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Rencontre avec eMotion Tech : la start-up toulousaine qui démocratise l’impression 3D industrielle

équipe eMotion Tech

L’équipe qui compose eMotion Tech (crédits photo : eMotion Tech)

Longtemps limitées à la fabrication de pièces aux dimensions très réduites, les imprimantes 3D personnelles offrent aujourd’hui des volumes plus généreux. Cela est particulièrement vrai avec les procédés par extrusion où les impressions peuvent aujourd’hui aisément dépasser les 50 cm. En effet, pour répondre aux besoins de l’industrie, les fabricants d’imprimantes 3D se sont mis a développer des machines grand format adaptées à la production de prototypes et de pièces industrielles de grande taille. En France, c’est probablement l’entreprise Toulousaine Emotion Tech qui incarne le mieux cette évolution. Spécialisée à ses débuts dans les imprimantes 3D grand public en kit, la jeune pousse tricolore a su se diversifier en s’orientant vers une nouvelle solution, professionnelle et grand format. Pour comprendre ce changement de stratégie et ses ambitions, Primante 3D a interrogé son co-fondateur Franck Liguori.

« la majorité de nos clients impriment aujourd’hui des outils de production (contrôles, cales, guides…) en grand volume où en petite série »

Bonjour Franck, pourrais-tu te présenter et nous en dire un peu plus sur ton parcours ? Comment s’est faite ta première rencontre avec l’impression 3D ?

Franck Liguori

Franck Liguori

Bonjour Alexandre, je suis Franck LIGUORI, co-fondateur de eMotion Tech, fabricant français d’imprimantes 3D. Mon parcours scolaire est quelque peu décorrélé de mon activité d’aujourd’hui puisque j’ai fait un double master école de commerce / sciences Po. J’ai toujours été geek technophile et c’est clairement ce qui m’a guidé jusqu’aux imprimantes 3D. Avec Guilhem mon associé nous avons très rapidement après notre rencontre, souhaité monter une entreprise ensemble dès notre sortie d’études.

Ma première rencontre avec l’impression 3D date de 2011, je me souviens encore avoir visionné avec Guilhem PERES une vidéo de présentation d’une imprimante 3D, on est tout de suite tombés amoureux. On s’est tout de suite demandé pourquoi tout le monde ne connaissait pas cette technologie. Quelques semaines après, on plongeait dans le mouvement Reprap, et montait nos premières imprimantes 3D.

Micro Delta

Comment vient-on un jour à se lancer dans la fabrication et la commercialisation d’imprimantes 3D ?

Après avoir fabriqué nos premières imprimantes 3D, on a constaté plusieurs choses :

– Le matériel spécifique était introuvable en France
– L’imprimante 3D la moins chère de France coûtait alors 10 000€
– Les kits Reprap étaient difficiles à trouver et parfois trop techniques

Comme je l’ai dit plus tôt, on a toujours voulu créer une entreprise, et c’est sans mal qu’on s’est lancé tête baissée et enfermé pendant 9 mois pour peaufiner notre premier kit. Notre idée était alors de proposer un kit complet avec une notice propre et assez accessible.

Romain Loubat, Franck Liguori, Guilhem Peres, Hugo Flye et Nicolas Boillot

Romain Loubat, Franck Liguori, Guilhem Peres, Hugo Flye et Nicolas Boillot

Qu’est-ce qui a motivé le choix d’une structure delta pour vos premières machines ?

La delta a été notre quatrième modèle, et effectivement le premier avec une conception eMotion Tech à presque 100%. L’architecture delta a quelque chose d’envoûtant, la cinématique est agréable à regarder et elle captive facilement. Au-delà de cela, ce sont des structures plus faciles à monter et moins coûteuses. La µdelta avait un côté très maker, garage, que j’aimais beaucoup, mais la Rework vieilli beaucoup mieux, c’est une machine très solide.

« Nous évoluons dans un secteur d’activité qui bouge très vite et tout particulièrement en ce qui concerne les particuliers »

Né pendant le boum de l’impression 3D domestique, eMotion Tech compte parmi les rares fabricants d’imprimantes 3D à avoir survécu à cette période. Que retiens-tu de cette époque ?

Le monde de la 3D est très petit et c’est toujours triste de voir partir un confrère, nous nous connaissons tous de près ou de loin. Nous évoluons dans un secteur d’activité qui bouge très vite et tout particulièrement en ce qui concerne les particuliers. Nous avons effectivement eu la chance de rencontrer un vrai succès sur ce marché, on en retient les semaines interminables, les flux de mails et appels ininterrompus.

La bonne humeur qui compensait allègrement la surcharge de travail de cette belle époque. Cette effervescence qui avait tendance à se tasser, repart de plus belle aujourd’hui avec, Strateo3D c’est comme un renouveau pour eMotion Tech. Qui plus est, on peut mettre l‘accent sur notre savoir-faire et la qualité de notre travail.

« Depuis trois ans, notre bureau d’étude est 100% orienté sur Strateo3D… »

Strateo 3D

La Strateo 3D est capable de répondre aux multiples besoins de prototypage et de fabrication au sein d’une seule et même plate-forme grand format

Comment s’est passée votre transition vers le segment professionnel ?

Amorcée timidement il y a quatre ans, nous avons depuis un bon moment cette volonté de nous diversifier en proposant une solution professionnelle. Depuis trois ans, notre bureau d’étude est 100% orienté sur Strateo3D, c’est un projet d’envergure pour une société telle que la nôtre. La sortie de cette belle machine en Avril 2019 n’a pas arrêté son développement, les retours clients nous ayant permis de l’améliorer continuellement depuis sa sortie.

