nécessitent une reprogrammation des robots de manière similaire à ce que nous proposons pour la fabrication additive. La principale différence réside dans l’opération de fabrication et la complexité du programme du robot. Nous n’encourons aucune limite extra-légale/de responsabilité par rapport à un programme de commande de robot ordinaire. En outre, les systèmes robotiques modernes comportent de nombreux niveaux de sécurité, tant au niveau des logiciels que du matériel, afin d’éviter toute défaillance.
« l’outil de programmation a été utilisé pour l’impression robotisée d’un bateau à moteur de 4,2 m de long »
Quelles sont les premiers cas d’applications dont vous pourriez nous parler ?
ADAXIS a déjà pu prouver la valeur ajoutée de sa technologie. En novembre 2020, l’outil de programmation a été utilisé à RISE, en Suède, pour l’impression robotisée d’un bateau à moteur de 4,2 m de long. Le passage de la conception à la réalisation n’a pris que 15 minutes, dont 8 secondes pour la génération de la trajectoire. L’impression finale du bateau a été réalisée sur un robot ABB et a pris 72 heures. Les stratégies d’impression innovantes du logiciel ont permis de réduire de 95 % le besoin de support, qui est passé de 250 kg à 11 kg.
Le bateau a été testé en conditions réelles et présente les mêmes qualités qu’un bateau fabriqué de manière conventionnelle. D’autres prototypes de pièces automobiles et aéronautiques ont également été réalisés, une pièce de structure en titane, confidentielle, de volume supérieur à un mètre cube. Ces fabrications ne sont possibles qu’avec la technologie développée au sein de ADAXIS.
« Nous sommes convaincus que la fabrication additive ne fait que commencer à démontrer toutes ses capacités industrielles »
ADAXIS vient de lancer une première levée de pré-amorçage de plus d’un million d’euros. Quelles sont vos ambitions ?
Notre vision à long terme permet d’envisager une réduction par dix des coûts liés à la fabrication additive robotisée et le développement conjoint d’une famille de nouveaux procédés industriels robotisés. Nous sommes convaincus que la fabrication additive ne fait que commencer à démontrer toutes ses capacités industrielles et que notre logiciel permettra véritablement sa pleine exploitation.