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Rencontre avec le vice-président de l’AFPR, l’Association Française de Prototypage Rapide

Rencontre avec Alain Bernard vice-président de l'AFPR

(crédits photo : AFPR)

Fondée en 1992, l’AFPR (Association Française de Prototypage Rapide) qui doit son nom du fait qu’à cette époque le prototypage était la seule application opérationnelle avec l’impression 3D, est la structure de référence qui fédère en France les utilisateurs et développeurs de cette technologie. Un nombre significatif de ces acteurs ayant déjà été interrogés sur ce site, la logique voulait donc que je me tourne cette fois-ci vers elle pour recueillir son expertise et son analyse du phénomène. En dépit d’un emploi du temps chargé inhérent à ses différentes fonctions, Alain Bernard a accepté de répondre à quelques questions. Acteur clef de la recherche sur l’impression 3D en France et auteurs de nombreuses publications sur le sujet, son témoignage me paraissait en effet un apport incontournable à la compréhension du phénomène et de ses perspectives.

« il est temps que les dynamiques se coordonnent afin de disposer de réels moyens permettant de passer cette fameuse vallée de la mort »

Alain Bernard bonjour, pourriez-vous vous présenter ? Comment devient-on le Vice Président de l’AFPR ?

Alain Bernard

Je suis un pur enseignant-chercheur, mais mon parcours universitaire m’a orienté depuis son origine vers un lien très intime avec la mise en œuvre des résultats de mes travaux de recherche. Je suis de formation Génie Mécanique et je me suis intéressé très tôt à la FAO et en particulier la conception et l’usinage en commande numérique des matrices de forge par une approche features.

Dans plusieurs domaines j’ai eu l’occasion d’être parmi les premiers en France et à l’international à s’y intéresser. Et cela a été le cas pour ce qu’on appelle aujourd’hui la fabrication additive. En effet, dès 1990, j’ai pu contribuer à mettre en place des démarches et méthodologies intégrées pour l’utilisation de la fabrication additive et de la rétro-conception. En 1992, lors des premières Assises Européennes du Prototypage Rapide (nom utilisé alors, compte-tenu de la finalité des pièces fabriquées à cette époque par les technologies de fabrication additive), il m’a été proposé de devenir Vice-Président de l’AFPR, à la demande de la personne sollicitée pour en prendre la présidence (et qui est toujours président aujourd’hui), Georges TAILLANDIER.

Comment et dans quelles circonstances est née cette association ?

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L’AFPR a été créée par Yannick LOISANCE et Dominique HUMBLOT qui s’intéressaient aux technologies de fabrication par stéréolithographie mais aussi pour l’intégration numérique, du fait que l’avantage primordial de ces technologies est de pouvoir obtenir des pièces en 3D directement à partir d’un fichier numérique, sans l’utilisation d’outillage ou de montage. Yannick LOISANCE était déjà à la tête de la société Multistation (et il la pilote toujours aujourd’hui) et il commercialisait aussi des machines de coulée sous vide par exemple (mais aussi des machines d’usinage rapide multi-axes, et bien d’autres moyens de fabrication), procédé permettant d’obtenir des pièces dans des matériaux et avec des caractéristiques plus conformes au produit final, ceci à partir d’un modèle fabriqué par fabrication additive.

Donc, pour revenir à la question, les membres de l’association ont souhaité que ce soit des acteurs indépendants de toute forme commerciale qui deviennent les dirigeants de l’association. L’AFPR a grandi assez rapidement pour culminer à plusieurs centaines de membres francophones (de France, bien sûr, mais aussi du Québec, de Belgique et de Suisse).

Quels sont les objectifs et les actions de l’AFPR ?

Tel que cela est écrit dans les statuts de l’association les objectifs principaux sont les suivants :
• Rassembler les partenaires de la Fabrication Additive
• Répondre à des besoins multisectoriels
• Favoriser la formation et le transfert de technologie
• Rassembler, capitaliser puis diffuser l’information la plus objective et la plus complète
• Soutenir les projets innovants
• Construire un lien d’échange didactique et technique
• Se positionner dans un cadre européen et mondial

Au-delà de cela, et de manière bénévole, les membres de l’association participent et ont participé de manière active à « l’évangélisation », à savoir l’information, la formation, l’accompagnement, la mise en relation, la proposition et le montage et la réalisation de projets, etc…, ceci dans un cadre national ou international. L’AFPR a diffusé pendant des années un bulletin de veille (Vigie Prototypage Rapide) et continue à organiser tous les ans un évènement international (les Assises Européennes de la Fabrication Additive), fin juin à Centrale Paris à Châtenay-Malabry (cette année, du 23 au 25 juin).

