Reconnue pour son efficacité à s’affranchir de l’outillage et à en contourner les nombreuses contraintes, l’impression 3D n’en reste pas moins une option très efficace pour produire des outils dans des délais de fabrication beaucoup plus courts, mais aussi moins chers et plus performants. Qu’il s’agisse de moules, gabarits, de matrices ou d’équipements de coupes, sa liberté de forme et sa flexibilité aident aujourd’hui de nombreux secteurs à optimiser leur flux de travail en dénouant ce qui constitue souvent un goulot d’étranglement. Dans un secteur aussi concurrentiel que celui de l’aérospatiale, qui plus est précurseur dans l’utilisation de la fabrication additive, rien d’étonnant donc à ce que cette technologie occupe une place de plus en plus importante dans ses pratiques d’outillage.
Parmi les acteurs de l’industrie spatiale qui incarne le mieux cette tendance, on retrouve le constructeur franco-italien de satellites Thales Alenia Space. Véritable expert dans la maîtrise de cette technologie, ce spécialiste des télécommunications et de l’observation de la Terre, n’a cessé d’investir et de progresser dans son utilisation, allant même jusqu’à imprimer des pièces d’utilisation finale en métal pour ses satellites. Pour mieux comprendre l’ampleur du phénomène et ses enjeux, Primante3D a interrogé Nicolas Casse, préparateur impression 3D outillage pour Thales Alenia Space.
« nous sommes passés d’un support carte et connecteur en aluminium à 600 € à un support en plastique à 80 € »
Bonjour Nicolas, pourriez-vous nous en dire plus sur le parcours qui vous amené jusqu’à Thales Alenia Space ?
Avec mon BTS CPI (conception produits industriels) en poche en 1994, je rentre dans la vie active en tant que rédacteur de documentation pour un célèbre avionneur à Toulouse. Je parviens à rentrer chez Alcatel en 2001 où je vais évoluer et arriver au bureau d’études d’antennes bords. Je vais y rester 14 ans en tant que technicien en conception. Depuis 2017, j’occupe un nouveau poste dans le domaine de l’impression 3D plastique, au sein d’une activité liée à la production des cartes et regroupements
Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec l’impression 3D ?
C’est justement dans ce bureau d’études que je vais voir arriver les premières pièces imprimées en titane pour nos réflecteurs, en 2014. J’ai participé à la préparation des modèles 3D avant l’optimisation topologique des pièces à imprimer. Cette expérience a éveillé ma curiosité et je me suis mis à chercher des vidéos d’imprimantes sur internet.
En quoi consiste exactement le rôle d’un « préparateur impression 3D outillage » ?
Au départ, les personnes qui avaient un besoin d’outillage pour leur production venaient me voir pour savoir si je pouvais leur apporter une solution rapide avec de l’impression plastique. Je concevais en CAO, j’imprimais, je testais et faisais évoluer l’impression le cas échéant. Ensuite je livrais la pièce à son demandeur. Je m’occupais aussi de la veille technologique relative à l’évolution des machines et des filaments, de la maintenance et je gérais les commandes de consommables et pièces détachées. La technologie a commencé à convaincre. La cadence a augmenté. J’ai débuté un partenariat avec un sous-traitant à Toulouse. La demande était telle que j’ai eu besoin de renfort. 3 personnes sont alors venues m’épauler dans mon activité.
Présentez-nous Thales Alenia Space et son histoire avec la fabrication additive.
Société commune entre Thales (67%) et Leonardo (33%), Thales Alenia Space est un constructeur de satellites, fournissant des technologies spatiales pour les télécommunications, la navigation, l’observation de la Terre et la gestion de l’environnement, l’exploration, les sciences ainsi que les infrastructures orbitales.
D’abord éprouvée dans les domaines médical, automobile ou aéronautique, les réalisations dérivées de l’impression 3D s’étendent aujourd’hui à de très nombreux secteurs d’activités. Cette nouvelle actrice de la transformation digitale de la société s’est invitée chez Thales Alenia Space il y a quelques années.
