Selon un rapport publié par la cabinet d’études Wohlers, en 2019 les poudres polymères représentaient plus de 28,1 % du marché de la fabrication additive, soit le deuxième matériau d’impression 3D le plus utilisé juste derrière les photopolymères avec 31,9 %. Un plébiscite qui s’expliquerait par la montée en puissance des procédés sur lit de poudre, notamment le fameux frittage laser connu pour son niveau élevé de productivité et de répétabilité. Parce que les performances des systèmes à fusion laser sur lit de poudre sont étroitement liées aux propriétés mécaniques, chimiques et esthétiques des poudres, ces dernières constituent on le sait l’une des clefs à l’essor industriel de cette technologie.
Si les normes strictes de qualité industrielles (coulabilité, absorption optique…) et les logiques propriétaires qui pèsent sur ces poudres rendent plus difficiles leur développement, de plus en plus de nouvelles formulations à même de répondre aux besoins spécifiques des différents secteurs voient le jour. C’est précisément la mission que s’est donnée Fabulous, une entreprise française spécialisée dans le développement de matériaux de poudres pour le secteur de l’impression 3D. Pour vous faire découvrir les poudres nylon SLS et les spécificités de cette catégorie de matériau, Primante3D a interrogé son co-fondateur Arnault Coulet.
« il est nécessaire d’apporter de l’innovation dans le domaine des matériaux, en allant au-delà du simple PA12 qui existe sur le marché depuis + de 30 ans »
Arnault bonjour, avant que nous n’en venions au cœur du sujet, pourriez-vous nous raconter votre parcours avant Fabulous.
Je suis un entrepreneur dans le domaine du numérique, avec une première expérience de société dans le marketing digital au moment de l’avènement des réseaux sociaux en France en 2010. Depuis la création de Fabulous, je me considère toujours comme un expert du numérique, entouré par une équipe d’ingénieurs matériaux et procédés de top niveau : avec l’impression 3D, les industriels sont + que jamais confrontés à une digitalisation de la chaîne de valeur qui révolutionne leur activité, avec ses points positifs mais aussi ses pièges.
À quelles problématiques souhaitiez-vous répondre en créant cette entreprise ?
Fabulous est l’alliance du conseil aux entreprises sur ces transformations numériques et du savoir-faire technique sur les procédés & matériaux. Notre énergie aujourd’hui est concentrée sur les matériaux car nous pensons que c’est la clé pour que les industriels réussissent justement leur révolution « industrie du futur » : passer du prototypage rapide (ce qu’était l’impression 3D auparavant) à l’industrialisation de produits finis. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire d’apporter de l’innovation dans le domaine des matériaux, en allant au-delà du simple PA12 qui existe sur le marché depuis + de 30 ans.
« la clé pour les poudres SLS, c’est la maitrise de plusieurs paramètres de granulométrie et viscosité »
Quels sont les principaux procédés utilisés pour fabriquer les poudres SLS et leur fonctionnement ?
De façon classique dans le domaine des poudres, les 2 grands procédés de fabrication sont la synthèse (précipitation ou pulvérisation) et le broyage ou cryobroyage. Les procédés de synthèse directe conduisent à des poudres de polyamide 12 par polymérisation, issues de la pétrochimie (de lauryl lactame ou d’acides amino-dodécanoiques). Une des manières de faire la synthèse peut-être le procédé de dissolution précipitation avec la dissolution d’un polymère dans un solvant puis la re-précipitation sous forme de poudres.
Les poudres de polyamide 11, quant à elles, sont fabriquées à partir de matières premières d’origine végétales renouvelables, par un procédé de broyage d’un pré-polymère puis par la poly-condensation en phase solide dans un sécheur et un rebroyage sélectif. Une succession de broyages à basse T° est aussi une façon de procéder. Quel que soit le procédé utilisé, la clé pour les poudres SLS, c’est la maitrise de plusieurs paramètres de granulométrie et viscosité pour obtenir des poudres exploitables sur différents types de machines.
Que pouvez-vous nous dire sur les contraintes de fabrication de ces poudres et les propriétés mesurées pour les caractériser ?
Les contraintes principales concernant la fabrication, la mise en process : il faut que la poudre dépose une couche à une T° proche de la T° de fusion, tout en évitant les excès d’un côté ou de l’autre : éviter la formation d’un « sucre » si fusion globale du lit de poudre ; ou encore éviter le croûtage quand le rouleau passe et enlève toute la poudre. Tout réside donc dans la maitrise du couple procédé-matériau, et c’est pourquoi Fabulous intègre un support haut de gamme pour ses clients afin de les accompagner dans leurs applicatifs. Cela nécessite un haut niveau de savoir-faire et c’est aussi la raison pour laquelle il y a peu d’acteurs développeur-fournisseur poudres sur le marché, contrairement aux autres formes (filaments ou résines).
« Les industriels attendent aujourd’hui des matériaux avec des fonctionnalités, des certifications, des propriétés encore supérieures »
Quelles sont les poudres polymère les plus couramment employées en fabrication additive, dans quels secteurs et pour quels types d’applications ?