L’AFPR participe également à de nombreux évènements dans les Régions, est associée à de nombreuses manifestations (conférences, salons). L’AFPR a été l’un des acteurs à l’origine de la création du groupe de normalisation en France (UNM 920) qui comprend aujourd’hui une quarantaine de membres, ainsi que la dynamique de normalisation internationale à l’ISO, en lien avec l’ASTM américain, et récemment au niveau du CEN européen.

Signature de l'accord d'alliance entre l'AFPR et l'AMSI lors de l'AM 2013

Signature de l’accord d’alliance entre l’AFPR et l’AMSI lors de l’AM 2013. (crédits photo : AFPR)

Qui sont vos membres et comment y adhérer ?

Les membres de l’AFPR sont très divers. Des utilisateurs de machines (sociétés de service, mais aussi laboratoires et instituts de recherche, écoles), des constructeurs et des vendeurs de machines, de matériaux, des vendeurs de logiciels, des utilisateurs finaux, des universitaires, des indépendants, etc… Pour adhérer c’est très simple : http://www.afpr.asso.fr et on replis le bulletin d’adhésion en ligne. Les tarifs sont assez incitatifs

L’AFPR organise depuis 1992 « Les Assises Européennes de la Fabrication Additive » à l’Ecole Centrale Paris. Comment se déroulent ces assises et qui sont ses participants ?

Les Assises Européennes de la Fabrication Additive sont l’Evènement international annuel en France dans le domaine. Cet évènement rassemble des acteurs de domaine, tant français qu’internationaux. Toutes les interventions sont délivrées en plénière et en traduction simultanée Français-Anglais. Un espace de démonstration permet aux participants, mais aussi à des visiteurs, de rencontre de nombreux prestataires, vendeurs, organismes et laboratoires de recherche, etc… avec un espace spécifique pour les artistes de l’association Ars Mathematica. Les participants ont des profils très différents mais pour la très grande majorité, ils sont déjà informés sur les technologies, sur les potentialités qu’elles proposent, et ils viennent surtout pour rencontrer de nombreux acteurs afin de renforcer leur réseau et de discuter d’opportunité d’actions futures.

« …on gagne sur le plan scientifique mais on perd sur le plan économique »

A la droite d'Alain Bernard, Jean Claude André recevant un trophée d'honneur lors des Assises Européennes du Prototypage Rapide et de la Fabrication Additive 2013

À la droite d’Alain Bernard, Jean Claude André recevant un trophée d’honneur lors des Assises Européennes du Prototypage Rapide et de la Fabrication Additive 2013. (crédits photo : AFPR)

L’année dernière, la 19ème édition des assises a été l’occasion de fêter les 30 ans du premier brevet de fabrication additive. On sait aujourd’hui que le véritable inventeur de cette technologie n’est pas l’américain Charles W. Hull mais les français Alain le Méhauté, Olivier de Witte et Jean Claude André. (plus  d’info ici). Dixit ce dernier à ce sujet « La France est une machine à perdre. En France nous sommes des conservateurs dans l’âme et ce que l’on a raté hier, on le ratera encore aujourd’hui » Comment analysez-vous cette problématique ? N’est ce pas là en effet le reflet d’une France qui malgré la qualité de sa recherche peine à transformer l’essai ?

C’est un vrai problème, Jean-Claude a raison. En fait on gagne sur le plan scientifique et technique grâce à de très nombreux talents et des chercheurs inventifs, mais on perd sur le plan économique. Récemment, la France a encore perdu un de ses fleurons technologiques dans le domaine, Phénix, racheté par 3D Systems. C’est un vrai souci de conserver à long terme et d’aider à faire se développer des sociétés leaders dans leur domaine.