Tout avait commencé lorsque le premier support d’antenne en aluminium, réalisé à partir de l’impression 3D, avait pris place à bord du satellite TurkmenAlem/MonacoSat, opérationnel en orbite depuis 2015.Les satellites KOREASAT-5A et KOREASAT -7 (tous 2 lancés avec succès en 2017) embarquaient les plus grandes pièces jamais réalisées en Europe à partir de la fabrication additive. Depuis, le record de taille a été battu par le support de cornet Radio-Fréquence et d’antennes du satellite Hellas Sat 3 / Inmarsat S EAN lancé, pour sa part, en juin 2017.
« Aujourd’hui, tous les satellites de télécommunications sortant de nos salles blanches embarquent des pièces issues de la fabrication additive »
Entre 2017 et début 2019, 75 satellites de télécommunications en orbite basse, destinés à la constellation Iridum NEXT, ont été lancés avec succès au terme de 8 lancements. Tous embarquaient des pièces issues réalisée à partir de l’impression 3D… Aujourd’hui, tous les satellites de télécommunications sortant de nos salles blanches embarquent des pièces issues de la fabrication additive.
Une des plus belles réalisations récentes est le mécanisme d’orientation des tuyères des plateformes satellites SpaceBus Neo (ETHM) qui intègre pas moins de 7 ferrures en titane de fabrication additive d’une complexité rare. Thales Alenia Space est également entrée dans une phase de diversification des applications visées qui incluent des fonctions thermiques, fluidiques, RF, optiques, … pour plus de compacité et de performance dans nos produits. Nous avons également intégré la supply chain fabrication additive en interne avec l’usine du groupe : THALES 3D Maroc basée à Casablanca.
« …la réalisation d’outillage permettant la fabrication de cartes et de regroupements, le positionnement et le collage d’absorbants et le contrôle de positionnement »
Depuis quand utilisez-vous cette technologie pour l’outillage et pour quels types de pièces exactement ?
Donnez-nous quelques exemples. L’impression plastique a débuté en 2017 avec la technologie FDM (fused deposition modeling). Nous l’utilisons pour la réalisation d’outillage permettant la fabrication de cartes et de regroupements, le positionnement et le collage d’absorbants et le contrôle de positionnement. Elle nous sert aussi à conditionner les composants électroniques dans des plateaux adaptés à notre positionneur automatique car il arrive que certains conditionnements d’origine ne conviennent pas à nos besoins.
Nous avons aussi des cas d’amélioration des postes de travail des opérateurs en salles blanches. Nous imprimons depuis peu des maquettes démontables pour faire des démonstrations avec nos clients ou pour tester le montage. Nous réalisons aussi des pièces de protection qui n’existent tout simplement pas sur le marché. Nous imprimons certains ensembles en mode design simplifié ; il ne reste que les interfaces importantes. Les impressions sont réalisées bien avant que les ensembles ne soient lancés en production, afin de les envoyer plus haut dans la chaîne de fabrication du satellite. Ils serviront à pré-câbler en avance de phase. Quelques mois plus tard, le module définitif prendra sa place avec tous les câbles en attente.
Nous avons par exemple eu à faire un outillage permettant de préformer les fils d’argent de 1 mm de diamètre afin de gagner du temps au niveau du montage de deux cartes. Les opérateurs faisaient ça avec de simples pinces et cela leur prenait un temps fou. Grâce à cet outillage, un temps conséquent a été gagné tant au niveau du brasage qu’au niveau du contrôle car tous les fils étaient identiques. Le visuel final a eu un impact positif sur la qualité perçue par nos clients et la fiabilité de nos productions.
« Cela va changer dans un futur proche car nous avons acquis deux nouvelles technologies qui vont repousser ces limites »
Expliquez-nous le processus qui vous permet de sélectionner les pièces éligibles à la fabrication additive plastique ?
