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Rencontre avec Sénamé Koffi Agbodjinou : « 8 mois plus tard WoeLab inaugurait la première imprimante 3D africaine »

Sénamé Koffi Agbodjinou

(crédits photo : Sénamé Koffi Agbodjinou)

Architecte et anthropologue togolais de 37 ans, Sénamé Koffi Agbodjinou est l’une des stars de la tech africaine. Multi-diplômé, ce touche à tout prêcheur du mouvement low high-tech, fonde en 2012 « Woelab », le premier fablab d’Afrique de l’Ouest. De cet espace d’innovation tenant également d’incubateur technologique et de lieu de formation, naîtra une invention relayée dans le monde entier : la fameuse Wafate, première imprimante 3D africaine. Entièrement fabriquée à partir de déchets informatiques, cette machine primée par la NASA, symbolise l’esprit des projets menés par Woelab et de ce que peut permettre la démocratisation des technologies. Formidable VRP du savoir-faire technologique africain, Sénamé Koffi Agbodjinou a accepté de nous parler de son parcours, son rapport à l’impression 3D et de ses innombrables projets.

« il y avait une intuition que la machine je découvrais portait en germe les moyens d’une révolution »

Sénamé Koffi Agbodjinou

Sénamé bonjour, pourriez-vous vous présenter ? Parlez-nous un peu de votre cursus et de votre parcours.

Je m’appelle Sénamé Koffi Agbodjinou, J’ai 37 ans cette année et je vis entre Montreuil et Lomé. Je suis architecte de formation (ESA et Paris La Villette) mais j’ai aussi étudié le design industriel (Creapole) et l’anthropologie (EHESS). Tout cela à Paris où je suis arrivé après un bac Mathématiques et 2 ans en Maths Sup à l’Université de Lomé. Mais je n’ai jamais rien fait sérieusement et l’estampille d’aucune académie.

J’ai commencé à buissonner les études pour le terrain en Afrique avec des associations qui faisaient ce qu’on peut appeler de la “construction humanitaire”. Comme je me retrouvais pas dans leur approche j’ai créé L’Africaine d’architecture en 2010. Mon occupation est principalement de développer cette plateforme de recherche indépendante et ouverte. L’Africaine élabore des concepts originaux au carrefour du design et de l’anthropologie qui veulent baliser les possibilités d’une modernité africaine ancrée.

Cet activisme a basculé dans le digital quand j’ai découvert ce que Steven Levi a appelé l’« Ethique Hacker ». J’y ai vu une espèce d’écho à mes préoccupations vernaculaires et le potentiel de porter cela à l’échelle. J’ai alors construit une utopie urbaine où des lieux d’innovation et de fabrication numérique « Espaces de Démocratie Technologique » façonnaient la cité sous une impulsion #LowHighTech. Nous avons commencé à projeter cette vision « HubCité » sur la ville de Lomé avec l’objectif d’y installer et répliquer des lieux de ressources numériques (WoeLabs) qui mailleraient le territoire en autant de maisons de quartier 2.0 que les populations pourraient investir pour penser et commencer à fabriquer par elles mêmes la cité idéale de demain.

WoeLab « zero » est né en 2012 et nous venons d’ouvrir WoeLab « prime ». Avec plus de 12000 m2 c’est le plus gros tech hub de la sous-région.  Je dirige et finance ce réseau de Labs, sorte de maisons de quartier 2.0. qui accompagne aussi désormais de jeunes pousses… Dans un pays qui jusque-là était un peu sinistré, notre rôle à nous a été vraiment de nous positionner à la source: dans la création des conditions et dans l’effort préparatoire de sensibilisation, d’éducation et d’émulation à la constitution d’une scène technologique. Le lieu investit à peu près 4000e par mois dans la jeunesse togolaise.

« 8 mois plus tard WoeLab inaugurait la première imprimante 3D africaine »

Dans quelles circonstances avez-vous découvert l’impression 3D ?

Début 2012, j’enquêtais dans l’écosystème parisien pour le cours « Discours et Pratiques du Futur » de  Sophie Pene à l’EHESS. J’ai rencontré la Prusa Mendel dans un hackerspace où il était pour ainsi dire le centre de l’attention de ces personnages assez singuliers qui pratiquaient ce lieu. J’ai trouvé que cette fascination que l’imprimante 3D exerçait sur les ‘hackers’ ne devait pas être très éloigné de ce à quoi on avait du assister, au début des années 70, dans les clubs de hobbyistes quand l’Altair 8800, premier ordinateur de table, y a fait son apparition. Il avait fallu seulement alors, on s’en souvient, que deux duos de très  jeunes visionnaires Woz-Jobes et Allen-Gates, s’emparent de cette bizarrerie dont l’intérêt n’était pas évident pour tous et s’en trouvassent suffisamment inspirés pour qu’il y ait de déclenché quelque chose qui changera le monde : l’épopée du micro ordinateur ! Nous devons en effet, directement à l’aura de l’Altair, d’avoir aujourd’hui des ordinateurs dans nos poches…