Les poudres les plus courantes sont les polyamides, PA12 ou PA11. Les différences principales :
Le PA12 est issu de ressources pétrolières à l’inverse du PA11 qui est bio-sourcé, resssource végétale renouvelable. Différence sur les propriétés mécaniques : le PA11 a des propriétés mécaniques plus importantes que le PA12 en terme de ductilité et résistance aux chocs donc plus intéressant pour les applications séries ou pré-séries en additive manufacturing alors que PA12 est + « general purpose » donc pour le prototypage de pièces.
Les industriels attendent aujourd’hui des matériaux avec des fonctionnalités, des certifications, des propriétés encore supérieures, c’est pour cette raison que chez Fabulous, en complément des matériaux usuels, nous développons des matériaux niche-market premium qui correspondent à des besoins spécifiques : c’est le cas par exemple de BLUECARE, notre matériau lancé en janvier 2021, certifié contact alimentaire, bleu dans la masse, sur une base PA11 donc bio-sourcée, et qui correspond à des besoins de sécurité propres aux lignes de production alimentaires (cf ci-dessous).
Le taux de recyclabilité (ou refresh) compte parmi les critères mis en avant par les fabricants et fournisseurs de poudres additives. Expliquez-nous cette notion et en quoi elle est si importante.
Le taux de refresh est effectivement un élément clé de la maitrise de la fabrication avec les technologies de poudre. Le principe est simple : le taux correspond au pourcentage de nouvelle poudre que vous avez besoin d’ajouter à la poudre déjà usée lors d’une précédente fabrication. Autrement dit + le taux de refresh est bas et + vous pouvez réutiliser une poudre déjà usée. Dans le contexte global de préservation de la planète, l’enjeu est donc d’importance et c’est pourquoi nous mettons un point d’orgue à développer des nouvelles poudres avec les meilleurs taux de refresh possibles. D’un point de vue économique, c’est évidemment intéressant de pouvoir utiliser une même poudre pendant plusieurs cycles, là aussi c’est un argument majeur par rapport à d’autres procédés.
Au-delà la chimie des poudres, quels rôles joue l’environnement de la chambre de construction dans le taux de recyclabilité ?
Une chambre de fabrication, si elle est régulée en température, est un frein à la thermo-oxydation des polymères. Cela permet donc un processus stabilisé et par conséquent la possibilité de réutiliser la poudre qui n’a pas été utilisée pendant la fabrication. Une poudre thermo-oxydée n’est pas réutilisable ! Sans stabilité de T°, par exemple avec de l’azote dans la chambre, son taux de refresh serait donc de 100%. Le bon usage des poudres est avant tout un bon usage de la machine.
« pour les grades obtenus par synthèse chimique, la couleur est clairement une contrainte »
L’éventail de couleurs disponibles avec les poudres SLS est extrêmement réduit (principalement gris, noir ou blanc). Expliquez-nous la difficulté à imprimer des poudres de couleur avec un laser.
Concernant la chimie, pour les grades obtenus par synthèse chimique, la couleur est clairement une contrainte. C’est pour cette raison que le fameux PA12 est toujours de la même couleur depuis des décennies. D’un point de vue procédé, et en particulier sur la question des lasers, la question de l’interaction matière est effectivement primordiale : les grades polymères ont une excellente interaction matière pour des longueurs d’ondes de 10,5 à 10,6 microns correspondant aux lasers CO2 dont la plupart des machines sont équipées. Pour les systèmes avec laser diode à longueurs d’ondes plus basse, il faut ajouter un adsorbeur par exemple une charge noir de carbone, d’où une limitation en terme de couleurs. C’est le cas des systèmes dits desktop SLS.
Quelles sont les possibilités de finition pour les poudres polymère SLS ?
Avec le mouvement d’industrialisation qui prend forme, il existe de plus en plus de solutions performantes pour la finition (ou post-process), avec des acteurs de plus en plus nombreux. Le sablage est nécessaire dans tous les cas pour enlever les grains voisins et dépoudrer les pièces. La tribo-finition et le polissage sont des moyens traditionnels afin d’obtenir des pièces lisses, et qui ont pour avantage de rester non contaminants.
Pour les nouvelles finitions qui arrivent sur le marché, notamment en phase solvants et vapeurs, nous travaillons très étroitement avec ces partenaires pour tester les meilleurs finitions selon les géométries des pièces mais aussi pour tester les effets sur la contamination ou pas de la matière par ces phases. Par exemple de nombreuses solutions permettent aujourd’hui d’obtenir des finitions premium tout en gardant les fonctionnalités et certifications d’une matière. Nous testons ces post-process pour être force de recommandations auprès de nos clients.
« BLUE CARE, de par ses certifications, répond aux exigences de la réglementation internationale pour les pièces en contact avec les aliments »
Dernièrement Fabulous a justement lancé une nouvelle poudre SLS de couleur bleue. Quelles sont ses spécificités ?