Nous travaillons encore sur la brique logicielle, c’est la compétence qu’il nous manquait avant Strateo3D pour maîtriser l’ensemble des composantes d’une imprimante 3D, mécanique, électronique, extrusion et logiciel. L’importance de l’intégration de la partie logicielle pour eMotion Tech est d’ailleurs marquée par un changement de CTO, Quentin LEBŒUF qui a rejoint la société début 2019 est depuis peu notre nouveau CTO / associé.

pièces de fonderie imprimée en 3D

Impression d’une pièce de fonderie sur la Strateo 3D

Présente-nous la Strateo3D et ses principales caractéristiques.

La Strateo3D est une imprimante 3D grand volume (600*420*500mm) avec une chambre thermo régulée, chauffée jusqu’à 60°C. Elle permet l’impression de polymères techniques, et répond parfaitement aux besoins des industriels. Plus concrètement, la majorité de nos clients impriment aujourd’hui des outils de production (contrôles, cales, guides…) en grand volume où en petite série.

Les profils fournis permettent d’imprimer avec une grande variété d’épaisseurs de couches (buses proposées de 0,4 à 1,2mm), permettant de basculer rapidement, grâce à son outil intelligent, entre rapidité et précision. Elle est dotée d’un bel écran tactile de contrôle avec une IHM de qualité. Un ordinateur inclus dans la machine accueillera prochainement notre logiciel Stratocontrol, pour une utilisation pensée et optimisée pour les entreprises.

Niveau sécurité, au-delà des traditionnelles fins de filaments et récupération en cas de coupure de courant, elle est également équipée d’un système de monitoring qui vérifie le bon fonctionnement de l’ensemble et signale tout dysfonctionnement. Elle est taillée et conçue pour l’industrie et équipe d’ores et déjà de nombreux grands groupes.

« la grande majorité des pièces de Strateo3D sont fabriquées en France »

impression sur la Strateo 3D

Que peux-tu nous dire sur la part de pièces fabriquées en France et les contraintes associées ?

La grande majorité des pièces de Strateo3D sont fabriquées en France, lorsqu’on en parle cela surprend souvent mais c’était une vraie volonté à l’origine de ce projet. On ne souhaitait pas se cantonner à la conception et l’assemblage. En effet, les coûts nets sont clairement supérieurs lorsque l’on achète tout en France, mais ce que l’on cherche avec Strateo3D, c’est la qualité et la réactivité de nos sous-traitants.

On évite beaucoup de coûts de non-qualité que l’on peut avoir, même si cela reste plus cher au global, et on est à même de produire un produit fini de meilleure qualité. On peut parler de 80% de pièces fabriquées en France, pour le reste, il y a un peu d’européen et d’asiatique.

Double extrusion ABS/HIP

Double extrusion ABS/HIPS

Quels sont les matériaux disponibles avec cette machine ?

C’est une machine que l’on qualifie d’ouverte car les paramétrages sont en libre accès.
On fournit cependant des profils peaufinés pour les matériaux « de base » : PLA, ABS, PETG, ASA, HIPS, BVOH et TPU. Nos clients peuvent ensuite, à leur convenance, imprimer tous les polymères compatibles avec les spécifications machine. Cela nécessite, bien entendu, un minimum de maîtrise des paramètres.

Qui sont aujourd’hui vos clients ? Donne-nous quelques exemples concrets d’applications.

On trouve dans nos clients des industries de tous types, à commencer par l’aéronautique ce qui n’est pas surprenant vu notre localisation, on peut citer Airbus, bien évidemment, avec deux machines, bientôt trois. On trouve aussi nos machines chez de petits fabricants, et dans d’autres types d’industries : luxe, alimentaire, électronique…

On travaille actuellement sur des use case, mais ce sont principalement des outils de production : https://www.emotion-tech.com/impression-3d-doutils-de-controle

« On a ainsi imprimé quelques milliers de visières qui sont parties dans les hôpitaux »

impressions de supports de masques visière

Le volume de la Strateo 3D permet plusieurs impressions à la fois, comme ici 16 supports de masques visière en PETG

Parle-nous de la mobilisation d’eMotion Tech pendant la pandémie du Covid-19.

Assez spontanément on s’est mis à imprimer des masques en Copper3D (un filament antibactérien) dès le début de la crise Covid. On s’est très vite rendu compte que le masque 100% imprimé ne permettait pas une grosse production. On a alors travaillé sur une solution hybride textile / impression 3D avec Makers&Co, le Roselab et d’autres acteurs. Ce projet de fond n’aura malheureusement pas eu d’issue favorable.

En parallèle, on a créé et publié un modèle de châssis de visière imprimable en 12mn. On pouvait en imprimer une centaine par jour par Strateo3D. On a ainsi imprimé quelques milliers de visières qui sont parties dans les hôpitaux, mais aussi pour les caissières, chauffeurs routiers… On a également donné aux acteurs impliqués quelques 150kg de PLA, PETG et ABS. Bref à notre niveau on a fait ce qu’on a pu pour aider.

« les commandes de Strateo3D ont repris et on peut désormais envisager la suite sereinement »

masque visière imprimé en 3D

Quel impact cette crise a-t-elle eu sur vos activités ? Comment vois-tu la suite ?

On est rentré dans cette crise avec un carnet de commande de Strateo3D plein et donc plutôt sereinement. Néanmoins, les entreprises ayant fermées les unes après les autres, la grande majorité avaient été mises en suspens. La crise a généré un regain d’activité pour notre branche de produits pour particuliers, notamment lorsque Amazon a restreint sa gamme de produits proposés.

Malheureusement cela n’aura duré que peu de temps. Cependant, on a plutôt bien traversé la crise et vis-à-vis de nombreuses entreprises on s’estime « chanceux ». Avec la réouverture progressive des industries, les commandes de Strateo3D ont repris et on peut désormais envisager la suite sereinement.

Alexandre Moussion