On a aussi sans doute un problème de fonctionnement global sur des sujets de ce type. En effet, contrairement à d’autres pays qui mettent en place une task force nationale, avec un budget attribué par l’Etat et des objectifs affichés, nous en France, et le plus souvent en Europe, on met en compétition les acteurs, perdant ainsi une énergie importante et surtout toutes les idées qui ne sont finalement pas financées dans des appels d’offre à très faible taux d’acceptation.

Donc, il est temps que les dynamiques se coordonnent afin de disposer de réels moyens permettant de passer cette fameuse vallée de la mort en resserrant les lien entre les acteurs qui se développent et ceux qui sont déjà présents à l’étranger. C’est par exemple le cas pour la société BeAM, start-up qui intègre les buses de dépose matière issues des développement d’IREPA Laser sur n’importe quelle structure de machine industrielle et qui a déjà trois machines « standard » à son catalogue.

Cette société BeAM travaille avec le groupe Fives, groupe qui fabrique et distribue « worlwide » les machines de BeAM. Un autre exemple est la société Prodways qui est aujourd’hui au capital du groupe Gorgé. BeAM et Prodways sont deux fleurons technologiques français de la fabrication additive qui se développent sur différents segments de marché et grâce à des technologies de pointe.

Parmi les 34 plans inscrits dans le nouveau programme de la nouvelle France industrielle, l’impression 3D a été retenue dans le plan « Usine du futur ». Quand on connait les plans de financement dont bénéficie cette technologie dans certains pays (Etats-Unis, Corée du Sud…) la France semble une fois de plus jouer petit bras… Ce plan sera donc t-il selon vous, une réponse suffisante aux enjeux actuels ?

Il est difficile de porter un jugement. Le potentiel international de moyens dédiés à la recherche pour la fabrication additive a été chiffré à plus de 5 Milliards d’euros. Ce qui est sûr c’est que toute dynamique mise en place a le mérite d’exister et dans le cas présent, du 34è plan, il semble que des projets ambitieux aient émergé et puissent être soutenus. Attendons l’avenir mais ceci est une des quelques actions convergentes qui montrent la dynamique nationale aujourd’hui dans le domaine de la fabrication additive.

Le Groupe Gorgé est justement impliqué dans ce plan, comment analysez-vous son évolution ces dernières années ? Accords avec le CEA Liten et Genistar, rachat de Deltamed GmbH, Initial, Norge Systems… Que pensez-vous de sa stratégie de développement ?

Je suis bien mal placé pour répondre. Ce qui est clair c’est le développement technologique de Prodways. L’accord avec le CEA ne peut qu’apporter des éléments nouveaux à ces technologies, en particulier dans le domaine des matériaux innovants. Le rachat de Deltamed GmbH est sur un marché très particulier et porteur. Cela constitue une composante supplémentaire de l’activité du groupe en fabrication additive.

« …la fabrication additive est aujourd’hui constituée de moyens fiables, répétables et compétitifs »

En France il y a-t-il justement un projet, une technologie ou une entreprise liée à l’impression 3D que vous aimeriez particulièrement faire connaitre ?

Cette question est une question piège. Je cite certaines sociétés, voire certains noms, il est clair que je ne peux citer tous les acteurs de renom du tissu français. Je me contenterai de souligner la très forte expertise collective, qu’elle soit dans les laboratoires de recherche, dans les sociétés de services, dans de nombreux grands groupes industriels, mais aussi dans des PME. Une action précoce auprès des jeunes et vers la société civile devrait permettre de faire rentrer dans les mentalités le fait que la fabrication additive est aujourd’hui constituée de moyens fiables, répétables et compétitifs.

Maintenant, il est clair que trente années depuis le premier brevet, cela ne donne pas beaucoup de recul sur la durabilité des technologies et des produits fabriqués par ses technologies. Mais comme dans toute évolution technologique, il est important que l’ensemble de la chaîne de valeur s’installe de manière durable, depuis les matériaux bruts, les moyens, les chaînes numériques, les technologies de parachèvement (il faut rappeler que les pièces mais aussi les outillages fabriqués en fabrication additive sont des pièces « brutes », certes à différents niveaux, et nécessitent le plus souvent des opérations de parachèvement, tout comme n’importe quel moyen de fabrication de pièce brute).