BLUECARE, de par sa couleur bleue dans la masse et sa certification alimentaire, répond aux besoins du marché de la fabrication additive alimentaire qui est aujourd’hui en pleine croissance, tourné vers la production en série, avec de nombreux applicatifs industriels :
Sécurisation des procédés de fabrication des aliments : les plastiques bleu imprimés dans la masse sont largement utilisés en prévention dans l’industrie alimentaire, du fait de leur visibilité et leur identification en temps réel sur les lignes de production (identification de corps étrangers ou fragments de plastiques dans les aliments par détection visuelle ou optique du bleu).
Pièces finales certifiées contact alimentaire : les pièces composées de matériaux plastiques et en contact direct avec les aliments doivent répondre à des exigences strictes pour ce qui concerne les matériaux utilisés, surtout lorsqu’il s’agit de vérifier que le contact n’est pas nocif du point de vue physiologique. BLUECARE, de par ses certifications, répond aux exigences de la réglementation internationale pour les pièces en contact avec les aliments.
Par ailleurs, avec BLUECARE, la propreté des composants est plus facile à déterminer, car les spores, la moisissure, les résidus d’aliments ou de détergents sont plus clairement visibles qu’ils ne le sont avec d’autres matériaux de couleur. En complément des bénéfices liés à la sécurité alimentaire, le matériau BLUECARE présente des avantages en terme de durabilité, notamment car c’est un matériau bio-sourcé avec un excellent taux de refresh.
« le coût matériau se situe entre 10 et 25% du coût pièce selon le taux de refresh. »
Que pouvez-vous nous dire sur le prix moyen des poudres SLS et sur ce qu’il représente dans le coût d’une impression ?
Nous estimons que le coût matériau se situe entre 10 et 25% du coût pièce selon le taux de refresh. C’est donc une partie mineure du coût global de fabrication, celui-ci étant majoritairement constitué du coût système mais aussi des coûts opérateurs et post-process qu’il ne faut pas négliger lors d’une acquisition.
Quel est l’état du marché des poudres polymères additives ?
Le marché des poudres polymères fabrication additive est évalué à 500 millions de dollars au niveau mondial avec une croissance annuelle de l’ordre de 23%, ce qui en fait un marché en pleine expansion. Par ailleurs, comme nous l’avons vu, c’est un marché tourné vers la production au niveau des utilisateurs industriels finaux en recherche d’innovation matériaux. Côté fabricant de machines sur lits de poudre, le marché est aussi en pleine ébullition depuis que les brevets SLS sont tombés dans le domaine public. Cela laisse de la place à de nouveaux challengers techniquement avancés ou avec des politiques commerciales d’ouverture réelle des machines à de nouveaux matériaux (par exemple le chinois Farsoon, dont le slogan « truly open materials » n’est pas qu’un argument marketing).
Par ailleurs de nouveaux segments de marché voient le jour, par exemple celui des Desktop SLS à destination des bureaux d’études, avec par exemple le lancement récent de la Fuse1 de l’américain Formlabs, qui va changer la donne. Chez Fabulous, notre volonté est bien entendu de développer les partenariats avec les fabricants sur nos matériaux, afin de rendre le marché plus compétitif, plus accessible, plus diversifié.
« La logique propriétaire est un non sens pour une technologie dont la promesse est la relocalisation et le passage en industrialisation »
Selon vous quels sont les freins qui pèsent encore sur les poudres SLS et les avancées auxquelles on peut s’attendre ?
Le frein réel à lever se trouve chez les fabricants de machines pour qu’ils intègrent des stratégies collaboratives encore plus ouvertes sur les matériaux. La logique propriétaire est un non sens pour une technologie dont la promesse est la relocalisation et le passage en industrialisation. Nous sommes optimistes sur ce point. Concernant les avancées et innovations poudres : il existe aujourd’hui des avancées avec des composites chargés en fibres courtes de carbone ou kevlar, mais nous ne nous positionnons pas là dessus car le risque de sécurité pour les opérateurs nous paraît mal évalué, et l’aspect réglementaire assez peu clair.
De notre côté nous continuons d’avancer sur des nouveaux matériaux qui correspondent à des besoins marchés spécifiques très premium. Par exemple avec un matériau composite chargé en billes de verre qui bénéficie d’une accréditation sanitaire pour immersion en eau potable, ce qui permet de cibler des applicatifs pour tout ce qui est pompes, capteurs de données, et autres pièces en contact permanent avec l’eau.
Nous prévoyons par ailleurs le lancement de plusieurs matériaux dans les 12 mois à venir, notamment un composite polymère métal dont nous avons déjà bien cerné les applications dans des secteurs très haut de gamme. Dans le domaine médical, nous avons aussi différentes réflexions en cours avec des partenaires spécialisés. Nous continuons par ailleurs notre développement commercial et annoncerons bientôt des partenariats nouveaux, qui nous permettront d’étendre encore les territoires couverts et les systèmes compatibles avec nos poudres.
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