En gros il y avait une intuition que la machine je découvrais portait en germe les moyens d’une révolution… ainsi que vont le confirmer, très peu de temps après, toutes les prophéties et les sorties comme celle d’Obama, la plaçant à la source d’une nouvelle ère Industrielle ou en faisant l’instrument de la réalisation de la société égalitaire à la Marx construite sur la démocratisation du moyen de production. Il y avait là quelque chose à faire pour l’Afrique. J’ai du percevoir, singulièrement pour le continent, que cette technologie en ce qu’elle synthétisait idéalement l’Éthique Hacker, pouvait devenir la mascotte d’un vaste programme pour tirer le meilleur de l’informalité généralisée, quasi-structurelle de nos urbanités.

J’avais donc une espèce de vague conscience, au sortir de cette visite à la Blackboxe, d’être privilégié de me trouver au coeur d’un moment historique et qu’il fallait que je joue ma partition. J’ai élaboré le concept #lLowHighTech, lancé le projet HubCité, acheté un kit Prusa Mendel et suis rentré dans mon pays pour monter un makerspace et sa communauté autour. 8 mois plus tard WoeLab inaugurait la première imprimante 3D africaine.

« Il s’agissait de hacker la Mendel pour faire un objet dans l’esprit #LowHighTech »

L’imprimante 3D Wafate (crédits photo : Woelab)

En 2013 WoeLab défrayait l’actualité avec sa fameuse Wafate, la première imprimante 3D « Made in Africa » fabriquée entièrement à partir du recyclage de déchets électroniques. Quelle est la genèse de cette machine ?

Nous venions d’installer le Lab, 9m2 dans une petite école primaire, une dizaine de pensionnaires, pas de connexion internet… Après avoir monté la machine que nous avions ramené, le projet de développer notre propre imprimante a été lancé. Il s’agissait de hacker la Mendel pour faire un objet dans l’esprit #LowHighTech, en utilisant des ressources à notre portée et en accord de profonds ressorts africains. Or le rebut informatique, en Afrique aujourd’hui, est pour ainsi dire une ressource locale avec des dépotoirs à l’échelle de quartiers entiers. Il a de plus des qualités insoupçonnées. C’est un matériau très formaté qui ne vous fait pas commencer de zéro mais requiert de vous principalement la qualité d’être suffisamment sagace pour penser des détournements.

Sur le plan du design nous avons voulu un écorché ; et une espèce de machine qui du premier coup d’œil, dise tout de son histoire. Il y a eu un petit crowdfunding dont l’objectif était plus de communication ; autrement nous autofinançons depuis les origines et aujourd’hui encore le développement et la fabrication de la Wafate ainsi que tous les programmes originaux qui y sont adossés.

« Nous développons une startup Woebots qui s’attèle à cela »

Votre imprimante 3D est fabriquée à partir de composants appartenant à de grands groupes informatiques (HP, Microsoft, IBM…). Au-delà du symbole et de la magnifique vitrine qu’elle représente pour votre fablab, est-elle commercialisable ? Aujourd’hui quelles sont vos ambitions avec cette machine ?

La qualité d’un bon business model est, il me semble, qu’on n’arrive pas à le distinguer du produit ou du service. Aussi, en culture startup, l’entreprise est-il exclusivement le modèle économique. Ce qui fait ainsi la meilleure startup, c’est qu’il y ait confusion entre le produit et sa monétisation; que la dernière ne soit comme surajoutée, en sorte de gadget greffé à la solution qu’on a trouvé à un problème identifié. Mais que ce soit la résolution du problème même ou l’éthique quelle constitue qui automatiquement soit source du revenu ; que la capacité de produire de la valeur paraisse corrélée, voire intrinsèque…;  du rythme interne même dont procède la solution. La startup n’est la dimension modèle économique d’un produit qui en reflète la substance un peu comme les yeux, l’âme.

Il n’y a pas de raison que la Wafate déroge. Le meilleur ME pour ce produit sera celui qui en traduira le mieux l’éthique (collaboratif, démocratisation technologique, ouverture, partage, etc,). La commercialisation directe n’est donc déjà peut être pas la meilleure piste ne serait –ce que de ce point de vue là.

Il faut regarder plutôt à des plans de monétisation originaux prescrits par les qualités intrinsèques et à la philosophie de notre machine ! Nous développons une startup Woebots qui s’attèle à cela.

« devenir le premier programme systématique d’enseignement des techniques d’impression 3D »

crédits photo : Woelab)

En 2013, le WoeLab a lancé un programme très ambitieux dénommé 3DprintAfrica, comportant également un volet éducatif. Comme ce projet est-il né et en quoi consiste t-il ?

il y a aujourd’hui une dizaine d’écoles impliquées, où nous intervenons 2 heures par semaine pour déployer une cours sur l’impression 3D centrée sur notre machine et à travers cela au DIY. Quelques centaines de gamins initiés en 3 ans. L’ambition de #3dprintAfrica EDUCATIVE est  de devenir le premier programme systématique d’enseignement des techniques d’impression 3D pour de jeunes publics à l’échelle du continent.