L’impression 3D plastique répond à de nombreuse problématiques telles que des formes complexes à usiner, des pièces en monobloc et des délais de réalisation très courts. Mais elle ne répond pas à tout, elle reste complémentaire des modes d’usinages traditionnels. Ce qui a longtemps aiguillé vers l’I3D, c’est l’environnement de l’outillage. C’est-à-dire sa température de fonctionnement, les éventuels produits chimiques en présence et les efforts mécaniques qu’il doit supporter.
Cela va changer dans un futur proche car nous avons acquis deux nouvelles technologies qui vont repousser ces limites : une imprimante PEEK et une imprimante MSLA 4K (polymérisation ce résine liquide). La principale contrainte que nous rencontrons est la contrainte ESD. C’est-à-dire que nos outillages ne doivent pas se charger électro statiquement, sinon c’est la mort assurée pour nos composants électroniques. Mais il existe des filaments anti ESD.
« L’usinage de l’aluminium en particulier a été remplacé par le plastique quand les contraintes mécaniques le permettaient »
En précisant quels procédés traditionnels ont été remplacés par l’impression 3D, dites-nous en plus sur les bénéfices que vous avez pu observer avec cette technologie ?
L’usinage de l’aluminium en particulier a été remplacé par le plastique quand les contraintes mécaniques le permettaient. Dans une moindre mesure, mais cela prend de l’ampleur, l’injection de pièces plastiques aussi tend à se faire remplacer par l’impression résine. Le PEEK était lui aussi usiné ; l’impression va prendre le relais dans certains cas. Les bénéfices sont sans conteste le temps de réalisation très court, la réactivité en cas d’évolution des pièces et la simplicité de design en diminuant leur nombre.
Le coût de la matière est aussi un facteur qui finit de convaincre. Par exemple, nous sommes passés d’un support carte et connecteur en aluminium à 600 € à un support en plastique à 80 €. Le délais d’obtention a été d’une semaine, c’est 4 de mieux que sa version aluminium. Le poids quant à lui est passé d’un kilo à 150 g.
Que pouvez-vous nous dire sur les machines et matériaux employés pour réaliser votre outillage ?
Nous utilisons principalement la technologie FDM de marque ZORTRAX car leur filament ZESD est parfaitement adapté pour répondre aux contraintes ESD. Nous utilisons aussi du PLA pour nos maquettes et des filaments flexibles anti ESD de la marque 3Dxtech. Pour la partie PEEK, nous avons fait l’achat d’une PRO 410 d’Intamsys, tandis que pour l’impression résine, nous avons fait confiance à Peopoly (Phenom XXL).
« Chacun de nos satellites embarque actuellement entre 100 et 200 pièces métalliques imprimées en 3D. «
Fort de votre expérience, quels sont les freins qui selon vous pèsent encore sur la fabrication additive pour exprimer son plein potentiel dans votre domaine ?
Pour l’instant, l’impression plastique est dévolue à réaliser des pièces qui sont peu intégrées dans nos satellites. La prochaine étape serait de renouveler l’exploit d’envoyer dans l’espace des pièces imprimées en plastique comme c’était le cas pour les support tubing de la constellation Iridium Next en polyamide. Il faudra qualifier en vol (températures extrêmes, radiations, …) les nouveaux matériaux techniques comme le PEEK, le PEKK ou l’Ultem. Cela ne veut pas dire que c’est impossible !
Concernant les pièces de production, quelle proportion la fabrication additive métallique représente-telle déjà dans vos satellites et vos ambitions pour les années à venir ?
Chacun de nos satellites embarque actuellement entre 100 et 200 pièces métalliques imprimées en 3D. Si la proportion de pièces en nombre et en valeur à l’échelle d’un satellite est assez faible, elle est en constante augmentation. Il est intéressant d’observer que ces technologies d’impression 3D se développent de façon exponentielle dans tous les domaines, mécanique, thermique, RF, électronique, outillages… La volonté de Thales Alenia Space est d’accompagner ces développements R&D, contribuer à leur industrialisation pour applications spatiales et d’embarquer rapidement sur nos satellites ces technologies à haute valeur ajoutée.