« J’espère que cela permettra de redonner aux jeunes le goût pour le concret, au service de leur créativité… »

En avril 1998 vous et Georges Taillandier publiaient l’un des premiers ouvrages sur l’impression 3D intitulé « Prototypage Rapide ». Cette technologie a fait bien du chemin depuis… Comment analysez-vous son évolution, notamment depuis l’expiration du brevet FDM en 2009 ?

Le buzz, la fameuse vague dans les média, cela a aidé à parler de la fabrication additive, mais l’image véhiculée a le plus souvent été fausse. La fabrication additive, et en particulier les machines dites « d’impression 3D » ne sont pas des machines « presse-bouton ». De plus, il y a nécessité à modéliser avant de produire. Encore une étape qui n’est pas aussi courante et habituelle pour le commun des mortels. Mais le côté positif est que le marché dispose de machines faciles à utiliser et peu dangereuses, ce qui les rend accessibles très tôt aux collégiens et aux lycéens.

J’espère que cela permettra de redonner aux jeunes le goût pour le concret, au service de leur créativité et pour les aider à développer des choses concrètes sur des moyens pluri-technologiques qui les confrontent à la robotique, à l’électronique, à l’informatique, à la physique et à la chimie, la mécanique, pour ne parler que des compétences de base. Ces moyens permettent également aux designers de matérialiser de très nombreux concepts à moindre coût. Mais avec une machine à quelques centaines, voire milliers d’euros, on ne peut pas fabriquer d’objet facile à valoriser au plan industriel, ni, et encore moins, un de ses organes.

2014 aura été marquée par l’entrée de HP sur le marché avec sa fameuse Multi Jet Fusion. Comment analysez-vous l’arrivée d’un tel mastodonte ? Concurrent sérieux à Stratasys et 3D Systems ou coup de com ?

Il est trop tôt pour le dire. Les prochaines statistiques qui sortiront au mois de mai prochain donneront une tendance à l’échelle mondiale de l’évolution du progrès de chaque technologie et de chacun des porteurs de ces technologies. Ce qui est sûr c’est que ces technologies sont vues comme prometteuses et constituent une vraie force technologique complémentaire aux procédés existants.

La fabrication additive, ce sont les seuls procédés qui permettent la fabrication du matériau de la pièce en même temps que la géométrie de la pièce. Cela ouvre donc des perspectives très importantes en termes de fonctionnalités pour les produits futurs et cela va transformer les outils de conception et de simulation/validation. Donc, regardons avec attention l’évolution des ventes, de la consommation des matériaux et aussi bien sûr, de l’intégration de ces technologies comme outils de production de valeur à grande échelle industrielle.

Quelles sont les actualités de l’AFPR et ses prochains évènements ? Vous vous apprêtez vous-même à sortir un livre, pouvez-vous nous en dire plus ?

L’AFPR organise les prochaines Assises Européennes de la Fabrication Additive du 23 au 25 juin prochains à l’Ecole Centrale Paris. Ceci constitue la prochaine étape majeure de son activité. Il y a aussi en parallèle, une évolution du site web de l’association. L’AFPR va également proposer à ses adhérents un mode fonctionnement qui va permettre de les valoriser plus encore qu’aujourd’hui mais aussi qui va aller vers un meilleur affichage de l’AFPR par ses adhérents, ceci au profit de la dynamique nationale que j’ai déjà évoquée.

Pour ce qui est de l’ouvrage, c’est un ouvrage collectif qui compte aujourd’hui plus de 25 contributeurs. Il est également coordonné par le Prof. Claude BARLIER, connu pour la Stratoconception et la création du CIRTES à Saint Dié des Vosges et également pionnier de l’activité de la fabrication additive en France. Le livre, de quelques 450 pages (voire plus) devrait sortir bientôt et devrait être disponible lors des prochaines Assises. Il contient des contributions originales, comme des choses sur la mesure, sur la sécurité, en s’appuyant su la normalisation qui est en route maintenant au plan international et qui va soutenir le développement de la chaîne de valeur pour la fabrication additive.

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