Mais comme nous bootstrappons cela aussi, la réalisation de cet objectif est en permanence différé. Nous avons commencé par les collèges dans le rayon d’1Km autour de WoeLab et nous espérons changer d’échelle progressivement.

Quelles difficultés rencontrez-vous dans le déploiement de toutes ces initiatives et de cette vision avant-gardiste ?

Les difficultés classiques inhérentes à l’entreprise en contexte africain. A quoi il faut ajouter des fois, quelque chose de l’exogène qui combat la sérénité nécessaire à construire une culture d’innovation et d’entrepreneuriat durable qui profite au continent.

Je veux parler ce qu’il faut permanent dealer avec la frivolité envahissante de médias résolument aveugles à sophistication et qui cherchent, dans tout ce qui est en train de se passer, exclusivement le petit génie africain isolé et simple fouillant les dépotoirs pour inventer des machines extraordinaires. Qui sont prêts à l’inventer s’il le faut.  Ce que j’appelle l’exotisme technologique et sa cohorte de nouveaux explorateurs… Tous ces aventuriers qui répondent à l’appel de « l’Afrique innovante » sillonnant le continent avec leur sac à dos ; veulent vous découvrir un Elon Musk dans tout dépotoir informatique et une Silicon Valley en puissance derrière chaque buisson. Or de tous ces Steve Jobes d’Agbogbloshie on n’a pas réussi à produire une seule valeur !

Car il faut observer que la fonction pratique de cette ruée en vrai est de compromettre la possibilité de l’émergence d’écosystèmes cohérents et intégrés… en lançant quelques actions capillaires ou folkloriques ou en faisant émerger ça et là, instituant un paternalisme nouveau, de nouveaux caciques élus dans une jeunesse en manque de repères et prêts à toutes les compromissions.

« L’architecture imprimée autorise d’explorer à nouveau les libertés de formes »

(crédits photos : L’Africaine d’architecture)

En tant que fondateur de L’Africaine d’architecture (organisme visant à faire la promotion d’une proposition architecturale originale et adaptée aux contextes africains), avez-vous envisagé d’y intégrer l’impression 3D en vous associant par exemple à l’italien WASP ? Un fabricant d’imprimantes 3D qui lui aussi promeut l’utilisation de matériaux locaux.

Nous avons croisé WASP dans quelques 3DprintShow mais n’avons jamais pu engager cette collaboration effectivement prometteuse. Ce qui est certain c’est que la perspective du bâtiment imprimé contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne nous jette pas forcément plus avant dans la course à un progrès sans repères.  L’architecture imprimée autorise d’explorer à nouveau les libertés de formes, toute la richesse de nos lignes courbes et à la massivité toute animiste de nos constructions anciennes de terre ; desquels l’architecture standardisée rationaliste nous a coupé.

Là aussi cela pourrait avoir au moins le mérite de nous sortir de l’impasse et l’angoisse du style international pour opérer quelque peu, par la technologie, un retour à des standards vernaculaires… et par là même à un fondamental de la société africaine qui est que la maison est un parent.

« des machines à monter soit même, la mutualisation des ressources, la désintermédiation… »

(crédits photo : Woelab)

Sur le marché de l’impression 3D, selon vous quels sont les atouts de votre pays et plus globalement de l’Afrique ?

L’Afrique n’a aucun argument à faire valoir dans la logique du Marché. Nous devons prendre la mesure des basculements qui s’opèrent en ce moment et nous positionner très subtilement sur de nouvelles possibilités qui matchent avec cette informalité généralisée caractéristique de nos structures : Des machines à monter soit même, la mutualisation des ressources, la désintermédiation etc. Nous devons contribuer à l’émergence d’une nouvelle économie ou au moins aider à civiliser ce qu’on appelle l’économie du partage. Là, nous avons du potentiel et des valeurs.

« Wafate a déclenché quelques petits frères… »

Imprimante 3D PAM de Pollen AM (crédits photo : Pollen AM)

Pour finir, il y a t-il une entreprise ou un projet local lié à l’impression 3D que vous aimeriez faire connaître ?

Pour rester un peu français, je dirais que suis un grand fan du travail de nos amis de Pollen AM… C’est l’occasion de faire un clin d’œil à Julien et Clement de Dood qui nous étaient venus en appui sur certains aspects de notre imprimante.

En Afrique même, la Wafate a déclenché quelques petits frères dont la très belle machine de KLAKS 3D, une startup lancée par des étudiants de l’Université Kwame Nkrumah et de KNUST (University of Science and Technology) au Ghana voisin. Nous avons eu le plaisir de les accueillir eux aussi pour un atelier de partage d’expérience.

Imprimante 3D KLAKS 3D

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Alexandre Moussion